Jean-Pierre Bacri, le bougon préféré du cinéma français en cinq répliques cultes

Publié le 18 janvier 2021 à 19h03, mis à jour le 18 janvier 2021 à 20h21

Source : Sujet TF1 Info

"VOUS FAITES CH..." - Décédé lundi des suites d'un cancer, Jean-Pierre Bacri était un habitué des rôles d'anti-héros râleurs et désabusés mais profondément humains, plusieurs fois récompensé comme acteur mais aussi comme scénariste.

Il avait ainsi reçu cinq César, quatre fois le trophée du meilleur scénario avec son ex-compagne Agnès Jaoui (pour Smoking/No Smoking, Un air de famille, On connaît la chanson et Le Goût des autres) et une fois celui du meilleur acteur dans un second rôle pour On connaît la chanson. Parfois catalogué comme l'acteur d'un seul rôle, celui de l'éternel bougon, il détestait pourtant qu'on lui colle "cette étiquette". Reste que les spectateurs aimaient le retrouver dans ce registre de prédilection.

Premiers grands coups de gueule dans "Cuisine et dépendances"

Si l'on avait déjà croisé Bacri au cinéma dans les années 80 (proxénète dans Le Grand Pardon d'Alexandre Arcady, flic dépassé et taciturne dans Subway de Luc Besson, pleutre arriviste dans Les saisons du plaisir de Jean-Pierre Mocky, père de famille inquiet pour sa fille dans Mort un dimanche de pluie ou encore amoureux fou de Pauline Laffont dans L'été en pente douce), on découvre Bacri râleur dans la pièce de théâtre Cuisine et dépendances (1992), succès vite adapté au cinéma. 

Évidemment, hein, c'est le monsieur qui passe à la télévision, la belle affaire. Quel est le con qui ne passe pas à la télévision ?
Bacri dans "Cuisine et dépendances"

Alignant les réparties cinglantes, il s'emporte face au personnage de Sam Karmann le temps d'un dîner riche en non-dits, au sujet du retard d'un convive et des embouteillages à Paris : "Qu'est-ce que ça peut me foutre cette excuse sur les embouteillages ?!" fulmine son personnage, excédé pendant tout le film. "Ils découvrent les embouteillages ? Cela fait 40 ans qu'ils habitent ici. Ils devraient être prévenus, maintenant. A Paris, il y a des embouteillages ! Être en retard, ça fait riche et quand on est célèbre comme lui, n'en parlons pas, c'est une tradition, c'est quasiment obligatoire. On tarde, on tarde et on apparait enfin aux yeux du peuple. Évidemment, hein, c'est le monsieur qui passe à la télévision, la belle affaire. Quel est le con qui ne passe pas à la télévision ?" Et Bacri de devenir le râleur préféré du cinéma français. 

C'est aujourd'hui que tout le monde a décidé de me faire chier
Bacri dans "Didier"

On retrouve Bacri tout aussi énervé dans Un air de famille (1996) où, mine renfrognée, il rembarre Jean-Pierre Darroussin qui joue son employé souffre-douleur : "Je t'ai dit que je finirai tout seul" lance-t-il. Dans une autre scène, il lui hurle dessus parce qu'il compte "partir en laissant le comptoir pourri". Râleur certes, drôle souvent par sa capacité à faire exploser les tensions et les hypocrisies sociales. Mais derrière la colère de ses personnages bougons, l'on perçoit toujours la tristesse, la solitude de personnages auxquels la vie n'a pas fait de cadeau et qui aboient pour se défendre. Et en parlant d'aboyer, Bacri, quand il ne s'en prend pas à l'espèce humaine, engueule son chien dans Didier d'Alain Chabat (1997) : "Qu'il est con, ce clebs" vitupère-t-il lorsque son chien casse un objet dans son appartement. "C'est aujourd'hui que tout le monde a décidé de me faire chier".

Je commence à en avoir plein le cul de vos grands airs, là
Bacri dans "Le goût des autres"

De plus en plus, Bacri bougonne mais il bougonne bien et pas dans le vent. Il s'agit de remettre les gens en place, les choses à plat. Dans les rôles qu'il choisissait, ou ceux qu'il écrivait avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri pourfendait le sectarisme culturel, le conformisme, les chapelles, la servilité... Ainsi, peu de temps après son ami Sam Karmann qui le dirige en râleur dépressif dans Kennedy et moi en 1999, Agnès Jaoui passe derrière la caméra pour Le goût des autres (2000) et obtient de lui l'une de ses plus belles performances. 

Sous ses airs renfrognés de blasé par la vie, Bacri explore un registre nouveau pour lui, soit le rôle d'un chef d'entreprise beauf, flanqué de deux gardes du corps joués par Lanvin et Chabat, découvrant une sensibilité et une empathie insoupçonnées au contact des autres et de leurs goûts. Dans le film, son personnage moustachu s'emporte face à un homme qu'il pensait à tort être arrogant et le mépriser : "Je commence à en avoir plein le cul de vos grands airs, là" dit-il. "Faut arrêter de me parler comme ça, ce n'est pas parce que vous arrivez de Paris avec vos diplômes qu'il faut vous croire le roi du monde. Je serai à l'heure demain, ça va ! Vous avez autre chose à me dire ?"

C'est à moi que vous parlez, là ? Parce que vous n'allez pas prendre ce ton avec moi, hein.
Bacri dans "Comme une image"

Dans le film suivant d'Agnès Jaoui, Comme une image (2003), Bacri invective un chauffeur de taxi le temps d'une scène mémorable, ce dernier lui réclamant de fermer la porte en beuglant un inélégant "La porte !". Ce à quoi son personnage lui répond : "C'est à moi que vous parlez, là ? Parce que vous n'allez pas prendre ce ton avec moi, hein. Je ne vous laisse pas le choix, vous n'allez pas prendre ce ton avec moi ni avec personne d'autre, d'ailleurs. On parle aux gens poliment, je ne sais pas si vous êtes au courant ?"

C’est lui qui me corrige à chaque fois. C’est ce putain de correcteur ! Je me retrouve avec ses trucs débiles, ses ronds jaunes avec des lunettes de soleil.
Bacri au sujet de son téléphone dans "Le sens de la fête"

Par la suite, on a perçu la fatigue de Bacri face à la bêtise ambiante dans des registres plus doux : Au bout du conte, toujours sous la houlette d'Agnès Jaoui, en père de famille un peu largué, même rôle dans Parlez-moi de la pluie où l'on fait le bilan amer du temps qui passe et des choses qui ne changent pas. 

Bougon, il le sera à nouveau dans Le Sens de la fête d'Olivier Nakache et Eric Toledano (2017), l'un de ses derniers rôles. Bacri y est irrésistible dans le rôle d'un organisateur d'un mariage où rien ne se déroule comme prévu, un rôle d'éternel bougon taillé sur mesure qui rouspète contre son smartphone : "C’est lui qui me corrige à chaque fois" s’énerve-t-il au sujet de la correction automatique de son smartphone. "C’est ce putain de correcteur ! Je me retrouve avec ses trucs débiles, ses ronds jaunes avec des lunettes de soleil". Et si les Français aimaient à le retrouver râleur au cinéma, il l'était non moins dans la vraie vie comme l'ont illustré ses sorties mémorables, notamment lors de la cérémonie des César en 1998, en prenant la défense d'une Juliette Binoche, fraichement Oscarisée, face à un public quelque peu guindé prêt à ovationner n'importe quel américain hommagé. Ses coups de gueule, salutaires, nous manqueront. Au cinéma comme dans la vie. 


Romain LE VERN

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