CRACKS - Avec une moyenne d’âge de 25 ans et demi, soit la plus basse pour une équipe de France en Coupe du monde depuis vingt ans, les Bleus de 2018 surfent sur leur jeunesse dans ce Mondial russe. Focus sur une génération qui a bousculé les idées reçues pour s’offrir son épopée.
Le slogan, clin d’œil à la riche histoire du football français de la part d’un célèbre équipementier sportif, s’étale sur la façade du Stade de France depuis le match d’ouverture de cette Coupe du monde : "1998 a été une belle année pour le football français, Kylian Mbappé est né." La phrase permet à la fois de mesurer la vitesse du temps qui passe, et de dresser une passerelle entre les champions du monde de 1998 et cette équipe de France de 2018, toutes deux menées par Didier Deschamps, d’abord en tant que capitaine, aujourd’hui comme sélectionneur.
Il n’empêche : les amateurs de foot d’un certain âge, qui s’identifiaient à la génération Zidane, voire à celle de Michel Platini dans les années 1980, gardent une certaine distance avec ces Bleus qui s’expriment autrement, célèbrent leur but comme dans le jeu vidéo Fortnite, dansent sur du rap, font vivre leur intimité sur les réseaux sociaux et s’apostrophent par d’étranges surnoms, tels que "la Pioche" ou "Samollo". Plaidoyer, en quatre points, pour cette jeunesse peut-être difficile à appréhender, mais si emballante. Et loin, si loin, des travers de 2010 et 2012.
Le respect des anciens
L’époque où William Gallas et Thierry Henry se faisaient insulter par Samir Nasri est révolue. Les jeunes joueurs de ce groupe, bien que surpayés dans les plus grands clubs d’Europe, font montre d’un véritable respect. "C’est vrai qu’on stigmatise les jeunes, mais ceux-là sont très à l’écoute de nos conseils. Ils ont conscience que le talent ne suffit pas et qu’il faut aller au combat. On n’a pas forcément les mêmes centres d’intérêt et pourtant, on arrive à vivre ensemble. Du coup, on sent qu’on est tous dans le même bateau", formulait ainsi, admiratif, le grognard Blaise Matuidi, 31 ans.
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Des "bons clients" pour les médias
L’époque où Samir Nasri priait les journalistes d’aller "se faire enc…" est aussi révolue. Face aux médias, ils déroulent bien sûr les éléments de langage parfois transmis par Didier Deschamps, mais pas seulement. Ils assument aussi leur fraîcheur, comme Benjamin Pavard, 22 ans, fondant en larmes sur le plateau de Téléfoot en entendant ses parents s’exprimer. On pense aussi à Kylian Mbappé, 19 ans, lancé sur le Ballon d’or par Denis Brogniart au soir de la qualification pour la finale, et qui répond très spontanément : "Je m’en contrefiche de ça, je veux la Coupe du monde moi, le Ballon d’or ce n’est pas mon problème ! Je veux dormir avec la Coupe du monde, et avec tous les Français. Je dormirais même dehors s’il faut !" Ou comment remettre à la mode la figure du genre idéal.
L’enthousiasme
C’est un Didier Deschamps furieux qui est descendu en pyjama dans le hall de l’hôtel d’Istra où logent les Bleus durant ce Mondial. Il était 3h du matin, dans la nuit qui a suivi la victoire (4-3) contre l’Argentine en 8es le 30 juin, et plusieurs de ses joueurs venaient de déclencher une alarme incendie en se livrant à une bataille d’extincteurs dans les couloirs, après être allés festoyer en boîte de nuit. Le sélectionneur a râlé mais n’a pas sévi : l’histoire dit l’ambiance exceptionnelle qui règne dans ce groupe. Olivier Giroud, 31 ans : "C’est sûr que l’expérience, ça compte beaucoup, mais ce sont des talents confirmés, qui ont l’habitude de supporter la pression des grands matchs. Et ils ont ce brin d'insouciance laissant un peu de côté l'importance de l'événement, ce n’est vraiment pas plus mal."
Le collectif plutôt que l’homme providentiel
C’est un marqueur important de la culture française, incarné dans l’histoire par Napoléon ou le général de Gaulle, qui a trouvé son prolongement dans le foot à travers les épopées des Bleus en Coupe du monde : Raymond Kopa en 1958, Michel Platini en 1982, 1984 et 1986, Zinedine Zidane en 1998, en 2000 et en 2006, Antoine Griezmann en 2016… Mais en 2018, les Bleus ne veulent plus compter sur un seul homme.
En 2018, ils forment un bloc où les individus s’effacent au profit d’une entité injouable. En témoignent les efforts défensifs des attaquants dans le tournoi, symbolisés par Kylian Mbappé qui avouait récemment : "En équipe de France de jeunes, la stratégie, c’était toujours de me passer le ballon." Et aujourd’hui ? "Kylian est caché par le collectif", a-t-il dit, en parlant de lui à la 3e personne, après Uruguay-France (0-2). Comme s’il ne s’appartenait (déjà) plus.