Une "crise du papier" due à Amazon ? Gare aux conclusions hâtives

Publié le 1 octobre 2021 à 11h25
Certains types de papiers ont connu des hausses de prix importantes au cours des derniers mois, mais le risque de pénurie semble très mince.
Certains types de papiers ont connu des hausses de prix importantes au cours des derniers mois, mais le risque de pénurie semble très mince. - Source : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

REMOUS - La filière du papier subit d'importants soubresauts, les pires scénarios évoquant des pénuries à l'avenir. Si l'évolution des modes de consommations et le Covid ont entraîné des hausses de prix notables, il apparaît abusif de pointer Amazon du doigt comme le font certains.

Régulièrement accusée de fragiliser des pans de l'économie et de nuire à l'activité des petits commerces, l'entreprise Amazon est-elle également responsable d'une crise du papier ? C'est ce que suggèrent des témoignages, partagés ces dernières semaines et qui incriminent le géant américain. 

Des déclarations du rédacteur en chef du magazine So Good, filiale du groupe So Press (Society, So Foot...) a alerté sur les risques d'une crise imminente faute de papier. "Nous ne savons pas si notre magazine va paraitre en juin prochain. Amazon a acheté tout le stock de papier en Europe, pour ses packagings", a-t-il indiqué, des propos relayés par la suite sur les réseaux sociaux et qui ont valu  au site de commerce en ligne d'être pointé du doigt. Lorsque l'on interroge les acteurs de la filière papier, toutefois, on se garde bien de le présenter comme un bouc émissaire. Si crise il y a, sans doute faut-il en chercher ailleurs les causes.

Amazon, coupable un peu trop parfait

Pour faire le point sur cette "crise" qui couve, LCI a contacté Paul-Antoine Lacour, délégué général de la Confédération française de l'industrie des papiers, cartons et celluloses (Copacel). D'emblée, il reconnaît que le marché fait face à "une situation d'assez forte tension". Les approvisionnements se révèlent "plus compliqués", les "délais plus longs", avec une tension "encore aggravée" pour les papiers de presse. À l'instar d'autres interlocuteurs contactés ces derniers jours, il confirme des hausses de prix, assez variables toutefois en fonction des papiers. Si pour certains, les évolutions sont de l'ordre de 5/10%, cela peut parfois grimper à plus de 20 ou 30%, voire 50% pour certains cartons. 

Les risques de pénuries, toutefois, sont largement minorés. "Ponctuellement, certaines sortes de papier connaîtront des difficultés d’approvisionnement, mais nous ne sommes pas dans une situation de blocage", glissait il y a peu à L'Usine Nouvelle Benoît Duquesne, président de l’Union nationale des industries de l'impression et de la communication (Uniic). Paul-Antoine Lacour note par ailleurs qu'Amazon a recours quasi essentiellement à des caisses en carton, comme d'autres acteurs du commerce en ligne. L'impact lui semble donc négligeable sur les approvisionnements en papiers à journaux. 

Président de la commission environnement et fabrication du Syndicat national de l'édition et directeur de la production des éditions Gallimard, Pascal Lenoir observe au quotidien les conditions d'approvisionnement en papier. Et estime qu'il ne faudrait pas s'en remettre à du "Amazon bashing" dans le contexte actuel. Du point de vue des fournisseurs, "ne subvenir qu'aux besoins d'un seul client serait un non-sens", lance-t-il, une attitude "suicidaire". Insinuer que l'entreprise aurait fait la mainmise sur les stocks disponibles, c'est selon lui "mal connaître un marché". Amazon, comme tout autre acteur, "doit réussir à subvenir ses besoins et donc suffisamment anticiper", estime le spécialiste.  

Des causes multiples à ces tensions

Si pointer du doigt Amazon semble réducteur pour expliquer l'ensemble des tensions sur le marché du papier, il faut néanmoins souligner que son rôle n'est pas nul. "Depuis quelques années, une réflexion s'est installée sur la place du plastique dans la société", souligne Pascal Lenoir. "On note une volonté de la filière papetière et carton de se substituer au plastique, celui-ci étant facilement recyclable." Dans le même temps, il est essentiel d'insister sur l'impact du commerce en ligne, ainsi que du "suremballage avec le fait de se faire livrer à domicile". 

Un constat effectué également par Paul-Antoine Lacour, du côté de la Copacel. "Quand vous allez acheter un fer à repasser chez Darty, il est présenté dans son emballage. Mais si vous l'achetez en ligne, il y aura le recours à un l'emballage supplémentaire pour l'envoi." L'évolution des habitudes de consommation vers plus d'achat sur Internet suscite ainsi une plus forte demande en carton, qui doit être absorbée par les industriels. L'augmentation des prix, rapporte le représentant de l'industrie papetière, peut notamment s'expliquer par la "progression très marquée des prix des matières première : vieux papiers, amidon, latex..." Sans oublier le coût croissant de l'énergie. 

De toute évidence, la période de trouble actuelle vécue par le secteur se révèle multifactorielle. Et la Covid-19 n'a rien arrangé. "Tout le monde a consommé ses stocks durant cette période", indique Pascal Lenoir. "En manque de visibilité, on attend et on puise dans ses réserves." Lorsque l'économie mondiale a redémarré, "il n'a pas simplement fallu remettre en marche des machines", glisse-t-il, "mais aussi retrouver de la main d'œuvre". Outre la reconstitution des stocks, il a fallu faire face à une demande retrouvée, d'où un volume de commande massif.

Pas forcément évident à gérer, d'autant que cela supposait de relancer les approvisionnements en fibre de cellulose, dont "une grande partie" provient "de pays asiatiques ou d'Amérique latine". Un défi dans une période où les conteneurs manquent et où le transport mondial se trouve sous tension. Et ce jusqu'en bout de chaîne, avec un déficit de chauffeurs routiers. "S'il n'y avait que de la fibre de cellulose, ce serait bien, mais cette industrie a aussi besoin de produits chimiques, pour son opacité notamment." Avec un impact majeur sur nos sociétés, "le Covid a voulu que tout soit digital, mais ça nécessite des outils, des hommes dans les usines et le besoin d'anticiper". 

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Thomas DESZPOT

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