DEUX ÉTOILES PLEIN LES YEUX - Ce dimanche, toute la France a fait le même rêve en bleu. Dans un bar, dans la rue, dans les tribunes ou dans son salon, cette victoire a embrasé des femmes et des hommes portant au pinacle des joueurs presque dépassés par leur propre victoire. Mais que se passe-t-il donc dans notre cœur, dans notre cerveau et dans nos corps pour provoquer une telle effusion de joie ?
Des femmes et des hommes qui ne se connaissaient pas il y a encore une heure et qui chantent désormais de concert "ON EST LES CHAMPIONS !" avant de reprendre en cœur la Marseillaise et I Will Survive jusqu’à une heure crépusculaire : la scène se déroule dimanche 15 juillet, juste après l'écrasante victoire des Bleus contre la Croatie en finale de la Coupe du monde. Un peu partout dans les rues, des scènes de liesse populaire, une foule qui le temps d'une soirée (voire plus), semblait enfin se consoler de tous ses maux bleus (chômage de masse, précarité, terrorisme, consorts). Mais comment un tel engouement est-il possible ?
Selon Jean-Paul Labedade, psychologue, membre de la Fédération Française de Psychologie du Sport, cet embrasement magnifique s’explique tout d’abord par cette simple idée d’appartenance : "Quand la France remporte la Coupe du Monde, cela traduit un sentiment de territorialité primaire. C’est tout simplement ce qui nous lie. Et quand le supporter de foot s’enflamme pour une équipe, c’est un peu comme le chien de garde montrant les crocs pour affirmer et défendre son territoire. Le deuxième point, c’est l’aspect carnavalesque de cette fête, rassemblant des gens autour du même objectif consistant à célébrer une victoire qui est aussi un peu la leur. Un grand moment festif et bon enfant où l’on enfreint les règles, où la loi habituelle est renversée et où les supporters peuvent s’autoriser à jouer les pitres comme les joueurs, comme ces derniers ont pourri à plusieurs reprises la conférence de presse de Didier Deschamps."
Aimons-nous vivants
Mais pourquoi voir une équipe remporter une Coupe du monde génère autant d'adrénaline ou de testostérone ? Selon le Social Issues Research Centre, institut de recherche en sociologie britannique, 38% des Français préféreraient regarder un bon match de foot que d’avoir un rapport sexuel. Ce moment de bonheur collectif serait donc une autre façon de prendre son pied à plusieurs ? Oui, si l'on suit bien toutes les étapes : l’espoir avant chaque match, la solidarité croissante avec d'autres "comme nous", l'identification avec les joueurs selon qu'ils sont attaquants, défenseurs, goal ("Une équipe de foot reflète aussi les choix que l’on fait dans la vie" souligne notre psychologue), la mixité sociale, l’appartenance à un groupe et à un pays. En d'autres termes, la victoire d'une équipe de foot en finale du coupe du monde équivaut à un orgasme collectif résultant de l'accomplissement d'un fantasme longuement caressé. Ne riez pas, c'est très sérieux.
En 1998, il n’y avait pas les réseaux sociaux. Or, ces réseaux sociaux ont considérablement amplifié l’identification aux joueurs qui partagent leur vie quotidienne.
Jean-Paul Labedade, psychologue du sport
Toujours selon notre psychologue, cette victoire ne peut engendrer que du positif chez le Français (la sociabilité, l'optimisme, le regain d'estime) et de tous ces soucis, le supporter n'en a plus rien à "foot": "L’être humain a besoin d’être relié et les dernières fois où les Français étaient connectés les uns aux autres, c'était pour des événements tragiques liés aux attentats. Cette victoire des Bleus est une façon d'expier tout traumatisme, d'opposer la pulsion de vie à la pulsion de mort et de contre-carrer l'époque sombre en même temps que ladite victoire exacerbe les besoins fondamentaux de l’être humain, à commencer par la nécessité impérieuse du bonheur."
Lire aussi
Coupe du monde 2018 : ces 18 moments qu’on n’est pas près d’oublier
Lire aussi
Où acheter le maillot Nike 2 étoiles de l'équipe de France ?
Plus heureux encore qu'en 1998
On ne dirait pas comme ça, mais en France, l’engouement autour du foot s'avère exponentiel. Pour Jean-Paul Labedade, il s'agit même d'un phénomène récent "qui date de 40 ans, pas plus" : "Quand je suivais la Coupe du monde dans ma province, j’étais très seul devant un écran de télé au café du coin". Cette "valeur sociétal positive" tend même à être amplifiée par les réseaux sociaux : "En 1998, il n’y avait pas les réseaux sociaux. Or, ces réseaux sociaux ont considérablement exacerbé une identification des Français aux joueurs d'autant qu'ils partagent tout de leur vie quotidienne. On s'identifie à ce groupe, au jeune qui débute comme au plus vieux qui dirige. On connait intimement les joueurs, ou plus précisément on connait ce qu’ils veulent faire voir d’eux-mêmes."
Lire aussi
Les coupes de Pogba, Kimpembe ou Areola, c'est lui : les confidences de Mika Caiola, le coiffeur attitré des Bleus
Lire aussi
Les Bleus sont champions du monde : comment suivre le retour des héros en France
Lire aussi
Pourquoi la jeune génération 2018 des Bleus mérite d’être reconnue par ses aînés
Aujourd'hui, la France a besoin de cette transfiguration comme de cette identification pour aller mieux.
Jean-Paul Labedade, psychologue du sport
"Par cet inconscient collectif, chacun nourrit le système, poursuit-il. Des millions de gens nourrissent le système, partagent la même valeur et finissent par faire un mouvement de l’ampleur que l’on a connu ce dimanche. L’identification est plus forte avec un joueur comme M’Bappé que, par exemple, avec un skieur comme Jean-Claude Killy qui en 1968 avait gagné trois médailles d’or dans trois disciplines. Une chaleureuse poignée de mains avec De Gaulle et c’était plié, le lendemain plus personne n'en parlait dans les journaux. Aujourd'hui, la France a besoin de cette transfiguration comme de cette identification pour aller mieux." Et il n'est pas interdit d'affirmer que si le football fédère autant, c'est parce que "cette Coupe du monde reste cette "guerre" entre pays qui ne donne pas lieu à la mort mais qui donne lieu soit à une victoire, soit à une défaite. Ce dimanche, ce fut une victoire".
Une fin heureuse donc dans un climat politiquement et socialement sinistré, travaillé par la haine. Et être fier pour un pays ne fait pas pour autant de vous une étoile perdue dans la constellation de la lobotomie heureuse, tout le monde sait bien que rien ne va réellement changer comme par enchantement dans l'Hexagone. Vibre juste une onde positive assurant que l'avenir n'est pas aussi sombre qu'il n'y paraît et que de la mort, celle des attentats, jailliront toujours la clameur, le bruit des gens autour, l'universalité, l'amour. Ces choses qui nous rendent simplement humains.