Européennes : Artemis Sorras, le gourou faussement milliardaire qui a promis de payer la dette grecque

Publié le 21 mai 2019 à 17h30, mis à jour le 22 mai 2019 à 17h50

Source : Sujet JT LCI

LES EUROPÉENNES VUES D'AILLEURS - Parmi les quarante listes qui se présentent devant les électeurs grecs ce dimanche, l'une est conduite, depuis sa prison, par Artemis Sorras. Un mégalomane ouvertement antisémite et conspirationniste qui promet de payer la dette du pays avec une fortune hypothétique. Un homme à qui ses partisans vouent un culte quasi sectaire, malgré sa mise en cause dans de nombreuses procédures judiciaires.

Au milieu de drapeaux aux couleurs de la Grèce, cinq personnes interpellent les promeneurs aux abords du lac de Kastoria, dans le nord du pays. "Maintenant nous savons, nous sommes éveillés et ne pouvons plus fermer les yeux", lance l’un d’eux à un passant suspicieux. Ce sont des militants de l’Assemblée des Grecs, qui profitent des vacances de Pâques pour démarcher les habitants de cette ville de 16.200 âmes. Ici tout le monde a un avis sur ce groupe encore peu connu à l'étranger. Lancé en 2015 comme une secte, il est désormais un parti suffisamment puissant pour se présenter aux élections européennes. Ses thématiques : la dette, l’euro, les mensonges du gouvernement, mais aussi les "juifs", les "traîtres", et ce chiffre faramineux : 600 milliards de dollars. À sa tête, Artemis Sorras, un prétendu milliardaire ultra nationaliste. 

Un ancien homme d'affaires antisémite et conspirationniste

Dans les repas de famille, cet homme d’une cinquantaine d'années alimente quelques conversations. Outre sa passion - le mot est faible - pour l’antiquité grecque, il est décrit comme un antisémite, un conspirationniste et un fervent patriote. Des croyances qui vont au-delà de l’extrême droite : Artemis Sorras juge son peuple tout simplement supérieur aux autres. Pour donner une idée du personnage, est souvent évoquée l'une de ses déclarations passées, lorsqu'il avait estimé que les Jeux Paralympiques étaient "une honte pour les Jeux Olympiques", parlant d’"une provocation pour l’être humain" et d’"animaux" en train "de construire une planète d’handicapés". 

C’est en 2012 que les Grecs découvrent le visage d'Artemis Sorras. L’ancien homme d’affaires venu de Patras, dans le Péloponnèse, apparaît pour la première fois à la télévision. Il certifie alors qu’il peut changer l’avenir du pays en payant ses dettes faramineuses. Toutes ses dettes. Comment ? Notamment grâce à quarante bons de la "Banque d’Orient" - un établissement ayant existé dans les années '30 et qui a été racheté par la Banque nationale grecque - qu’il posséderait. Selon lui, chacun d’eux vaudrait 600 milliards de dollars. L’équivalent de quatre fois la fortune personnelle de Jeff Bezos, patron d’Amazon et homme le plus riche au monde. Sauf qu’évidemment, la réalité est tout autre. De fait, ces bons se récupèrent facilement dans les vieillies brocantes du quartier de Plaka, à Athènes, moyennant moins d’une centaine d’euros. Mais aussi sur Amazon, justement, pour près de 175 dollars. 

Mais là ne serait pas le seul fruit de la fortune d’Artemis Sorras. Le leader de l’Assemblée des Grecs dit également avoir vendu une technologie qu’il a confectionnée en étant directement inspirée par un matériau provenant… du dieu Apollon. Une technologie qu’il aurait ensuite vendue à prix d’or aux Etats-Unis. De quoi lui permettre de racheter sans problème la dette grecque, donc, et de mettre fin aux politiques d’austérité. C’est pourquoi il déclare avoir déposé, le 28 septembre 2012, sur un compte bloqué, 600 milliards de dollars, avec la "République hellénique" comme seule détentrice de cette somme, rendant ainsi bénéficiaire "chaque citoyen grec autochtone" d’une partie du pactole. 

Vidéo d'Artemis Sorras, dans laquelle il déclare que les personnes handicapées sont des "animaux", le 9 septembre 2016, sur Rizopoulos Post
Vidéo d'Artemis Sorras, dans laquelle il déclare que les personnes handicapées sont des "animaux", le 9 septembre 2016, sur Rizopoulos Post - Capture d'écran / RIZOPOULOS POST

Après un an de cavale, il purge une peine de huit ans de prison

Après le supposé refus du gouvernement d’accepter son aide, Artemis Sorras se positionne en martyr. Une victimisation de laquelle accouche, en 2015, "l’Assemblée des Grecs". A l’époque, le milliardaire autoproclamé propose à toute personne qui deviendra membre du groupe de lui payer toutes ses factures : taxes, impôts locaux, banque, assurance, électricité, eau, crédits… Une ardoise complètement effacée contre la modique somme de 20 euros, montant dont doivent s’acquitter tous les adhérents. Chacun d’eux se voit alors remettre une lettre, rédigée par le chef du parti, avec un numéro de compte permettant de s’affranchir de ses dettes. Une promesse qui, portée par la crise économique et sociale traversée par le pays depuis dix ans, va connaître le succès. Selon un journaliste de Vice Greece, qui, en 2017, a passé deux mois au sein de ce qui s’apparente clairement à une secte, 12.000 adhérents avaient été séduits en à peine deux ans d’existence. Pour comprendre le phénomène, il suffit d’imaginer ce que promet ce gourou : une vie libérée de toute créance, un quotidien épargné par l’austérité qui a frappé le peuple grec en 2008.

Sa figure de persona non grata se renforce en 2017. En mars, cette année-là, sa femme et lui sont reconnus coupables par un tribunal de Patras de détournement de fonds. Le couple Sorras arnaquait les clients de son nouveau commerce automobile avec une méthode simple : il vendait le même véhicule à plusieurs personnes, sans jamais le leur livrer. Parmi les victimes, son ami et ancien avocat, Fotis Lepidas, qui avait demandé à Artemis Sorras de céder pour lui sa voiture d’une valeur de 50.000 euros. Témoin de son mariage, il l’avait rencontré dans les années 80'. Dans les médias grecs, le juriste décrit son ancien client comme quelqu’un qui cherchait à "cacher son manque de culture générale et d’éducation". Le créateur de l'Assemblée des Grecs n’a jamais terminé l’école primaire. 

Bien qu’absent à son procès, le "dieu grec" du populisme est condamné à huit ans de prison. Mais à la surprise générale, il passe un an en cavale, ce qui nourrit les théories d’un départ vers l’étranger. Il est en fait retrouvé le 16 juin 2018, dans le sous-sol d’une maison de la banlieue athénienne. Méconnaissable avec une barbe fournie et des cheveux gris qu’il avait laissé pousser, il se faisait passer pour un pope [les prêtres de l’église grecque orthodoxe]. 

Il dit la vérité, c'est pour ça qu'ils l'ont condamné
Dimitri, membre de l'Assemblée des Grecs

Depuis cette fin de cavale, l’homme vit en prison. Mais ses ennuis judiciaires servent d’argument à ses adorateurs. Alors que dans sa déclaration au fisc datée de 2014, Artemis Sorras annonce ne gagner que 20.000 euros par an, alors qu’en janvier 2017, la Banque de Grèce assure que, après enquête, les biens qu’il dit posséder sont introuvables, et alors que, le 3 janvier 2018, il demande à ses adhérents de payer tout ce qu’ils devaient afin de ne pas perdre leurs maisons, rien n’y fait : les membres de l’Assemblée des Grecs continuent de soutenir leur vedette. Une confiance aveugle qui a fini par faire de ce groupuscule un parti.

Lors d’une énième action de prosélytisme ayant eu lieu en avril dernier, une dizaine d’entre eux se sont rendus sur un péage de l'autoroute Egnatia. Sur cet axe, l'un des plus importants du pays, et ce depuis l'empire romain, le groupe a installé une ribambelle de drapeaux grecs sur la ligne de délimitation. Vêtus d'un gilet jaune, probablement plus pour des raisons de sécurité qu'en hommage au mouvement français, ils distribuent des tracts aux conducteurs. Sur fond bleu, quarante-deux noms apparaissent. Ce sont les candidats de la liste de l'Assemblée des Grecs aux Européennes. Leur programme : contrôler tous les "contrats et leurs conditions cachées" signés "sans l’accord des Grecs", déclarer "les richesses dont [ils] ont hérité", "promouvoir tous les droits culturels et héréditaires de [leur] civilisation". Des objectifs confus, dont le seul dessein est celui de redonner au peuple hellénique "la place qu’il mérite sur cette planète". Un discours qui plaît à une société très fière de son patrimoine. Selon le Pew Research Center, un centre de recherche et de statistiques américain, 89% des Grecs estiment que leur culture est supérieure à celle des autres. En comparaison, les Français ne sont que 36%. 

Aussi surprenante que soit la situation, Artemis Sorras peut néanmoins conduire sa liste derrière les barreaux de sa prison puisqu'il faut, en droit grec, que toutes les condamnations le visant soient définitives avant d'être frappé d'inéligibilité. Ce qui n'est pas encore le cas : l'homme est encore sous le coup de six autres procédures pour lesquelles il risque la prison à perpétuité. Parmi celles-ci, la participation à une organisation criminelle, la diffusion de fausses nouvelles et l’appel à la haine.

Mais comment expliquer que des personnes aussi nombreuses continuent à suivre ce projet ? Pour le comprendre, il suffit de se rendre dans l’une des 306 permanences que l’Assemblée des Grecs revendique dans le pays et à l’étranger. Avec une cinquantaine de bureaux "en cours d’aménagement", il y en a désormais deux-cents de plus qu’il y a deux ans. A Kastoria, le groupe s'est installé à la place d'une ancienne boulangerie. Devant la façade bleue et blanche aux vitres cachées par des affiches montrant les "preuves de l'existence des 600 milliards de dollars" et, comme toujours, le drapeau grec, on y retrouve l’un des visages qui était au bord du lac, celui de Dimitri. Ancien homme d’affaires dans la ville, il reprend son verbatim complotiste : "Maintenant nous avons ouvert les yeux sur ce qu’il se passe, sur tout." A la question de savoir combien le parti compte d'adhérents dans le pays aujourd’hui, celui qui est pourtant à la tête de la permanence répond par un très vague "nous sommes beaucoup, des millions". Et quand on lui demande des précisions, ce sexagénaire attaché à sa veste en cuir usée par le temps "ne [sait] pas". Mais peu importe, à ses yeux,"l’important c’est que nous soyons informés". "Chaque jour, le peuple en apprend un peu plus, et c’est ça dont ils ont peur." Un "ils" derrière lequel ils rangent "tous ceux qui tiennent les ficelles du pouvoir", et dont le seul objectif est, selon ce groupe, de décrédibiliser la Grèce, pour retirer les richesses d’un pays qui a "la même fortune que vingt France". 

La permanence de l'Assemblée des Grecs, le parti d'Artemis Sorras, le 30 avril, à Kastoria dans le nord de la Grèce.
La permanence de l'Assemblée des Grecs, le parti d'Artemis Sorras, le 30 avril, à Kastoria dans le nord de la Grèce. - Felicia Sideris

Reste que, pour l'heure, "l'Assemblée des Grecs" ne récolte même pas 1% d’intentions de vote dans les derniers sondages. Mais elle commence à inquiéter dans un pays ou un autre parti d'extrême-droite - Aube Dorée (crédité de 7,3% d'intentions de votes) - prospère lui aussi sur le thème de la "Grèce au Grecs", sur fond de crise économique et sociale. Signe de cette appréhension : dans le journal télévisé du 13 mai d'ANT1, le présentateur phare de cette chaîne privée a clôturé son sujet en s'adressant directement aux citoyens, espérant, face caméra, "pouvoir compter sur la sagesse du peuple". 


Felicia SIDERIS

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