Leur boulot a fait pschitt #1 - "Il y en a qui vont craquer, c'est sûr", Michael, restaurateur

par Sibylle LAURENT
Publié le 31 mars 2020 à 8h15, mis à jour le 3 avril 2020 à 10h40
Michael Ferriere, fondateur de One each, restaurant associatif à Clichy.
Michael Ferriere, fondateur de One each, restaurant associatif à Clichy. - Source : Michael Ferriere/One each

TENIR - Ils sont restaurateur, agent immobilier, avocat, ou encore graphiste. Du jour au lendemain, avec le confinement, leur activité s’est écroulée. Comment réagissent-ils ? Comment vivent-ils cette période ? Aujourd’hui, Michael, qui tenait un restaurant à Clichy, nous raconte son choc et la vie après.

"C’était d’une violence rare. Rare. Il y aura un avant et un après." Michael Ferriere, 41 ans, tient un restaurant solidaire, One Each à Clichy. Il raconte ce samedi, où Edouard Philippe a annoncé que tous les commerces devaient fermer. "On a appris à 20 h, qu’on devait fermer à minuit. Quatre heures pour se retourner". 

Michael a fermé. Puis, le lundi, il est retourné au restaurant avec toute son équipe. Ils sont quatre. "On a tout rangé, tout aéré, planqué la caisse collective, car on ne sait pas quand on rouvrira", raconte Michael. "On a vidé toutes les réserves, on se les ai réparties entre nous, on s’est séparé en pleurant. Maintenant, si tu passes devant le restau, il n’y a que les tables et les chaises." Un coup de massue, qui vient s’ajouter à une longue série pour ce commerce de proximité : "Un an de gilets jaunes, deux mois de grève, et là, le Covid", énumère le patron. "Il y avait déjà un passif qui avait bien plombé les affaires. Là c’est une catastrophe absolue. "

Il faut tenir jusque-là
Michael, patron de One Each

Lui estime qu'il a limité les pertes. Enfin, pour le moment. Il pense à des confrères, restaurateurs, qui "ont appris ça le samedi, ils avaient fait des courses pour le week-end… Tu pleures, au sens propre et au figuré." Mais, très vite, la question financière va se poser.  "Alors oui, on nous parle de chômage partiel, mais il y a un décalage...". Il a fait une demande de chômage partiel la semaine qui a suivi le confinement. D’abord, la Direccte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation), qui gère les dossiers, "a eu 130.000 demandes en une journée", dit Michael. "Alors nos dossiers vont être examinés, mais à partir du 1er avril. Et une fois que la Direccte accepte, ça part ensuite au service des paiements de l’Etat. Autant d’étapes qui font que cela rallonge beaucoup, beaucoup." 

Et en attendant, c'est lui qui avance. "Il y a aussi les charges sociales, les charges patronales pour les employés... Moi, je n’ai pas droit au chômage partiel. Donc on sera remboursé, peut-être, mais dans combien de temps ? Six mois, un an ? Pour l’instant, je paie mes salariés sans chiffre d’affaires, en sachant que je vais toucher le chômage partiel pour eux mais ce ne sera pas demain. Et il faut tenir jusque-là. Si tu n’as pas de trésorerie d’avance, un petit matelas, c’est mort."

Michael, de One Each, lors d'un reportage d'une émission de télévision.
Michael, de One Each, lors d'un reportage d'une émission de télévision. - One Each

Si professionnellement ça ne va pas, pour peu que le perso s’écroule aussi, c’est l’enfer
Michael, patron de One Each

Pour l’instant, pour payer ses employés en mars, Michaël a puisé dans ses économies personnelles. "Ce mois-ci c’est bon. Je mange, et mon staff mange. Mars, on sert les dents et les fesses, on mange des pâtes et du PQ !", dit-il en rigolant. "Fin avril, si on n’a rien de ce qui a été promis, mon staff ne sera pas payé et je ne mangerai pas." Et le pro, entraîne le perso. Michaël a deux enfants. "Pour l’instant, pour nourrir ma famille, là encore je tape dans mes économies. Mais je n’ai rien qui rentre, rien. Même pas un café à 5 h le matin, vu qu’on n’a pas le droit d’ouvrir." Il s’est bien posé la question, comme la règle l’y autorisait, de faire de la livraison de repas. Vite vu, trop compliqué. "Si tu ouvres pour 50 euros par service, alors que tu dois avoir des gants, un masque, respecter des consignes drastiques, ce n'est intéressant que si tu brasses de la quantité, comme un Mac Do. Pour un petit commerce, ce serait à perte."

 Michael est donc confiné chez lui, avec ses enfants. Il essaie de philosopher. S’inquiète, tout de même pour l’après. Il fait le parallèle avec la crise de 1929. "Ça va être une boucherie la reprise. On ne va pas beaucoup rigoler", dit-il. Il essaie de ne pas tourner en rond. "J’ai de la chance d’être bien entouré. J’ai de la famille, des amis." Mais il pense aux autres, à ses collègues de Clichy qui "ont tous été fermés d’un coup" : "C’est à se taper la tête contre les murs. Il faut avoir épaules larges et dos rond. Il y a des gens qui vont craquer c’est sûr. Si professionnellement ça ne va pas, pour peu que le perso s’écroule aussi, c’est l’enfer."  Ils s’appellent un peu, entre confrères de quartier. "On prend des nouvelles. J’ai aussi mon fournisseur de pain, mon propriétaire. Pour l’instant, on a la suspension des loyers, pour les TPE et les PME. Mais encore une fois, ce sera financé par qui, et comment ? Pour l’instant, on a les effets d’annonce, mais aucun calendrier."

Coronavirus : ambiance morose à la fermeture des restaurants à ParisSource : JT 13h WE

Chaque évènement peut être une opportunité si tu le saisis comme ça
Michael, patron de One Each

Et les questions s’agitent, tandis qu’il est au repos forcé. "Au début, tu te dis que c’est une opportunité, tu te reposes, cela fait du bien", rigole Michael. "Mais on est quand même habitué à être dans un métier ultra-stressant, ultra prenant, et on se retrouve là, assis dans son canapé… Au bout de quelques jours, l’inactivité, c’est dur."

  

Alors Michaël met ce temps à profit. Il potasse un grand projet qu’il avait sous le pied. "J’essaie de prendre du recul, et surtout réinventer le modèle de One Each", raconte-t-il. Car son restaurant, est d’un genre particulier : c’est un restaurant solidaire. "un triptyque : des bons plats faits maison, dans un bistrot qui propose tous les jours une partie des couverts à des gens qui ont peu de moyens, tout en employant aussi des gens en réinsertion." Lui, ce qu’il voudrait, c’est lâcher un peu la restauration, pour réfléchir à un modèle plus global, à l'échelle nationale. 

Il planche sur tout ça, tout en gardant ses enfants. "Cela m'occupe les matinées et les soirées !", dit-il. Positif, à tout prix. "Chaque événement peut être une opportunité. Et il faut s’occuper de toute façon, ne jamais lâcher", redit Michael. Pendant qu’il parle, au téléphone, il est en train de se mitonner un joli petit dîner, "une petite fricassée de champignons de Paris, bio, avec une crème à l’ail et un peu de chorizo". Avec un conseil en prime : "Je fais exprès de découper et émincer le plus calmement possible pour gratter du temps ! C’est une manière intelligente de passer les journées plus vite. Et ça détend beaucoup !"


Sibylle LAURENT

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