Vaccins retardés : jusqu'où l'UE peut-elle faire pression sur AstraZeneca ?

par Cédric INGRAND
Publié le 27 janvier 2021 à 17h35, mis à jour le 27 janvier 2021 à 20h28

Source : TF1 Info

SAV - Face à des livraisons attendues quatre fois inférieures aux quantités promises, le torchon brûle entre l'Union Européenne et le laboratoire suédo-britannique, soupçonné de privilégier ses clients les plus offrants. AstraZeneca a réagi ce mercredi en accusant l'UE d'être venue négocier ses commandes bien plus tard que d'autres pays mieux servis... et de mal lire le contrat qui les lie.

C'est peu dire que Covishield, le vaccin d'AstraZeneca, est attendu impatiemment en Europe. Déjà administré par millions de doses au Royaume-Uni, le vaccin devrait recevoir de l'Agence européenne du médicament (AME) son autorisation de mise sur le marché dans l'UE d'ici la fin de cette semaine. Une étape majeure, et pour cause : ce serait le premier vaccin "normal" à être autorisé chez nous, il n'a ni mêmes exigences de conservation, ni la logistique complexe qu'impose ceux disponibles jusque-là. En clair, il serait le premier à pouvoir être distribué et administré dans les mêmes conditions qu'un vaccin antigrippal, par exemple, prêt à être administré par les médecins de ville et dans les pharmacies, de quoi permettre en une véritable campagne de vaccination de masse.

Problème : au lieu des 17,5 millions de doses que la France aurait dû recevoir aux termes du contrat initial, le laboratoire avait déjà prévenu à l'automne que seules 9 millions pourraient être livrées... une quantité qui a depuis été presque divisée par deux. Comme l'annonçait le ministère de la Santé ce mardi, ce ne sont que 4,6 millions de doses qui pourraient arriver chez nous en février et mars. Des estimations à la baisse qui frappent en fait les 27 pays de l'UE, qui comme pour les autres vaccins ont négocié le contrat d'une seule voix, pour un total de 400 millions de doses de Covishield, qui vont donc se faire attendre. Une pénurie que le laboratoire attribue à une "baisse de rendement" du principe actif, dans l'une de ses usines en Belgique.

AstraZeneca favorise d'autres pays clients ?

Une explication difficilement audible alors que des dizaines de millions de doses ont déjà été livrées au Royaume-Uni, et que des campagnes de vaccination ont déjà débuté dans d'autres pays clients du laboratoire, comme en Inde. À Bruxelles, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a appelé lundi le patron du laboratoire britannique, afin qu'il "honore les contrats et conditions prévus dans l'accord de précommande"

À ce jour, l'UE aurait déjà versé près de 340 millions d'euros à AstraZeneca. Un investissement dont l'objet "était de financer en amont le démarrage de la production", rappelle le ministère français de la Santé, qui considère que "l'entreprise aurait dû démarrer la production dès qu'elle le pouvait" et "mettre en stock des vaccins pour commencer à nous les livrer une fois (l'autorisation) reçue"

En creux, l'UE soupçonnerait que des doses potentiellement destinées aux vingt-sept aient pu être livrées à d'autres clients, ceux par exemple qui auraient payé leurs vaccins un peu plus cher. Ce mercredi, Bruxelles a sommé AstraZeneca de lui livrer les doses produites dans deux de ses usines britanniques.

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Du côté du laboratoire, on se défend, et on contre-attaque même... Dans une interview à des médias européens, le PDG français du laboratoire suédo-britannique s'explique. Le Royaume-Uni mieux servi que l'UE ? Pour Pascal Soriot, rien de plus normal : "L'accord britannique a été conclu en juin (2020), trois mois avant l'accord européen (...) Londres a stipulé que l'approvisionnement provenant de la chaîne d'approvisionnement britannique irait d'abord au Royaume-Uni". Un retard reproché à l'Europe dans la négociation de ses précommandes que l'on entendait déjà récemment dans la bouche du PDG de Moderna.

Quant aux soupçons de favoritisme, Pascal Soriot les balaye d'un revers de main : non, le laboratoire ne prend "certainement pas de vaccins aux Européens pour les vendre ailleurs avec profit. (...) Cela n'aurait aucun sens.", rappelant que l'entreprise a dès le début pris l'engagement de ne pas réaliser de profits sur la vente de son vaccin, au moins "pendant le temps de la pandémie". Et de fait, si les prix exacts ne sont pas connus avec précision, tous les montants évoqués jusque-là avoisinent les 3 à 4 dollars la dose, cinq à sept fois moins cher que les vaccins à ARN messager de Pfizer/BioNTech et Moderna.

Que disent les contrats ?

Comme toujours en pareil cas, le plus simple est d'ordinaire de revenir à ce que dit le contrat. Or celui qui lie AstraZeneca à l'Union Européenne - qui gère les commandes de vaccins anti-Covid pour toute l'UE - n'est pas public, pas plus d'ailleurs que ceux signés avec Pfizer ou Moderna. Pour juger des obligations qu'AstraZeneca devrait ou non assumer, on devra donc se contenter des interprétations divergentes des deux parties. Côté laboratoire, on assure que le contrat ne chiffre pas le rythme des livraisons. "Nous ne sommes aucunement engagés auprès de l'UE", assure son PDG, "Ce n'est pas un engagement contractuel. On a dit : on fera de notre mieux, mais sans garantie de réussir".

Des propos qui ont fait réagir Bruxelles : "Nous contestons nombre d'éléments de cette interview, y compris l'idée que la production des usines britanniques serait réservée à des livraisons au seul Royaume-Uni. Ce n'est pas exact", a indiqué un haut responsable de l'UE. "Sur l'idée de 'faire de son mieux', le contrat prévoit l'existence de capacités de production supplémentaires. De telle sorte que s'il y a un problème dans une usine en Belgique, nous puissions recourir aux capacités d'autres usines en Europe ou au Royaume-Uni", insiste-t-il.

Mais au-dessus du contrat, il y a la loi. Ce mardi, la commission de Bruxelles a indiqué qu'elle pourrait contraindre à plus de transparence les laboratoires en général, et AstraZeneca en particulier. Ce lundi, la commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, annonçait de nouvelles règles à venir sur l'exportation des vaccins, qui contraindraient les laboratoires à avertir Bruxelles de toute exportation, mais aussi de communiquer les chiffres exacts de leur production, usine par usine. Signe que l'urgence aidant, la confiance n'exclut pas le contrôle. Une nouvelle réunion virtuelle entre la Commission Européenne et les dirigeants du laboratoire devrait avoir lieu ce mercredi en fin de journée.


Cédric INGRAND

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