RÉACTION – Comment concilier reprise complète de l'activité et mesures de prudence ? Faut-il continuer à favoriser le télétravail ? Après le discours d'Emmanuel Macron appelant à la reprise économique, les chefs d''entreprise font face à de nombreux questionnements.
Elle a regardé l’allocution présidentielle en direct. Très attentivement. Catherine Guerniou dirige la Fenêtrière, une société de sept salariés basée à Champigny-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. Mais même si une grande partie du discours d'Emmanuel Macron dimanche soir était consacrée à la politique économique pour amortir la crise, elle n’y a pas trouvé de réponses très concrètes.
La cheffe d'entreprise attendait des annonces immédiates, sur la flexibilité du temps de travail, sur les exonérations de charges… et surtout sur le vigoureux protocole à respecter. "En tant qu’entreprise, nous avons des contraintes sanitaires fortes. Ce que je veux savoir, c'est qu’en est-il ? Visiblement, tout est en train de s’ouvrir... Est-ce que l’on doit garder ces contraintes sanitaires ? Est-ce que tout doit continuer ? C’est quand même un poids important dans notre quotidien. Cela va être des questions auxquelles on va être sensibles dans les prochaines 24, 48 heures."
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Un protocole qui a un coût
Elle avait remis en marche son entreprises dès le 14 avril, un mois après le début du confinement. Car les salariés étaient au chômage partiel, l’activité s’était interrompue brutalement. L’entreprise a perdu 100.000 euros. "Financièrement parlant, je suis aussi obligée de relancer la machine", racontait-elle alors aux caméras de TF1 venues la filmer. "On ne peut pas vivre que de chômage partiel, et donc c’est aussi notre devoir de se dire il faut repartir, il faut y retourner." Sauf que cette remise en activité a eu un coût : celui de la protection des salariés, avec le strict protocole sanitaire demandé. Elle a donc mis en place des mesures sanitaires strictes, masques, lingettes, eau de javel, kits pour nettoyer le sol, contacts limités entre les employés... Des règles contraignantes qui correspondent chaque semaine à 200 euros de dépenses.
Comme elle, nombreux sont les chefs d’entreprise et les services RH à s’interroger après le discours présidentiel et l’appel à une reprise de l’activité à plein régime. Comment concilier cela avec les mesures de prudence ? Doit-on continuer à favoriser le télétravail ? Fait-on revenir en masse les salariés sur le site ? Mais alors, quid des mesures et protocoles sanitaires ? A quel point vont-ils être allégés ? Car en dehors du coût du matériel nécessaire, ce sont aussi, pour de grandes entreprises, des contraintes de retour sur site, alors que le protocole national de déconfinement encore en vigueur aujourd'hui exige un espace de 4m2 par salarié, ce qui peut limiter de facto le nombre de personnes présentes dans les bureaux. Pour l'instant, de nombreuses entreprises ont résolu la question en organisant des rotations de personnel... Mais cette jauge, fixée pour faciliter la distanciation, empêche le retour à un fonctionnement "normal".
Et si le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux affiche sa satisfaction et sa grande confiance sur les réseaux sociaux…
La reprise complète, c’est pour demain matin. C’est une très bonne nouvelle pour tous parce que la pandémie est sous contrôle et que c’est grâce à l’effort de tous. La confiance revient. — G Roux de Bézieux (@GeoffroyRDB) June 14, 2020
… D’autres chefs d’entreprises font part de leur désarroi, ou en tout cas de leurs interrogations, face à ce qui peut sembler constituer des injonctions contradictoires : reprendre le travail oui, mais comment le concilier avec le lourd protocole sanitaire ?
Aucun signal sur l’assouplissement nécessaire des contraintes sanitaires aujourd’hui « ridicules » en entreprises ... tertiaires comme industrielles (« cols blancs » comme « cols bleus ») ! @BrunoLeMaire @EPhilippePM — Hugues Meili (@HuguesMeili) June 14, 2020
C’est aussi ce que dit très clairement la CPME, Confédération des petites et moyennes entreprises, dont les diverses représentants ont fait le tour des médias ce lundi. Eric Chevée, vice-président, confie ainsi sur France Bleu : "Il y a beaucoup d'interrogations qui se posent quant à la poursuite des gestes barrières et la distanciation sociale qui sont quand même un frein à la productivité dans les entreprises. Et là, les questions sont encore ouvertes."
Même son de cloche pour Stéphanie Pauzat, vice-présidente déléguée sur RMC : "Ce que nous aimerions, c’est que les protocoles puissent être revus", dit-elle. "A partir du moment où l’on porte des masques, est-ce qu’on ne pourrait pas revoir cette surface de 4 m2 pour laquelle pour certaines entreprises c’est très compliqué, et cela réduit énormément les flux commerciaux."
Le télétravail "souhaitable"
Interviewé sur Franceinfo lundi matin, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a fourni quelques éléments de réponse. Insistant sur le fait que "la reconstruction économique est la priorité absolue nationale des prochains mois", il a estimé qu'il fallait "inciter les entreprises à reprendre l'activité". Les règles qui s'appliqueront à elles pour assurer la sécurité sanitaire "ne changent pas" pour l'instant, a-t-il précisé, ajoutant que les guides de protocoles sanitaires "continuent à être mis en place". Tout en nuançant : "Est-ce que demain il sera possible de regarder un point ou un autre de ces protocoles? Oui certainement", a-t-il indiqué.
De la même manière, le télétravail "reste souhaitable dans la mesure où ça permet d'avoir une reprise progressive et de limiter la circulation du virus", a jugé le ministre. Mais c'est une solution "transitoire" qui "n'est pas la panacée".