D'où vient cette théorie du "vote caché" aujourd'hui revendiquée par l'équipe de François Fillon ?

Publié le 31 mars 2017 à 15h36, mis à jour le 31 mars 2017 à 17h05
D'où vient cette théorie du "vote caché" aujourd'hui revendiquée par l'équipe de François Fillon ?

ESPOIR CACHÉ - Depuis une semaine, l'équipe Fillon relaie la thèse du "vote caché" pour expliquer que les instituts de sondage sous-évaluent son candidat. De quoi parle-t-on ?

A moins de quatre semaines du premier tour, les sondages ne sont pas très favorables à François Fillon. Le candidat de la droite pointe en troisième position, entre 17 et 20%, loin derrière les deux favoris, Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

Alors, par petites touches, l'équipe Fillon avance une nouvelle stratégie : donner au vote en faveur du candidat de la droite le goût de la transgression. Depuis une semaine, cette stratégie est relayée avec un argument, celui du "vote caché". Des électeurs qui dissimuleraient leurs intentions, en raison de la "cabale" médiatique supposée contre leur candidat, et ne s'afficheraient que sur les réseaux sociaux. Jérôme Chartier, lieutenant de François Fillon, résumait ainsi cette semaine sur LCI : "Des électeurs n'osent plus dire aux sondeurs qu'ils vont voter pour François Fillon". Un argument répété en boucle ces dernières heures par la députée LR Valérie Boyer, proche de François Fillon, qui du même coup met en doute la fiabilité des sondages. 

Une théorie ancienne

L'hypothèse d'un "vote caché" est traditionnellement prêtée aux électeurs du Front national, surtout depuis l'élection de 2002. Elle s'évalue plutôt a posteriori. "Il y a toujours eu des spirales du silence. Pour les mesurer, on demande aux gens ce qu'ils ont voté à la dernière élection, puis on compare ces déclarations à la réalité du dernier vote", explique Guénaëlle Gault, Chief Digital Officer chez Kantar Public. Depuis cinq ans, on constate que cette sous-déclaration tend à disparaître : les électeurs FN assument de plus en plus, d'autant que les enquêtes se font souvent dans l'anonymat d'Internet.  "On a même constaté, dans certains cas, que les gens déclaraient davantage de vote FN que dans la réalité", ajoute la spécialiste. Le FN peut ainsi être parfois surévalué : par exemple, lors des régionales dans le Nord, Xavier Bertrand (LR) a battu Marine Le Pen avec 57,7% des voix, soit 4 points au-dessus des dernières prévisions. 

Le fameux "vote caché" est toutefois revenu par un autre biais : comme argument de campagne. Dès 2012, les soutiens de Nicolas Sarkozy clamaient, avant le premier tour, que le Président sortant était sous-évalué. A l'arrivée, Nicolas Sarkozy avait terminé la course avec 48.36% des voix au second tour, légèrement au-dessus des derniers sondages qui le situaient entre 45 et 47%. Mais à l'époque, les enquêtes d'opinion avaient bien anticipé la remontée de Nicolas Sarkozy dans la dernière ligne droit, ce qui n'est pour l'heure pas avéré pour François Fillon. Nicolas Sarkozy a de nouveau annoncé un "vote caché" à son profit lors des primaires de la droite en novembre 2016, mais il a été éliminé dès le 1er tour avec 20.7% des voix.

Une équipe Fillon entre doigt mouillé et outils alternatifs

Comme l'indiquent les soutiens de François Fillon, c'est "sur le terrain" et au vu du succès des meetings qu'ils déduisent une sous-estimation de la popularité réelle du candidat. Une affirmation au doigt mouillé. 

Mais ils s'appuyent surtout sur des outils alternatifs. Parmi ceux-ci, la mesure Filteris, du nom de cette société canadienne qui s'est fait un nom durant la campagne victorieuse de Donald Trump en évaluant "le poids numérique des candidats", à l'aune du buzz et de la perception qu'ils génèrent sur les réseaux sociaux (articles relayés, commentaires, mentions...), sans faire appel à des échantillons représentatifs comme les instituts de sondage. La société avait ainsi pu mesurer la dynamique de François Fillon lors de la primaire de la droite, tout en sous-évaluant largement, au premier tour, les intentions de vote en sa faveur, et en pronostiquant l'échec d'Alain Juppé dès le premier tour. La dernière mesure Filteris, au 31 mars 2017, place Marine Le Pen et François Fillon en tête des candidats les plus "bruyants" sur les réseaux sociaux, ce dont se réjouit le camp Fillon. 

Prudence nécessaire

François Fillon doit-il pour autant crier victoire ? Probablement pas. "Les mesures de Filteris fournissent une approche complémentaire qui permet de détecter plus rapidement les dynamiques, la performance de la campagne", observe Guénaëlle Gault. "En revanche, on ne sait rien de la méthodologie utilisée. De plus, on ne peut pas déduire de ces éléments des intentions de vote." Et encore moins mesurer un éventuel "vote caché"... 

Les instituts de sondage traditionnels se mettent eux aussi à scruter les réseaux sociaux afin de percevoir plus rapidement la résonance d'une campagne. Chez Kantar, le dernier "indicateur d'engagement", publié le 19 mars, plaçait Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en tête sur Facebook, devant François Fillon, Emmanuel Macron pointant à la cinquième place. Sur Twitter, François Fillon arrivait en tête devant Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Pourtant, le sondage réalisé simultanément ne prêtait que 17% des intentions de vote au candidat de la droite, 9 points derrière Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Et jusqu'ici, aucun sondage n'a vu Jean-Luc Mélenchon parvenir au second tour de la présidentielle... Conclusion : ni le"poids numérique" d'un candidat ni son potentiel de buzz ne semblent permettre de déterminer s'il va bénéficier d'électeurs "cachés" et s'il remportera in fine la présidentielle. Est-ce vraiment surprenant ?

 


Vincent MICHELON

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