Un front républicain pour faire barrage à Marine Le Pen si elle est au second tour ? Eux n'en veulent pas

par Antoine RONDEL
Publié le 21 avril 2017 à 20h15, mis à jour le 22 avril 2017 à 11h08

Source : JT 20h Semaine

RAS-LE-BOL - A quelques heures du premier tour de la présidentielle, dimanche 23 avril, des dizaines de millions d'électeurs s'apprêtent à se rendre aux urnes en espérant que leur champion soit au rendez-vous du second tour. Mais une bonne partie d'entre eux envisage déjà de ne pas choisir entre les deux finalistes si leur candidat n'est pas qualifié. Quelques uns d'entre eux ont accepté d'expliquer pourquoi à LCI.

Le front républicain a du plomb dans l'aile, et l'élection présidentielle 2017 pourrait en être la preuve ultime. Cette entente politique, qui voit la gauche et la droite s'allier contre le FN au 2e tour d'une élection depuis le duel Chirac-Le Pen en 2002, a perdu beaucoup  de souffle. En témoigne l'élection régionale de 2015 dans les Hauts-de-France ou en région Paca où, malgré l'aide du reste de l'échiquier politique, Xavier Bertrand et Christian Estrosi (LR) n'avaient obtenu que 55% des voix contre Marine Le Pen et Marion Maréchal Le Pen.

La présidentielle 2017 pourrait confirmer cette tendance, à en croire le dernier sondage Kantar Sofre OnePoint : en cas de second tour incluant Marine Le Pen, les électeurs qui refuseront de choisir seront nombreux. Près de 60% des électeurs de Mélenchon et Hamon en cas de duel Fillon/Le Pen, 30% des électeurs fillonistes si le match Macron/Le Pen a lieu. Ces derniers seraient près de 50% à snober le second tour en cas d'opposition Mélenchon/Le Pen.

Sondage Kantar Sofres One Point pour LCI du 16 avril sur les intentions de vote au second tour
Sondage Kantar Sofres One Point pour LCI du 16 avril sur les intentions de vote au second tour - Kantar Sofres One Point

"Enfumés" par Hollande, ils se méfient de Macron

Une volonté que LCI retrouve chez les électeurs qu'elle a contactés, bien décidés à voter par conviction. Il faut toutefois constater un clivage entre les électeurs de droite et ceux de gauche. Ces derniers, futurs électeurs de Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon ou Philippe Poutou, se posent sérieusement la question. Difficile de voter pour Emmanuel Macron, présenté comme l'héritier de François Hollande. Dans le discours de chacun, une rancœur contre le Parti socialiste et le quinquennat Hollande : "Ça m'a déçu, surtout sa politique économique", résume Amaury, 30 ans, qui votera Mélenchon. "Il y a eu un reniement des valeurs de gauche", juge Benoît, probable électeur de Poutou. Emma, elle, avait voté à reculons en 2012 et "n'en attendait rien. Je n'étais pas dupe, mais de là à imaginer les violences policières, pendant la loi Travail ou à Sivens, en plus de s'être fait enfumer sur l'économie..."

Rien d'étonnant dans ce ressentiment, estime le sociologue Nicolas Framont auprès de LCI : "Hollande a fait l'inverse de ce pour quoi il avait été élu. Il devait augmenter les droits des travailleurs et a fait voter la loi Travail. Il s'était insurgé contre le mode de gouvernement autoritaire de Nicolas Sarkozy et a permis l'utilisation du 49-3 et l'état d'urgence." Et au moins sur le pan économique, Emmanuel Macron est comptable aux yeux de beaucoup de ce que le gouvernement a fait ou défait.

Fillon et Le Pen, même combat

Dans le cas d'un duel entre François Fillon et Marine Le Pen, le raisonnement est encore plus radical. "La droite a valorisé les idées réactionnaires, mysogines et pauvrophobes", fustige Julie, future électrice de Benoît Hamon. "Les Républicains, c'est un parti qui a rendu plus audible la parole du FN", juge cette journaliste de 28 ans qui "pense quand même aller voter Macron au second tour, même si ça [lui] ferait mal." Emma, elle, voit chez François Fillon "le même libéralisme que chez Macron, le côté réactionnaire en plus. Finalement, c'est presque comme le FN." Benoît se souvient, lui, que, bien qu'adversaire de Marion Maréchal Le Pen, Christian Estrosi "était capable des mêmes dérapages" que son adversaire frontiste.

La perspective de faire le jeu du FN, en tout cas sur le plan arithmétique, argument si souvent utilisé par le pouvoir socialiste et la droite dite républicaine, ne suffit plus à se précipiter vers les urnes. Une forme de "chantage démocratique", dénoncé par Emma, qui vise les socialistes partis rejoindre Emmanuel Macron en assurant qu'ils le faisaient pour éviter le succès de l'extrême droite. "Avec ses politiques antisociales, Macron est beaucoup plus responsable de la montée du FN que moi, se défend Emma". Un argument qui n'est pas sans rappeler Benoît Hamon affirmant voir en Emmanuel Macron "le marchepied du FN". Amaury, lui, en est sûr : "Voter Macron, c'est repousser le problème à dans cinq ans, en espérant qu'on trouve une nouvelle rustine à ce moment-là."

Le FN n'est plus un repoussoir

"C'est bien la preuve que la stratégie de diabolisation de ce parti a complétement échoué, juge Nicolas Framont. A force de dire 'attention au péril autoritaire du FN', on en a oublié que les récents gouvernements l'ont pratiqué aussi." Quant à la droite qui appelle à faire barrage au FN, "rappelons que François Fillon représente une droite conservatrice et réactionnaire, avec Sens commun, qui porte une homophobie, un traditionnalisme, un message anti-avortement."

Si à gauche, on ne veut plus endosser la responsabilité de contrer le FN, à droite, on met dos à dos Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Régis, retraité toulousain, ne choisira pas entre la France insoumise et le FN : "Ce serait un désastre", résume ce fidèle militant filloniste. Plus loin, Jacques, retraité pro-Fillon lui aussi, très remonté contre les médias en général depuis la révélation du Penelopegate et Emmanuel Macron en particulier, envisage le vote blanc mais ne ferme pas la porte au FN. "Il y a des gens qui ont les pieds sur terre autour de Marine Le Pen." Quant au front républicain, il assure "n'en avoir jamais entendu parler" ou "n'y avoir jamais cru". La seule chose qui pourrait l'empêcher de voter à l'extrême droite ? La sortie de l'Europe : "C'est un gros souci, mais elle ne pourra pas le faire. Et elle n'aura pas de majorité parlementaire."

Reste alors l'indécision, où pourrait se réfugier Guillaume, électeur de Nicolas Dupont-Aignan et très hésitant dans l'hypothèse d'un duel Fillon/Le Pen. Le programme "anti-social" du champion de la droite, notamment la réduction du nombre de fonctionnaires, ne le rassure pas. Idem en cas de confrontation entre le FN et Emmanuel Macron, dont ce trentenaire rémois ne supporte pas le côté "auberge espagnole", avec ses ralliements à droite et à gauche. "Le front républicain, ça a fait son temps. Il y a la gauche et il y a la droite. On ne peut pas aller au milieu."

Et si Le Pen passait..?

Mais que pensent ces électeurs du fait que leur indécision puisse, comme le démontrait le physicien Serge Galam, catapulter Marine Le Pen à l'Elysée ? Benoît, lui, ne l'envisage pas : "Ce serait extrêmement grave, mais ça ne rentre pas dans ma réflexion." Julie, elle, brandit l'arme de la majorité parlementaire : "Elle n'en aura pas, la France sera ingouvernable."

Sébastien l'envisage sereinement : "Ça ouvrira les portes d'une résistance citoyenne, associative, à des gens qui iront loin dans l'opposition." Emma, elle, a peur qu'un tel résultat "décomplexe un peu plus les fachos et multiplie les ratonnades". Et enfin, parmi certains, une question : et si voir Marine Le Pen au pouvoir pendant 5 ans suffisait à ouvrir les yeux de certains ? C'est ce que Nicolas Frachon nomme "un discours de politique du pire, comparable à ces gens qui répètent qu'il nous faudrait une bonne guerre.' Mais attention, poursuit-il, le PS et LR ont recentralisé le pouvoir, on l'a vu avec l'état d'urgence et, dans les mauvaises mains, qui sait ce qui pourrait arriver."

De quoi continuer à faire s'interroger nos électeurs qui, en majorité, en conviennent : "On ne sait pas comment ça se passera dans l'isoloir."

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