Coronavirus : des salariés priés de rester chez eux racontent leur confinement "compliqué"

par Sibylle LAURENT
Publié le 27 février 2020 à 10h02
Coronavirus : des salariés priés de rester chez eux racontent leur confinement "compliqué"
Source : AFP

TÉMOIGNAGES - Depuis le début de semaine, les mesures de confinement se multiplient dans les entreprises dont des salariés reviennent de zones touchées par le coronavirus. Des personnes contraintes de rester à la maison nous racontent.

Sitôt rentrée de vacances, elle a été priée de rentrer chez elle. Marie*, qui travaille dans un grand groupe français, n’est pas malade. Elle n’a pas posé de congés supplémentaires, et aurait bien aimé travailler. Mais voilà : la semaine dernière, elle est partie en Toscane avec son conjoint et son bébé. "Les derniers jours de notre séjour en Italie, on a vu qu’il y avait des foyers contaminés en Lombardie et Vénétie, raconte-t-elle. Mais ce n’était pas en Toscane, cela ne nous a donc pas trop préoccupés. C’est mardi après-midi que j’ai vu l’alerte en Toscane, avec un cas à Florence. J’ai joué carte blanche, je suis allée voir ma supérieure, qui m'a renvoyée vers l’infirmerie." 

L’infirmière du travail lui donne alors un masque, et lui édicte les "mesures parapluie" : "En gros, c’était prenez vos affaires, et rentrez chez vous, appelez le 15 et ils vous expliqueront la marche à suivre." Marie a ensuite un médecin au téléphone, qui lui dit d’abord de retourner travailler, munie d’un masque et d’un gel hydraulique. Mais son entreprise applique des consignes plus drastiques, en lien avec les recommandations édictées par le ministère de la Santé : toutes les personnes qui reviennent de foyers contaminés doivent rester chez elles. Marie, un peu désemparée, tente de rappeler le Samu le soir.  "J’ai mis deux heures à avoir un médecin qui, lui, m’a dit de me mettre en quarantaine."

Confinement et paradoxes

Car la fin des vacances et la propagation des foyers soumettent les entreprises à un défi qu'elles n'ont pas vu venir : que faire, avec les salariés qui, pour le travail, ou parce qu’ils sont partis en vacances, ont été dans une zone qui s’est retrouvée touchée par le coronavirus ? Chaque entreprise est libre de ses décisions, les autorités demandant seulement de privilégier le télétravail.

Coronavirus : les entreprises face au risque de contaminationSource : TF1 Info

Certaines, comme celles de Marie, optent pour les mesures drastiques : elles prient les salariés qui ont fréquenté des lieux de foyer déclarés de rentrer chez eux, pendant 14 jours à compter de leur date de retour, soit le temps d’incubation de la maladie. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser de problèmes… 

Serge* revenait ainsi d’un déplacement professionnel à Venise. Il est rentré lundi 17 février dernier. A l’époque, l’Italie n’avait pas encore de foyers de coronavirus déclarés. Il a donc repris le travail normalement. Mais c’est en ce début de semaine que son employeur a mis en place des mesures préventives, et qu’il a dû rentrer chez lui. "J’ai appelé le Samu, mais n’ayant aucun symptôme, pas d’arrêt de travail", dit-il. "Je suis donc considéré comme étant en télétravail." Sauf qu’il avoue n’avoir pas la moindre mission ou consigne. Et pour cause : son job est difficilement faisable en télétravail. Il pourra revenir mardi prochain, le 15e jour après son retour de Venise. Et s’il n’a pour l’instant pas grand-chose à faire, il le vit "très bien" : "C’est mercredi, je vais pouvoir m’occuper de mes enfants !"

Marie, elle, vit moins bien la situation. "C’est compliqué car on navigue dans une espèce de flou, on ne sait pas très bien ce qu’il faut faire", raconte-t-elle. Son RH le lui a assuré au téléphone : elle doit rester en isolement et ne revenir que le 10 mars. "Le seul problème, c’est que je n’ai pas d’arrêt de travail car le médecin a refusé de m’en donner, et que mon travail ne peut pas être fait à distance." D'ailleurs, elle a été remplacée en urgence sur son poste.  

Et avec les retours de vacances de février, la situation risque de continuer à prendre au dépourvu de nombreuses directions. Des grands groupes ont commencé à prévenir en interne leurs salariés, leur faisant suivre les mesures de précautions édictées par le ministère de la Santé. "Il va sans doute y avoir beaucoup d’autres cas comme moi", dit Marie. "Car il y a des foyers qui se déclarent une fois que tu es revenu, j’ai vu comme ça qu’il y en avait en Espagne… Tous les gens qui sont partis peuvent donc être contaminables ou contaminés." Le paradoxe est que, comme Serge, elle est tout de même venue travailler en début de semaine. "Si on voulait faire les choses bien, il faudrait confiner toute l’équipe avec laquelle je travaille. Mais alors ça devient compliqué pour l’entreprise !" Sur le plan du financement aussi. Un décret publié le 1er février prévoit jusqu’à 20 jours d’indemnités journalières pour les personnes contraintes de rester chez elles. Mais pour les salariés qui n’ont pas d’arrêt maladie, car pas de symptômes, et sont pour autant inutiles en télétravail, la situation est particulière et les RH font face à un véritable flou. D’après les témoignages recueillis, les salariés envoyés en quarantaine ont été assurés d’être payés. Mais tout tient en un échange de paroles. 

Avec un masque dans la rue, tu as des regards interrogateurs, qui se demandent si tu as vraiment quelque chose
Marie, qui revient de Toscane

Marie découvre à mesure toutes les contraintes qu’impliquent cette vie en confinement. Il  y a la nécessité de surveiller sa température deux fois par jour, de porter un masque en dehors du domicile, mais aussi dans le foyer. Et de réduire les activités "non indispensables", d’éviter les lieux publics. De tout cela découlent des conséquences en chaîne. Son compagnon est formateur, et travaille en indépendant. Il devait intervenir cette semaine dans une entreprise, à Caen. "Il a téléphoné au client, il a joué carte blanche. Ils se sont laissés l’après-midi de réflexion et lui ont dit "tu arrêtes la formation ce soir par précaution et tu rentres chez toi". Chômage technique. Cette affaire de masque, aussi, est compliquée. "J'ai un bébé de neuf mois. Je porte un masque, elle n’arrête pas de me l’enlever", dit Marie. "J'ai fait six pharmacies avant de trouver des masques, ils sont en rupture de stock". Quand elle a fini par en trouver, elle tique sur le prix : "Six euros l'unité… Sachant que c’est sensé s’utiliser comme un kleenex, qu’il faut en changer tous les jours, cela représente un beau budget !"

Tout prend des proportions énormes
Marie, qui revient de Toscane

Surtout, Marie s’aperçoit que "tout prend des proportions énormes", et les questionnements se multiplient à l’infini : "Mon compagnon a un fils qui n’est pas parti avec nous à Florence. Mais on l’a vu lundi, avant de savoir… Est-ce que du coup il doit continuer à aller à l’école ? Et puis il est venu avec un copain. J’ai dû appeler ses parents, pour prévenir. Le médecin du Samu nous a dit que ça ne posait pas de danger. Mais d'autres praticiens que je connais m’ont dit que potentiellement, comme ces enfants ont été en contact avec nous, ils ne devraient normalement pas aller à l’école… Donc on patauge, on faut comme un peu, c’est très compliqué."

Marie fait aussi partie d’une compagnie de danse. Dimanche prochain, elle devait se produire lors d’un spectacle. "J'ai envoyé un texto au groupe en demandant ce que je faisais… Je pense que je vais m’exclure car normalement, je dois éviter tous les lieux de foule. Alors une scène de spectacle… !" Tout le monde tâtonne, partout, les directives sont différentes d'un interlocuteur à l'autre : "Par exemple, la crèche. On les a prévenus, ils ont appelé le médecin référent, qui a dit 'si n’elle est pas revenue par Milan ou Venise, c’est bon'. Nous avons tout de même décidé de ne pas mettre notre fille à la crèche par mesure de précaution."

Sauf que si chacun "joue le jeu" du confinement jusqu’au bout, cela peut devenir sans fin. "Le vrai problème, c’est qu’on en n’est qu’au début", dit Marie. "Des foyers sont en train de se déclarer un peu partout. Et cela va être très compliqué au niveau des entreprises de tenir ces systèmes de quarantaine : à un moment donné, il n’y aura plus personne ! Mais tout le monde est dans une situation inédite, du coup c’est compliqué."

* Les prénoms ont été changés.


Sibylle LAURENT

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