Sanofi peut-il supprimer 400 postes alors qu'il a bénéficié d'importantes aides publiques ?

Publié le 20 janvier 2021 à 20h26
Bercy se dit attentif à ce qu'il ne s'agisse pas de licenciements secs.
Bercy se dit attentif à ce qu'il ne s'agisse pas de licenciements secs. - Source : GONZALO FUENTES / POOL / AFP

POLÉMIQUE - L'annonce de suppressions de poste chez le géant français du médicament fait grincer des dents, d'autant qu'il a bénéficié d'aides publiques ces dernières années. Pour autant, rien ne s'y oppose sur le papier.

Pour les salariés de Sanofi, le début d'année a été délicat. La suppression annoncée par les syndicats de 400 postes en France dans le domaine de la recherche et du développement passe mal, et ce pour diverses raisons. Plusieurs responsables de la France Insoumise ont pris publiquement position contre cette décision, à commencer par Jean-Luc Mélenchon qui évoque un "scandale"

Le candidat des Insoumis à la présidentielle pointe le fait que "cette entreprise est gavée d’argent public pour… financer la recherche !" Dès lors, il lui semble légitime que l'État fasse pression et use de son influence sur les dirigeants de Sanofi. Le géant pharmaceutique apparaît pourtant libre de ses décisions, ce que confirme Bercy. Le ministère de l'Économie précise suivre de près le dossier et s'assurer que l'entreprise respecte un certain nombre de ses engagements. Mais en pratique, on observe que l'État dispose de leviers d'action assez réduits.

La marge de manoeuvre de l'État

Les suppressions de postes chez Sanofi font écho à celles annoncées par le groupe hôtelier Accor, qui envisage de supprimer 770 emplois en France. Deux plans de réduction des effectifs qui interrogent, alors que ces groupes ont bénéficié d'aides publiques. Via les dispositifs massifs de chômage partiel pour Accor, et par le biais du Crédit impôt recherche (CIR) coté Sanofi, se traduisant par une réduction d’impôt calculée sur la base des dépenses de R&D déclarées par les entreprises.

C'est aux sommes liées à ce CIR que fait référence Jean-Luc Mélenchon, ce crédit d'impôt étant évalué à environ un milliard d'euros au total sur les dix années écoulées (près de 150 millions d'euros par an ces dernières années). Dès lors, faut-il considérer que les aides de l'État devraient imposer aux entreprises des garanties en matière d'emploi ? Si LFI le suggère explicitement, cela ne s'observe pas véritablement en pratique, malgré le fait que l'entreprise affiche pour 2020 des résultats financiers très positifs. Sollicité par LCI, le ministère de l'Économie souligne tout d'abord que le CIR est versé au titre "d'investissements dans la recherche déjà réalisées". Et que fort logiquement, les montants baisseront si l'activité de recherche elle-même se réduit. 

Dans le cadre du CIR, l'État ne peut donc pas demander de contrepartie en matière d'emploi. Une situation quelque peu différente dans le cadre de certains plans de relance, note Bercy, en particulier dans l'industrie. En effet, les sommes en jeu sont dans ce cas considérables, et la puissance publique analyse les projets qui lui sont soumis avant d'apporter son soutien. Elle veille, de fait, à ce que les investissements annoncés soient concrétisés. Dans ces cas de figure, le ministère ne va pas nécessairement exiger des créations de postes, mais considère que ces plans de relance s'accompagnent naturellement d'embauches puisqu'ils visent à stimuler et relancer l'activité. 

Difficile, reconnaît Bercy, d'interférer dans la politique d'une entreprise, même si "le fait d'en être actionnaire peut constituer un levier supplémentaire le cas échéant". Et de noter que dans tous les cas, "des suppressions de postes sont la dernière option qui doit être envisagée". Ainsi, "il n'est pas acceptable de ne pas utiliser au préalable les outils mis à disposition par l'État", que ce soit avec le chômage partiel ou avec d'autres formes d'aides. 

Dans le cas précis de Sanofi, il convient aussi de rappeler qu'aux yeux du ministère ces décisions s'inscrivent dans un changement de stratégie du groupe, qui "réoriente ses recherches et laisse de côté celles portant sur d'anciennes molécules, déjà sur le marché depuis un certain temps". L'entreprise qui se targue de dépenser chaque année 2 milliards d'euros dans la R&D a par ailleurs annoncé vouloir bâtir un nouveau site de production à Neuville-sur-Saône, source de potentielles créations d'emplois.

Sanofi défend ses choix

Il y a quelques jours, le président France de Sanofi évoquait auprès de l'AFP pas moins de "1000 départs en France, sur un calendrier de trois ans, dans différentes parties de l'organisation, dont la R&D". L'entreprise, sollicitée par LCI, insiste sur le fait que sa stratégie a été annoncée "l'été dernier", et qu'elle a suivi un processus d'annonces somme toute traditionnel, en informant en premier lieu les "instances représentatives du personnel". Il s'agit, précise encore Sanofi, d'un "plan de départs volontaires", sans suppressions de postes fermes. "On sera très vigilant par rapport à la restructuration, à ce qu'il n'y ait aucun départ contraint", assure de son côté le ministère de l'Économie. 

Outre la bonne santé financière de Sanofi, les syndicats soulignent ce qu'ils voient comme des contradictions dans les orientations de leurs dirigeants : "Dans sa stratégie, Play to Win, Sanofi vend ou arrête 200 de ces 300 molécules plus anciennes qui ont le moins de valeur ajoutée : où est passée la sécurité sanitaire tant vantée par la Direction au président Macron, lors de sa visite sur le site Lyonnais ?", déplore la CFDT.

Si l'État se dit "très vigilant", le message affiché est clairement de ne pas souhaiter entrer dans un rapport de force. Vis-à-vis des entreprises, Bercy prône les "incitations", usant des multiples dispositifs déployés pour accompagner les industries françaises. Des soutiens que le ministère considère comme des actions en faveur de l'emploi, sans pour autant conditionner ses aides à des garanties strictes en matière d'embauche ou de maintien de l'activité. En ce qui concerne le Crédit impôt recherche, il apparaît en tout cas important de souligner qu'il est attribué au titre de dépenses déjà réalisées, et qu'il réduira automatiquement si l'entreprise diminue des investissements en matière de R&D.

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Thomas DESZPOT

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