Où en est La France insoumise, quelques jours après la débâcle des européennes ?

Publié le 30 mai 2019 à 17h38

Source : TF1 Info

REMISE À PLAT - Sonnés par la défaite aux élections européennes, les lieutenants de Jean-Luc Mélenchon ont reconnu l'échec de la campagne mais entendent en débattre en famille. Mise à part l'électron libre Clémentine Autain, qui n'a pas attendu pour dégainer contre le leader LFI.

Comment les Insoumis interprètent-ils la défaite de leur liste aux élections européennes ? Difficile à dire, quatre jours après le scrutin au cours duquel les électeurs leur ont accordé 6.31% des suffrages, moins du tiers du score recueilli par Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. 

Depuis dimanche, les principaux lieutenants de La France insoumise sont retournés à leurs combats : dénoncer la réforme du règlement de l'Assemblée nationale qui "bâillonne l'opposition", dénoncer la suppression de 1.000 emplois chez General Electric à Belfort, ou encore les livraisons d'armes à l'Arabie saoudite. Alors que la droite LR se déchire publiquement au sujet de ses 8.5%, côté Insoumis, la déception a laissé place à un silence relatif. 

Un résultat "très décevant"

Dans leurs déclarations publiques, les responsables LFI ont repris peu ou prou les éléments de langage donnés par Jean-Luc Mélenchon le 26 mai au soir. "Notre résultat est très décevant", avait alors reconnu le député des Bouches-du-Rhône. "Il n'est pas à la hauteur de nos espérances et de nos efforts." Il a également estimé que la responsabilité de son mouvement était de "continuer à tracer le chemin". Depuis, Jean-Luc Mélenchon ne s'est plus exprimé officiellement à propos de ce scrutin. 

"Ce n'est pas à la hauteur ni de nos attentes ni des efforts mis dans la campagne", "nous sommes battus mais pas abattus", "les résultats ne sont pas à la hauteur de nos efforts, mais les jours heureux adviendront", ont enchaîné dans son sillage les députés Ugo Bernalicis, Mathilde Panot et Bastien Lachaud. 

Esquisse d'autocritique

D'autres sont toutefois allés un peu plus loin, amorçant un début d'autocritique sur les raisons pour lesquelles les Insoumis avaient fini la course si bas, alors que les sondages les prédisaient en tête des listes de gauche. "C'est un échec. Peut-être que notre campagne a manqué un peu d'identité", a ainsi estimé le député Alexis Corbière jeudi sur France 2. "C'est compliqué d'expliquer qu'il faut sortir des traités sans complètement bouleverser l'Union européenne. On s'y perdait."

Pour sa collègue Danièle Obono, "il faut prendre le temps d'analyser". "Nous avons commencé à avoir des discussions collectivement, pour savoir pourquoi nous n'avions pas réussi à briser le duo de complaisance [RN-LaREM] qui a été organisé pendant des mois", a-t-elle estimé sur BFMTV. "Nous avons beaucoup à discuter pour arriver à briser cette trajectoire. L'électorat ne s'est pas mobilisé suffisamment."

Quant à Eric Coquerel, le leader du Parti de gauche - l'une des composantes fondatrices de LFI -, il a vu dans cet échec une conséquence de l'abstention. "Dans toute l'Europe, notre famille politique a subi un revers. L'époque est plus favorable aux forces xénophobes. Notre électorat populaire s'abstient considérablement, car critique à raison vis-à-vis de l'Union européenne", a-t-il analysé sur Twitter. Une analyse relativisée par les premières études post-électorales, qui montrent, outre le fait que l'abstention a reculé de près de dix points par rapport à 2014 - du jamais vu depuis 1994 -, que l'électorat populaire s'est tourné massivement vers le RN, tandis que LFI trouvait ses soutiens, pour partie, au sein d'un électorat plus diplômé. 

Clémentine Autain ouvre les hostilités

A l'Assemblée nationale, le groupe LFI abrite deux "électrons libres" : François Ruffin, resté muet sur le sujet depuis le scrutin de dimanche, et Clémentine Autain, proche du mouvement Ensemble et directrice de la revue de gauche radicale Regards, qui n'a pas hésité, durant la campagne, à relayer des regards critiques sur la stratégie des Insoumis. C'est précisément d'elle qu'est venue la première salve. "C'est évidemment un problème de ligne, de profil politique, de ce qu'on a donné à voir depuis deux ans", a-t-elle lâché lundi sur BFMTV. "Nous gagnons lorsque nous sommes du côté de l'espérance, et pas quand nous sommes du côté du ressentiment ou de la haine". Une critique à peine voilée de la stratégie "clivante" de Jean-Luc Mélenchon, qui n'est d'ailleurs pas une première : Clémentine Autain avait déjà laissé entendre sa voix à l'automne dernier, pour critiquer le positionnement du leader insoumis sur l'immigration

Y a-t-il eu une franche explication depuis dimanche chez LFI ? Nulle ne le sait. Rien n'a filtré de la réunion du groupe parlementaire qui s'est tenue mardi matin. "Ça s'est bien passé, chacun a pu exprimer sur ce qu'il pensait de la campagne", s'est contenté de résumer Eric Coquerel. 

Quel positionnement à 10 mois des municipales ?

En interne, le débat semble plus complexe qu'un simple positionnement par rapport à Jean-Luc Mélenchon. Parmi les rares voix ouvertement critiques, Manon Le Bretton, responsable de l'Ecole de formation insoumise, a exprimé ses doutes, sur Twitter, quant au positionnement de LFI, laissant entrevoir un débat à venir. "Epuisée par cette campagne. Pas tant par l'énergie déployée sur le terrain, que par les désaccords et alertes que j'ai exprimés en interne quant à la ligne adoptée, qui abandonnait le travail remarquable engagé en 2017."

Deux approches, au moins, s'entrechoquent. D'un côté, la ligne défendue par Clémentine Autain, qui visait à ouvrir LFI aux autres forces de gauche. Et qui s'est traduite, d'une certaine façon, par la désignation de Manon Aubry, militante venue d'un autre horizon, et la conduite d'une campagne de gauche radicale plus classique et moins clivante. De l'autre, celle des tenants de la ligne originelle, indépendante des autres formations et fondamentalement eurosceptique - avec le fameux plan B assumant une sortie de l'UE. Un clivage bien résumé par Raquel Garrido, ex-porte-parole de LFI et compagne d'Alexis Corbière, dans une interview à Regards où elle règle ses comptes avec Clémentine Autain, critiquant ses "réflexes d'extrême gauche identitaire". "Il faut retrouver un axe qui nous permette d'être majoritaire", clame l'avocate, pointant la faute de "ceux qui sont allés chercher Manon Aubry", et qui ont mené cette campagne sur "une ligne douce, euphémisée". Et de conclure : "La ligne Autain a été mise en oeuvre, elle a pris 6%".  Au milieu : des sympathisants qui ne comprenaient plus grand chose dans cette "pagaille", selon les termes de François Cocq, l'ancien orateur LFI écarté par Jean-Luc Mélenchon.

"On s'est dit qu'il ne fallait pas réagir à chaud, chacun va réfléchir", a indiqué à l'AFP la députée Muriel Ressiguier. Une réaction de sagesse, probablement, compte tenu du chantier qui s'ouvre chez les Insoumis, à dix mois des municipales. 


Vincent MICHELON

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