Dans la 1e circo de l'Essonne, bataille compliquée pour Valls : "Il nous a trompés"

par Antoine RONDEL
Publié le 8 juin 2017 à 19h18
Dans la 1e circo de l'Essonne, bataille compliquée pour Valls : "Il nous a trompés"

REPORTAGE - Dans la 1ère circonscription de l’Essonne, la bataille législative se joue dans une ambiance particulière, loin des débats nationaux. Car le député sortant, un certain Manuel Valls, se présente, dans un climat où le "dégagisme" est toujours vivace. Une aubaine pour ses adversaires, notamment la candidate insoumise Farida Amrani.

Il est nulle part et partout à la fois. A Evry, dans la 1ère circonscription de l'Essonne, localité populaire depuis longtemps acquise à la gauche, Manuel Valls se présente pour un 4e mandat et, hormis sur les affiches de campagne, on a peine à le savoir. "Nous avons fait le choix de ne pas parler aux médias nationaux et de nous centrer sur une campagne de terrain", nous explique-t-on à la permanence de son suppléant Carlos Da Silva, avant de nous raccrocher au nez après avoir un peu trop insisté. A la fédération PS de l'Essonne, on nous renvoie vers une seule référente, la secrétaire de la section locale, soutien de l'ex-Premier ministre, qui nous éconduit poliment : "Je n'ai vraiment pas le temps, la campagne s'accélère." Pas plus de succès auprès des militants, qui fuient aussi les questions de la presse nationale. 

"Blancos", déchéance et 49-3, les boulets indécrochables

Les autres candidats, en revanche, sont bien là. Ils espèrent bien profiter du rejet que suscite le député sortant, contre lequel ils n'économisent pas leurs coups. "C'est une imposture", tranche Alban Bakary, élu Modem à Evry, qui s'échine à convaincre à chaque porte qu'il est bien plus le candidat de la majorité présidentielle que Manuel Valls. Une gageure, dans une circonscription où la République en marche (REM) a ménagé l'ancien Premier ministre en ne lui présentant aucun candidat face à lui. Résultat, ils sont quatre, Manuel Valls compris, à se réclamer du mouvement : un ex-socialiste, un ex-adjoint de Serge Dassault à Corbeil-Essonnes (l'autre grande commune de la circonscription)... et Alban Bakary. 

Alban Bakary, candidat Modem
Alban Bakary, candidat Modem - AR/LCI

Une campagne qui se déroule un peu à l'abri des sujets nationaux : "Dans l'esprit des habitants, les sujets extérieurs aux législatives sont dépassés par la volonté de dégager l'équipe sortante." Une analyse confortée par le ressenti donné par les habitants, qui gardent en mémoire "la polémique sur les blancos", en 2009, "le temps perdu à s'acharner sur Dieudonné (qui se présente face à Manuel Valls, ndlr)", "la déchéance de nationalité" et "le manque de loyauté" vis-à-vis de Benoît Hamon, vainqueur de la primaire PS, que Manuel Valls a laissé tomber en pleine campagne au profit d'Emmanuel Macron

Ali, croisé à la sortie d'un café noyé au milieu des barres d'habitation, ne veut plus entendre parler du député sortant : "J'ai fait des campagnes avec lui, en me couchant à 3h du mat dans une camionnette pour coller ses affiches. Je n'ai eu aucune reconnaissance." Du coup, pour les législatives, il votera... à droite, par calcul : "Quand tu connais ton ennemi, tu es avantagé. Valls, on l'a pas vu venir et il nous a trompés." Un sentiment partagé par Alexandre, restaurateur dans le centre-ville d'Evry : "J'ai voté pour lui en 2012, aux législatives. J'aurais mieux fait de me couper la main." Pourtant, ce trentenaire y croyait : "Il avait la hargne, j'aimais bien. Et là, il vient nous la faire à l'envers avec son 49-3 ?". Une tension qui se concrétise dans la campagne : "Les siens n’osent plus venir tracter dans certains endroits de peur de recevoir des œufs", nous confie ainsi Zubair, ex-militant PS de 20 ans qui a déchiré sa carte à l’automne dernier. 

Valls, brouilleur de campagne

Manuel Valls se voit également couvert de reproches plus personnels : "Ça fait depuis 2004 que je l'entends dire qu'il veut être président de la République. Mais il est comme vous le voyez au niveau national : sans colonne vertébrale politique, toujours à faire des coups de menton, autoritaire, à la limite de la violence", nous confie cet ancien chargé de mission à la mairie d'Evry, croisé au détour d'une école du quartier des Epinettes. "Coups de menton"... l'expression revient aussi dans la bouche de François, qui ressasse "la déchéance de nationalité, une connerie monumentale" et soutient que, "quand on sort de Matignon, on ne redevient pas député." Plus mesuré dans ses critiques, ce retraité fonctionnaire a "soutenu Valls, dans le temps, pour ce qu'il a fait pour la ville"... mais cela ne l'empêche pas de lui promettre "une traversée du désert".

Dans cette ambiance particulière, se faire entendre sur d'autres sujets n'a rien d'évident : "C'est difficile de passer à côté, regrette la candidate LR/UDI Caroline Varin. Je n'ai pas besoin de critiquer Valls pour faire ma campagne. Je veux être un garde-fou devant l’hégémonie d’En marche, une alternative à l'extrême droite, et m'assurer que ses bonnes dispositions économiques n'en restent pas au stade des bonnes intentions." Avec son suppléant Jean-François Bayle, ils saluent les premiers pas de la réforme du code du travail, mais préviennent : "Ce n'est que le début. Que se passera-t-il quand ces nouveaux députés auront une autonomie vis-à-vis du mouvement ?" Mais l'anti-vallsisme refait rapidement surface : "A force de tourner dans le sens du vent, on se laisse emporter", sourit Jean-François Bayle, en référence aux appels du pied à Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle.

Caroline Varin/Jean-François Bayle
Caroline Varin/Jean-François Bayle - AR/LCI

Michel Nouaille, le candidat communiste, soutenu par EELV, le PCF et... Benoît Hamon, adhère aussi à l'idée du référendum anti-Valls : "Sauf que je n'arrive pas à dire qu'il faut le dégager. Ce n'est pas ma nature", dit celui qui s'embarque volontiers dans une discussion sur la pertinence du clivage entre le capital et le travail, la violence symbolique et la lutte des classes. Ce qui ne l'empêche pas de constater que son adversaire "a hystérisé le débat", au point que "les gens veulent se le payer." Il tient toutefois à se démarquer de Dieudonné, en misant sur sa bienveillance : "Les autres veulent se le payer. Nous, on est là pour les habitants." Même sentiment du côté de Jacques Borie, candidat du collectif éco-citoyen 100% en compagnie d'un certain Francis Lalanne : "Je veux le battre mais je suis anti-dégagiste".

Michel Nouaille et Mina Fayed (à gauche), Jacques Borie (à droite)
Michel Nouaille et Mina Fayed (à gauche), Jacques Borie (à droite) - AR/LCI

Farida Amrani, insoumise en pôle position

La posture générale qui consiste à vouloir se débarrasser de Manuel Valls ou convenir que sa réélection est mal engagée fait pour l'instant les affaires de Farida Amrani. La candidate de la France insoumise est donnée à égalité avec ce dernier au second tour. Attablée sur une terrasse du centre d'Evry, elle se place déjà au-dessus de la polémique et veut parler d'enjeux nationaux. La nouvelle loi travail est au centre des débats. Sur la forme : "A côté des ordonnances, le 49-3, c'est rien". Et sur le fond : "C'est la fin du CDI, la précarisation des femmes... on comprend le projet ultra-libéral de Macron".

Ulysse Rabaté et Farida Amrani
Ulysse Rabaté et Farida Amrani - AR/LCI

Celle qui veut "emmener le programme de l'Avenir en commun avec elle au Parlement" et instaurer "un contrôle citoyen" sur son activité parlementaire surfe sur la vague qui a amené Jean-Luc Mélenchon en tête de la circonscription... Et, quand même, sur le "dégagisme" anti-Valls dans la localité : "Pourquoi en serait-il autrement ?" Son suppléant Ulysse Rabaté saisit la perche : "C'est vrai, c'est l'occasion de tourner la page Valls, de retrouver une dignité dans l'exercice de la politique." Une dynamique qui n'est pas pour rassurer, chez la candidate Les Républicains, dont une partie de l'électorat pourrait bien voter Amrani, de façon à obtenir le départ de Valls : "L'opposition finit par se radicaliser. Honnêtement, ce parti [la France insoumise, ndlr] ne me rassure pas". Que la gauche soit divisée n'y change rien. Jean-François Bayle en est au point d'espérer, pour dissiper l'hypothèse, d'un "front républicain à l'envers" au second tour. Une manière d’enlever des épaules de Manuel Valls ce costume d’épouvantail que chacun se plait à lui coudre.


Antoine RONDEL

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