Souvent donné pour mort, mais toujours vivant : petite histoire du "front républicain"

par Matthieu JUBLIN
Publié le 2 juin 2017 à 8h00
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Source : Sujet JT LCI

BARRAGE - Mis à mal lors de la présidentielle, le front républicain est remis au goût du jour par François Baroin, chef de file LR pour les législatives, mais aussi par Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement. Cette notion de coalition pour faire battre l'extrême droite a structuré plus de 60 ans de vie politique française, avec des hauts et des bas...

On entend parler de lui chaque fois que l’extrême droite est aux portes du pouvoir. Le "front républicain", entente de circonstance entre les partis de droite et de gauche, n’a peut-être pas autant de plomb dans l’aile qu'on pouvait le penser. Annoncé mort lors de l’élection présidentielle, quand de nombreuses personnalités ont refusé d'appeler à voter Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen, le voilà défendu par deux figures politiques de premier plan pour les législatives : François Baroin, qui mène la campagne pour Les Républicains, et Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement.

Ce dernier a annoncé mardi que les candidats de La République en marche (REM) se désisteront entre les deux tours "partout où le risque du Front national est présent". François Baroin avait estimé la veille que "les désistements devront faire partie de l'entre-deux tours législatif". Cette position constitue un revirement d’importance pour la droite, qui avait adopté en 2011 la stratégie du "ni-ni" : ni Front national, ni front républicain. Un nouveau rebondissement dans l'histoire mouvementée de cette notion.

Né en 1955 contre Pierre Poujade et le jeune Jean-Marie Le Pen

L’histoire du front républicain se confond avec celle des succès électoraux de l’extrême droite. Et il faut remonter à la quatrième République pour le voir naître. Nous sommes en 1955, en pleine guerre d’Algérie, et Pierre Poujade menace de remporter les législatives de 1956 avec son mouvement nationaliste, xénophobe et anti-fonctionnaires.

 

La SFIO et son chef Guy Mollet, les radicaux de gauche, les gaullistes (menés par Jacques Chaban-Delmas), et le mouvement de François Mitterrand, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance, décident de sceller une alliance et remportent en 1956 192 sièges de l’Assemblée sur 595, contre 52 sièges pour les poujadistes. Dont un remporté par un certain Jean-Marie Le Pen, alors âgé de 27 ans. 

Dans les années 1980 et 1990, quelques hauts et beaucoup de bas

En 1983, une liste d’union entre chiraquiens et lepéniste gagne l'élection municipale de Dreux. À gauche, seul Michel Rocard appelle à la création d’un "pacte démocratique" pour battre le FN. Les dirigeants de droite lui envoient une fin de non-recevoir, à l'image de Jacques Chirac : "Ceux qui ont fait alliance avec les communistes sont définitivement disqualifiés pour donner des leçons en matière de droit de l’homme et de règles de démocratie". Un argument repris par Charles Pasqua, Alain Juppé ou Valéry Giscard d’Estaing, qui ont soutenu l’alliance des droites au niveau local.

 

Alors que la droite poursuit sa logique d’alliance et que le PS ne s’entend pas sur le principe d’une alliance contre le FN, le parti d’extrême droite progresse dans les urnes. Lors de la première cohabitation de 1986, Jacques Chirac met en place un premier  “cordon sanitaire” en excluant tout accord avec le FN, mais certains dans son camp veulent poursuivre la logique d’alliance des droites. 

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Quelques exceptions locales survivent néanmoins, et des alliances sont conclues entre droite et FN aux régionales de 1986, avec l’accord de Jacques Chirac. Lors des législatives de 1988, un accord est même signé en PACA entre le RPR, le FN et l’UDF, pour se désister en cas de possible victoire du PS, une tactique qualifiée de “discipline nationale” par Jean-Marie Le Pen. 

 

Après l’alliance des droites, c’est le “ni-ni” qui fait plutôt consensus au RPR dans les années 1990, même si des personnalités comme Philippe Séguin défendent l’idée du front républicain. À gauche, l’idée a fait du chemin, à l’initiative de Michel Rocard et Pierre Mauroy, même si, en 1995, Martine Aubry appelle à “se garder de toute stratégie politique qui donnerait le sentiment que les différences entre ce que propose la droite et ce que nous voulons entreprendre sont, en définitive, minimes”. 

Les années 2000 : l’âge d’or du front républicain

Il faut attendre les législatives de 1998 pour voir la droite adopter largement l’idée d’un cordon sanitaire contre l’extrême droite. Jacques Chirac dénonce alors l’alliance proposée par le FN aux candidats de droite. Les alliances locales sont donc exclues, mais la droite ne revendique pas encore de front républicain qui la conduirait à se retirer au profit de la gauche lors de certaines élections 

 

Le véritable séisme a lieu le 21 avril 2002. Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour de l’élection présidentielle et toute la gauche, à part Arlette Laguiller, appelle à voter Jacques Chirac. Régionales 2004, législatives 2007 et municipales 2009 : lors de ces scrutins, droite et gauche se retirent régulièrement au second tour pour faire barrage au Front national. 

Depuis 2010, le retour du "ni-ni"

Le mandat de Nicolas Sarkozy marque le retour, lors des élections cantonales de 2011 du “ni-ni”, déjà adopté par la droite dans les années 1980 et 1990. Idem aux municipales de 2014. Progressivement, à l’UMP, certaines personnalités comme Jean-Pierre Raffarin ou Nathalie Kosciusko-Morizet grincent des dents et réclament un retour du front républicain.

 

À gauche, quinze ans après le traumatisme du 21 avril 2002, le front républicain se fissure également. Si les cadres du PS y restent favorables (même quand leurs homologues de l’UMP ne le sont pas), la “gauche de la gauche” refuse de plus en plus régulièrement d'appeler à voter à droite pour faire barrage au FN. Dernière illustration en date : le refus de Jean-Luc Mélenchon d’appeler à voter Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. Le candidat de la France insoumise s'était contenté de demander de ne donner aucune voix à Marine Le Pen. 


Matthieu JUBLIN

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