Le porno comme on ne l’avait jamais vu : "Pleasure" met une claque au Festival de Deauville

Jérôme Vermelin, à Deauville
Publié le 5 septembre 2021 à 11h54, mis à jour le 5 septembre 2021 à 13h13
L'actrice suédoise Sofia Kappel dans "Pleasure".
L'actrice suédoise Sofia Kappel dans "Pleasure". - Source : The Jokers

RADICAL – En compétition au 47e Festival de Deauville, "Pleasure" de Ninja Thyberg dresse le portrait d’une jeune Suédoise qui débarque à L.A. pour devenir une star du porno. Une fiction crue, parfois dérangeante mais jamais gratuite, qui dévoile l’envers du décor de l’industrie du X sans pour autant la condamner. En France, le film a écopé d’une interdiction aux moins de 18 ans que dénonce sa réalisatrice.

Durant l’une des scènes les plus édifiantes de Pleasure, l’héroïne - incarnée par Sofia Kappel - est giflée, insultée et se fait même cracher dessus par deux étalons yankees lors d’un tournage de porno hardcore. Lorsque la jeune femme leur demande de faire une pause, secouée par l’expérience, au propre comme au figuré, ils redeviennent de tendres agneaux tandis que le réalisateur la prend dans ses bras pour la rassurer… Et la convaincre de reprendre le travail, comme si de rien n’était.  

En compétition au Festival de Deauville, le premier film de Ninja Thyberg est une plongée dans une industrie qui fascine autant qu’elle dérange. En 2013, cette Suédoise de 37 ans avait tourné un court-métrage qui portait le même titre afin de dénoncer le "male gaze", expression désignant le regard masculin qui domine cette industrie. "J’avais regardé beaucoup de documentaires, lu des livres, écumé Google", raconte-t-elle à LCI, quelques minutes après une projection très applaudie, ce samedi.

 "Je pensais être bien informée mais je me sentais un peu hypocrite quand je disais vouloir faire le portrait des stéréotypes du porno. Parce que je ne l’avais pas vu de mes propres yeux. Je suis allée à Los Angeles pour la première fois en 2014 et peu à peu j’ai découvert les coulisses du porno. Tout ce que vous voyez dans le film est basé sur les choses que j’ai vues là-bas, les gens que j’ai rencontré et que j’ai invité à collaborer, devant et derrière la caméra."

Forte de cette expérience, elle a imaginé le personnage de Bella, incarnée par sa compatriote Sofia Kappel, dans son premier rôle à l’écran. Aussi énigmatique qu’ingénue, mélancolique que déterminée, elle va tenter de se faire une place dans une profession où règne une terrible concurrence. Le pitch n’est pas très original. Mais c’est la manière dont Ninja Thyberg filme son parcours qui détonne. Utilisant de manière habile le hors champ et la caméra subjective, elle met en scène l’ordinaire d’un tournage porno où le corps est un simple outil de travail, souvent rudoyé, parfois défectueux. Et où le plaisir se résume à celui du travail bien fait.

Pleasure est un film qui constate, plus qu’il condamne, les fantasmes masculins qui irriguent la fabrication de ces films. "J’avais 16 ans lorsque mon premier boyfriend m’a montré un film porno", se souvient la réalisatrice. Avec mes amies, nous avions fait notre éducation sexuelle en lisant des romans érotiques plutôt soft alors que lui et ses copains se partageaient ces vidéos très crues. Si bien que nous n’avions pas du tout les mêmes attentes vis-à-vis du sexe et ça. J’étais choquée et en colère."

Beaucoup de gens qui ont vu mon film me disent qu’ils ne regarderont plus jamais du porno de la même manière
Ninja Thyberg

Quelques années plus tard, Ninja Thyberg tournera ses propres pornos féminins "pour exprimer une vision alternative de cet univers", souligne-t-elle. "Et puis au bout d’un moment, je me suis demandée si ce n’étais pas un peu élitiste, si tout ça n'était pas qu'une question de goût, bon ou mauvais, et si ce n’était pas au fond la même chose. En fait j’ai une relation compliquée vis-à-vis du porno. Ça reste terriblement tabou et c’est pour ça que je voulais faire ce film."

Pour la cinéaste, Pleasure n’est clairement pas un brulot anti-cinéma X. "Je ne dis pas que c’est mal de regarder du porno. Je dis qu’il peut y avoir de mauvaises raisons d’en regarder. Et qu’il peut y avoir du mauvais porno", précise-t-elle. "Ce que je sais, c’est que beaucoup de gens qui ont vu mon film me disent que pour la première fois ils arrivent à s’identifier à celles et ceux qui font ce métier, que je parviens à les humaniser et qu’ils ne regarderont plus jamais du porno de la même manière. Ce qui m’est arrivée en faisant les recherches."

En France, Pleasure sortira le 20 octobre prochain. Mais en raison de l’apparition à l’écran de plusieurs sexes masculins en érection, il a écopé d’une interdiction aux moins de 18 ans qui en compromet déjà la carrière en salles. "Notre distributeur (The Jokers – ndlr) a fait appel auprès du ministère de la Culture pour que cette interdiction soit rabaissée", révèle Ninja Thyberg.

"Je vous avoue que je ne pensais pas que la France soit un pays conservateur dans ce domaine. En Suède, le film a été financé par les grandes institutions du cinéma et par la télévision publique. Dès le début, ils ont compris qu’il était temps de raconter cette histoire. Pleasure n’est pas un film porno. C’est un film qui parle du porno. Et ça parle aussi de toutes ces images qui sont disponibles partout. C’est un film qui a un but éducatif et je suis fière que mon pays l’ait compris."

>> Pleasure de Ninja Thyberg. Avec Sofia Kappel, Kendra Spade, Dana DeArmond. 1h45. En salles le 20 octobre


Jérôme Vermelin, à Deauville

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