Le gouvernement peut-il vraiment bloquer le rachat de Carrefour par le canadien Couche-Tard ?

FRAGILE VETO - En avançant la souveraineté comme motif de refus, et en mettant le rachat sur le terrain de la "sécurité alimentaire", l'exécutif cache en fait des craintes liées à l'emploi, mais qui n'ont pas la même valeur légale.
Sur la route de Carrefour, on aurait pu imaginer un jour une offre de rachat d'un aussi grand que lui, un Américain comme Walmart ou Costco, ou plus près de nous un rapprochement avec l'allemand Lidl, pourquoi pas. C'est pourtant de Couche-Tard, groupe canadien inconnu du grand public qu'est arrivée une offre qui peut surprendre. Une offre que le gouvernement voit d'un mauvais œil, et le dit publiquement, avant même que les propriétaires de Carrefour n'émettent à haute voix leur opinion sur l'opportunité d'une fusion,
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Il est vrai que sur le papier au moins, l'offre de Couche-Tard a de quoi étonner. L'entreprise née au Québec opère de petits supermarchés et supérettes - les fameux "dépanneurs" ouverts à toute heure - mais aussi des stations-service un peu partout dans le monde. Surtout, elle ne fait pas du tout la même taille que le géant français de la distribution.
Malgré ses 14.000 magasins, le groupe canadien n'affiche que moins de la moitié du chiffre d'affaires - 38 milliards d'euros contre 80 - et du nombre d'employés de Carrefour. Pourtant, il fait presque autant de bénéfices, autour de 1,3 milliard d'euros. Une meilleure rentabilité qui se traduit aussi en bourse : aujourd'hui, le "petit" Québécois vaut une trentaine de milliards d'euros, quand Carrefour n'en vaut que treize, de quoi faire du second un relai de croissance rêvé pour le premier.
Une affaire de "sécurité alimentaire", vraiment ?
Sur le papier encore, le marché n'est pas sans intérêt : Couche-Tard n'étant pas implanté chez nous, le rachat ne créerait pas de doublons entre ses magasins et ceux de Carrefour. Pourtant, il aura fallu moins de 24 heures à l'exécutif pour délivrer un avis comminatoire : c'est "non". Argument avancé par Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, et repris à son compte ce matin par Elisabeth Borne au ministère de Travail : laisser un groupe étranger prendre la main sur Carrefour pourrait mettre en danger la "sécurité alimentaire des Français".
Un veto surprenant, car si la taille de Carrefour lui donne évidemment une importance de choix dans la distribution alimentaire en France, on imagine mal comment un changement de propriétaire irait révolutionner son cœur de métier. Sauf surprise confondante, même sous pavillon canadien, il resterait un réseau d'hyper/supermarchés.
100.000 salariés dans la balance
En fait, si l'exécutif avance sécurité et souveraineté comme boucliers à un rachat, ce n'est pas là que se situent ses craintes réelles quant aux conséquences potentielles de l'opération. Aujourd'hui, plus de la moitié des hypermarchés de Carrefour sont déficitaires, et les plans de Couche-Tard pourraient passer par la fermeture de certains d'entre eux, probablement aussi par une réorganisation de l'activité, avec des licenciements à craindre à la clé. Or, Carrefour est aujourd'hui le premier employeur privé de France, avec plus de 100.000 salariés, sur les 331.000 que compte le groupe.
Ajoutez à cela le statut toujours particulier de "fleuron national" dans un pays qui a presque inventé la grande distribution, et le logo bleu-blanc-rouge de Carrefour pèse soudain lourd dans la balance.
Un "danger" pas forcément évident
Comme le rappelait Bruno Le Maire pour justifier son refus, "il y a un décret sur le contrôle des investissements étrangers en France qui nous permet de donner ou non notre accord à des opérations de ce type-là". Et de fait, la loi Pacte et certains décrets adoptés depuis permettent d'éviter la fuite d'actifs stratégiques, dans les technologies de la défense, les télécoms, l'énergie, la santé ou les médias.
Mi-décembre, les autorités avaient ainsi bloqué l'offre de rachat de la société spécialisée dans les instruments de vision nocturne pour l'armée, Photonis, par l'américain Teledyne.
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Grande distribution : l'innovation est dans les rayons
Si la loi concerne aussi les entreprises qui produisent, transforment ou distribuent des produits alimentaires, la sauvegarde de l'emploi dans les hypermarchés n'est pas un argument de refus. Ce qui le serait, c'est tout ce qui mettrait en danger la capacité "d'assurer à la population l'accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante".
Difficile d'arguer que le seul changement de pavillon de Carrefour présenterait ces dangers, surtout dans un pays déjà très riche en enseignes de distribution. En ce sens, la ligne qu'affiche le gouvernement pourrait ne pas résister à l'examen des juges, si l'affaire en arrivait là.
Le véto de trop ?
Si le véto de Bercy est un peu, il arrive surtout à un moment singulier : à la fin de ce mois sera en effet bouclée la fusion entre le français Alstom... et le canadien Bombardier, qui vu ses activités était pourtant bien un actif stratégique pour Ottawa. Difficile de défendre sur le fond l'idée que les fusions transatlantiques ne seraient acceptables qu'à sens unique.
Ce jeudi, l'entourage du groupe Carrefour disait "s'étonner" alors que l'entreprise et Couche-Tard "en sont au tout début de la discussion" et que le distributeur français n'a "pas encore décidé si cette marque d'intérêt était intéressante" pour lui. Chez Carrefour, on préfère considérer que le refus de l'exécutif n'est que provisoire, en attendant d'être mieux au fait des projets précis de Couche-Tard.
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