INTERVIEW – Couronné par sept César, son film "Adieu les cons" ressort au cinéma le 19 mai. Albert Dupontel revient pour LCI sur sa décision de ne pas se rendre à la cérémonie et livre son regard à la fois inquiet et grinçant sur la gestion de la pandémie par le gouvernement.
C’était à la fois le grand absent et le grand gagnant de la dernière cérémonie des César, avec sept statuettes pour Adieu les cons, retiré des salles fin octobre en raison de la pandémie de coronavirus. À l’occasion de la ressortie du film le 19 mai, Albert Dupontel s’est longuement confié à LCI. L’occasion de critiquer la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement et d’évoquer l’avenir du cinéma, alors qu’il prépare un nouvel long-métrage qui se déroulera dans le cadre d’une campagne électorale. Tiens, tiens…
La ressortie de votre film, après de longs mois de fermeture des cinémas, ça représente quoi pour vous ?
Le soulagement. Le soulagement de voir qu’il y a un flux de pensée via la culture qui va se remettre en route. Parce qu’on ne peut pas être que des travailleurs-consommateurs. A priori depuis six mois, c'est qu’on nous demande de faire. Le paradoxe, c’était les cinémas fermés et les métros bondés.
Adieu les cons avait attiré plus de 700.000 spectateurs dans un contexte difficile. C’était un crève-cœur que son exploitation s’arrête d’un coup ?
C’était un peu frustrant, mais c’était comme sortir un film en juin 1940. Vous vous dîtes qu’il y a quand même des choses plus graves en train de se passer. On a relativisé très vite cette déception d’autant plus que c’était quelque chose auquel on s’attendait. On voyait bien que l’épidémie augmentait. Après, même aujourd’hui je trouvais que la sortie est un peu prématurée. J’aurais préféré attendre encore, mais les gens qui nous gouvernent sont plus dans une crise économique que sanitaire et cette dualité depuis un an n’est pas toujours super à supporter.
Ça ne vous aurait donc pas dérangé qu’on attende un mois de plus rouvrir les cinémas ?
Oui, ça aurait été plus cohérent. On va ressortir avec un nombre de gens contaminés plus élevé qu’il y a six mois. Macron a eu cette phrase géniale : "C’est raté, mais ce n’est pas un échec." Vous mettez ça dans un film, c’est plutôt marrant quand même ! Ils sont en train de se débattre avec un raisonnement économique et une évidence sanitaire. Je n’aimerais pas être à leur place, ceci dit. Mais quelque part le Covid est en train de nous dire : "Calmez-vous, justement, avec l’économie." La mondialisation est en train de faire fondre la planète, générer des virus et à mon avis ce n’est rien par rapport à ce qui va arriver. Ça donne des canicules l’été. Ça pourrait être pire... Mais est-ce qu’on va en tenir compte ou pas, je ne sais pas !
Être le meilleur en termes de goût est quelque chose qui me gêne. Le goût est un truc très intime. Comme sa sexualité, comme sa religion.
Albert Dupontel
Vous avez laissé le soin à votre productrice de venir chercher vos César à l’Olympia en mars dernier. La cérémonie, vous l’avez regardé dans votre salon ?
Non, je n’ai pas de télé. J’ai dormi, moi ! Vous savez, je n’ai pas d’attente particulière par rapport à tout ça. Je le dis avec beaucoup de gentillesse et le plus clairement possible : être le meilleur en termes de goût est quelque chose qui me gêne. Le goût est un truc très intime. Comme sa sexualité, comme sa religion. Et le meilleur film… C’est le film que vous avez aimé. Comme le vin, même si c’est la piquette du village, vous comprenez ? Si on nous prive de ça, on nous prive de tout quelque part. Et le système, l’école notamment, commence très tôt à nous dire dans notre vie : "Ça, c’est le bon goût, et ça, c’est le mauvais goût." Donc je suis gêné par rapport à ça tout en trouvant ça très gentil. Mais cette gêne fait que je m’abstiens du protocole médiatique de remise de prix. Même si là j’étais content parce que ça a poussé la Gaumont à ressortir le film. César du meilleur film, ça se tente, quand même !
Ils sont où vos César ?
C’est ma productrice qui gère. Ils doivent être dans son bureau mais je ne les ai pas vu, mais je n’y suis pas allé depuis un moment. Ceci dit on va y retourner puisqu’on devrait attaquer la préparation d’un nouveau film en septembre.
De quoi parlera ce prochain film ?
J’ai envie de raconter une petite fable sur la politique. C’est l’histoire d’une campagne électorale, avec une jeune femme journaliste qui observe un candidat qui est un archétype de la politique. Il est priori lisse comme un galet, mais cette fille dit qu’elle l’a connu lorsqu’ils étaient jeunes, à l’école, et que le galet, il a fait de ricochets. Elle n’a pas une liberté de parole énorme, elle est dans une chaîne très surveillée. Mais ce qu’elle va découvrir n’est pas forcément négatif. C’est le pitch. Et il y a peut-être des choses dans ce film qui seront très à la mode l’an prochain…
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Certains de vos confrères comme Mathieu Kassovitz estiment que le Covid va précipiter la fin des salles de cinéma et que demain, vous allez tous travailler pour Netflix. Vous êtes d’accord ?
Non, je ne suis pas d’accord, pas du tout. Aller au cinéma, c’est une soumission joyeuse. Une soumission devant l’écran, devant le son. Bigger than you, bigger than life. Après, ce qui sera proposé sera peut-être différent parce qu’il va falloir se battre contre les Marvel et tout ça. Mais je pense qu’il y aura toujours besoin de ce rituel. J’ai adoré ça, j’adore ça et je vais y retourner dès la semaine prochaine. Quand la télé est arrivée, tout le monde a dit : "C'est la mort du cinéma !" Et jamais le cinéma n’a été aussi créatif que dans les années 1960-1970. Parce que justement on voyait au cinéma des choses qu’on ne voyait pas à la télévision. Peut-être qu’un autre cinéma va arriver. Peut-être que l’art et essai va être un petit peu brimé. Mais il y aura toujours besoin de ce grand écran. J’en suis sûr.
Vous êtes client des plateformes ?
C’est un aspect de raconter les histoires, mais ce n’est pas le mieux. Quand vous avez payé 10 euros pour des mecs qui ont bossé sur les lumières, le son, pour des grands acteurs… C’est autre chose que de cliquer sur Netflix. Ce que je fais aussi, hein ? Les docs de Netflix, je trouve ça très intéressant. Alors ça va être différent. Mais il y aura toujours ce besoin de cinéma, j’en suis sûr.
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Avant son triomphe aux César, Albert Dupontel nous racontait Adieu les cons dans le podcast "Le cinéma, c'est la vie en mieux", écoutez...
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