Entreprenariat social : "Rêver grand, démarrer petit", les leçons de Christian Vanizette, cofondateur de MakeSense

Propos recueillis par Sylvia Amicone
Publié le 3 mai 2021 à 10h25
Entreprenariat social : "Rêver grand, démarrer petit", les leçons de Christian Vanizette, cofondateur de MakeSense
Source : DR

RENCONTRE - Christian Vanizette fait partie des entrepreneurs sociaux pionniers. Il a co-fondé il y a plus de 10 ans MakeSense, qui mobilise des citoyens autour de projets à impact. Plus de 200.000 citoyens se sont ainsi engagés, MakeSense étant désormais présent dans plus de 100 villes et employant 110 personnes. Nouveau défi d'ici 10 ans : mobiliser 10% des jeunes de la planète autour des Objectifs de développement durable, soit 180 millions de personnes. Explications.

Tu as grandi en Polynésie française, à Tahiti, tu as étudié à Marseille. Comment as-tu découvert l’entrepreneuriat social ? 

En partant de Tahiti pour venir étudier à Marseille, mon père m'a offert deux livres : 80 hommes pour changer le monde*, écrit par deux étudiants en école de commerce qui avaient fait le  tour du monde, et un deuxième livre du Professeur Muhammad Yunus sur le Social Business. Je suis entré à l’école avec ces deux livres, j’ai essayé de mettre à profit mes cours pour savoir comment je pouvais utiliser ces idées pour résoudre des problèmes sociaux et environnementaux.  Quand vous lisez le dernier livre du Professeur Yunus, Vers  une économie à trois zéros**, il y a tout un chapitre entier sur MakeSense. C'est un peu comme si la boucle était bouclée ! J'espère que ça inspirera d'autres jeunes étudiants à se lancer aussi !  

Comment se fait-il que votre père vous ait offert ces livres ?

 

Mes deux parents sont fonctionnaires. Mon grand-père a créé la Sécurité Sociale en Polynésie française. C’était le premier président de l'assemblée locale. Du coup, j'ai grandi dans une famille qui voulait faire des choses pour le bien commun. À leur époque, dans leur génération, c’était à travers le service public. Et je me dis que notre génération peut le faire à travers l'entrepreneuriat social. 

Qu'est ce qui a fait la différence de MakeSense ? Est ce que vous avez été en quelque sorte les premiers à miser sur les communautés ? 

On a été les premiers à se dire que l'entrepreneuriat social, ce n'est pas juste une histoire d'entrepreneurs : un super héros qui se lance dans des projets géniaux. Pour qu'il réussisse, il faut qu'il y ait des milliers de citoyens qui le soutiennent, non pas juste en achetant leurs produits ou leurs services, mais aussi en aidant ses projets à se développer. Quand tu fais de l'entrepreneuriat social, c'est encore plus dur que de monter une boîte normale parce que tu dois à la fois avoir des revenus et  en même temps avoir de l'impact. Si tu as une communauté de bénévoles qui croit en toi, en tes projets, en tes idées, ça te donne un peu des ailes pour démarrer une mission impossible. C'est l’ADN de MakeSense : permettre à n'importe quel citoyen de s'engager pour des projets sociaux et environnementaux. Ce concept reste dans le temps et il fait un peu la différence avec ces communautés de citoyens répartis dans le monde entier qui soutiennent des initiatives locales et solidaires. 

Vous souhaitez mobiliser 180 millions de personnes dans les dix prochaines années, c’est 10% des jeunes. C’est énorme. Comment allez-vous faire ? 

Quand la crise sanitaire a éclaté, on a dû réinventer nos programmes d'engagement pour les rendre plus digitaux, comme toutes les entreprises. Et tout d'un coup, les chiffres de mobilisation et le nombre de bénévoles ont commencé à exploser. On s'est dit que si on continuait de monter ces programmes innovants de mobilisation de citoyens en utilisant WhatsApp, les outils comme Zoom et les emails, on pourrait potentiellement arriver à des ordres de grandeur de plusieurs millions de personnes. C'est pour cela qu'on s'est fixé ces objectifs. Maintenant, dans l'équipe, tous les six mois, on voit si on est en chemin pour arriver aux 180 millions d'ici dix ans, et pour l'instant, c'est plutôt bien parti. 

Ce que l’on apprend de la part de Barack Obama et de tous les gens qui ont travaillé avec lui, c’est que le changement démarre toujours à l'échelle du citoyen, à l'échelle locale, dans sa ville, dans sa communauté.
Christian Vanizette

Cette crise sanitaire, on peut donc dire qu’elle a été un tremplin pour vos actions ? Je précise qu’elle a également coïncidé avec votre année à New York, vous avez été boursier de la Fondation Obama et vous avez suivi des cours à l’Université de Columbia...

C'est un peu comme si toutes les étoiles s’étaient alignées quand cette crise a démarré pendant que j'étais à New York, dans ce programme de la Fondation Obama. Et ce que l’on apprend de la part de Barack Obama et de tous les gens qui ont travaillé avec lui, c’est que le changement démarre toujours à l'échelle du citoyen, à l'échelle locale, dans sa ville, dans sa communauté. Quand la crise s'est déclenchée, on s’est dit : comment est-ce qu’on peut utiliser ces nouveaux outils et le savoir-faire de MakeSense pour permettre au citoyen, à l'échelle locale, d'aider son voisin ou une personne dans son immeuble et de reprendre les choses à la base ? C'est comme cela qu'on a démarré ces programmes, mais c'est cette idée que dans tous les cas, si on arrive à sensibiliser et engager des milliers de gens, c'est aussi des gens qui vont plus tard acheter les services ou les produits de ces entrepreneurs sociaux. Ce sont des gens qui vont voter aussi différemment et donc, tu as un effet de levier qui est extrêmement intéressant quand tu travailles avec l'engagement citoyen. 

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer, surtout  dans cette période si particulière de crise sanitaire  et environnementale ?

De ne pas hésiter. De rêver grand, mais de démarrer tout petit. L'exemple génial, c'est le Professeur Yunus : “Je vais inventer une nouvelle banque qui va mettre fin à la pauvreté”. Mais ensuite, il a démarré avec juste 15 crédits de 2 dollars à 15 femmes. C'est toute cette image que j’aime bien raconter : ayez de grands rêves, mais démarrez tout petit. Petite victoire après petite victoire, cela va vous donner du courage, de l'audace et après ça grandira ! 

Une question que je pose à tous mes invités mais avec MakeSense, cela a une résonnance tout particulière. Que dites-vous à celles et ceux qui vous lisent, qui ont envie d’agir mais qui ne savent pas comment ?

De ne pas commencer tout seul parce qu'on s'est aperçu que c’était un gros frein à l'engagement. Quand tu t’engages en collectif avec 15 personnes qui ont envie d'aider aussi, il y a 57% de chances que tu continues à t'engager ensuite. Si vous avez une envie d'agir, parlez-en avec vos amis autour de vous, montez un petit groupe de 5 à 6 personnes. Cela va rendre l'aventure beaucoup plus amusante. Vous allez avoir beaucoup plus d'idées et en même temps, l'impact que vous pourrez avoir sera beaucoup plus grand. Dites-vous que c'est possible et qu'on peut chacun changer le monde à son échelle. Avec nos outils digitaux, cet engagement de chacun peut devenir exponentiel. Parce qu'une personne qui dit sur son Facebook ou sur son Instagram : "J'ai fait telle bonne action", cela va parler à 10 de ses amis qui la suivent. Et cet effet boule de neige, je crois vraiment que c'est ce qui va pouvoir changer le monde et permettre à notre génération de s'engager encore plus que les précédentes. 

* Sylvain Darnil et Mathieu Le Roux, 80 hommes pour changer le monde, Ed. J.-C. Lattès, 2005 

** Muhammad Yunus, Vers une économie à trois zéros, Ed. J.-C. Lattès, 2017 

Découvrez notre podcast "Impact Positif"

Écoutez ce podcast sur votre plateforme d'écoute préférée : 

- Sur APPLE PODCAST

- Sur SPOTIFY

- Sur DEEZER

Devant l’urgence climatique, la crise démocratique, une société aux inégalités croissantes, certains ont décidé de ne pas rester les bras croisés, ils ont un coup d’avance, l’audace de croire qu’ils peuvent apporter leur pierre à l’édifice. Ils sont ce que l’on appelle des Changemakers.


Propos recueillis par Sylvia Amicone

Tout
TF1 Info