Transformé en délit de pollution aggravé, l'écocide ne convainc pas

Publié le 15 janvier 2021 à 22h17, mis à jour le 6 février 2021 à 22h42
La ministre de la Transition écologique à l'Assemblée
La ministre de la Transition écologique à l'Assemblée - Source : MARTIN BUREAU / AFP

DÉBATS – L’écocide a été consacré dans le projet de loi reprenant des propositions de la Convention citoyenne pour le climat mais vidé de sa substance, estiment ses défenseurs, qui pointent la responsabilité des lobbies industriels.

Depuis sa reprise par Emmanuel Macron cet été jusqu’à sa traduction dans le projet de loi Climat et Résilience, l’écocide a connu quelques péripéties. Et a été réduit à peau de chagrin pour nombre de ses défenseurs, qui critiquent un manque d’ambition gouvernementale. À l’origine, l'écocide soutenu par la Convention citoyenne était défini comme "toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées". Fin juin dans les jardins de l’Élysée, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir transcrire ce principe dans la loi mais souhaitait réfléchir à la manière de faire.

Un délit général de pollution aggravé

Aujourd’hui, c'est chose faite puisque l’écocide a été introduit dans le projet de loi reprenant quelques-unes des propositions de la Convention, en tant que délit général de pollution, aggravé car commis de manière intentionnelle et donc assorti de sanctions plus lourdes (10 ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d'amende). Le délit de pollution figure donc aussi dans le texte et se définit par la "violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité" et entrainant des "effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune". La faute de "négligence", pouvant qualifier ce délit, a disparu du texte.

Guy, l’un des 150 conventionnels, ne cache pas son amertume. "Cela n’a absolument rien à voir. Une pollution n’a jamais été un écocide donc ça ne répond pas à la Convention pour le climat", tranche celui qui a porté la pénalisation de l’écocide durant l’intégralité des travaux. "Devant la Cour pénale internationale, si l’on explique que l’écocide, pour nous, ce n’est pas l’agent orange au Vietnam, ce n’est pas la déforestation en Amazonie, mais que c’est une pollution, on va nous rire au nez !" En criminalisant l’écocide, la Convention avait fait le choix d’intégrer le caractère de l’intention - un crime étant toujours intentionnel en droit français. Qu’à cela ne tienne, le symbole de la reconnaissance de ce "crime suprême" était fort : "C’est un peu comme le génocide : la pénalisation existe mais justement pour que le crime ne soit pas commis. Ramener l’écocide à un délit, c’est aberrant dans ce que ça représente."

Ce n’est pas le premier recul, on voit bien le lobby que peut faire le patronat et le Medef là-dessus
Guillaume Gontard, sénateur EELV

D'où vient ce peu d'ambition ? Pour certains parlementaires, le responsable est vite trouvé. "On nous a fait des annonces en grandes pompes pour finalement, sur l’une des mesures les plus importantes du texte, réduire notre ambition. Ça donne l’impression qu’on cède au patronat - et à un peu plus d’un an de la présidentielle, ce n’est pas forcément le bon message à envoyer", souligne un député de l’aile gauche de la majorité. "Ce n’est pas le premier recul, on voit bien le lobby que peut faire le patronat et le Medef  là-dessus, et relayé par Bercy. Mais ils se plantent complètement. Avec ces réactions conservatrices, ils font fausse route", avance encore Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat. 

Selon le Journal du Dimanche, les organisations patronales ont réussi à peser dans les négociations, durant lesquelles "un bras de fer s’est mené". Dans une note du 16 décembre remise au gouvernement, le Medef s’inquiète : "Surajouter un tel dispositif répressif serait une source d’insécurité juridique majeure et constituerait un signal contraire à la volonté de relance de l’économie." Ainsi, le secteur industriel craint que ne s’accumulent les procédures judiciaires à son encontre. "Il existe aujourd’hui toutes les mesures qui permettent aux autorités de s’assurer que les industriels travaillent dans la bonne direction", assurait même mardi 12 janvier Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain, lui aussi réfractaire.

"Il n’y a pas de délit sans responsabilité personnelle, sans intention", avait aussi réagi le sénateur LR Gérard Longuet, ancien ministre de l’Industrie, auprès de Public Sénat. "Dans le cadre d’une entreprise, qui va être responsable ? L’entreprise ? Je ne savais pas qu’elle pouvait commettre des crimes. Dans le droit pénal, c’est la responsabilité de quelqu’un qui, en toute conscience et de façon volontaire, veut commettre un délit. C’est possible. Mais on ouvre un système qui est paralysant pour la société."

L'intention, grande absente des infractions environnementales

Sollicité, le ministère de la Transition écologique se défend de tout manque d’ambition dans le texte finalisé : "Ce délit d’écocide est la version la plus grave du délit général de pollution. Ce nouveau texte vient compléter le Code de l'environnement, les nouveaux articles qui lui sont dédiés viennent en plus de ce qui existe déjà et ne viennent pas les remplacer. On ajoute le fait que lorsqu'il y a une pollution intentionnelle, on sanctionne d'autant plus fort." Encore faut-il que ces sanctions soient applicables. En pratique, des associations environnementales et des juristes s’inquiètent de la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, de démontrer le caractère intentionnel dans le cadre d’un écocide et donc de condamner une entreprise sur ce fondement. "L’élément intentionnel n’existe pas pour la plupart des infractions environnementales existantes, sinon on ne sanctionnerait jamais", souligne d’ailleurs Julien Bétaille, maitre de conférence et spécialiste en droit de l’environnement, sur Twitter.

L’avocat Sébastien Mabile, spécialiste en droit environnemental, se montre lui-même circonspect : "À part le braconnage, où l’intention est difficilement contestable, quand on parle de pollution industrielle, cette condition est rarement réunie." Le docteur en droit public, qui a également dénoncé sur Twitter un "recul considérable du droit pénal de l'environnement", explique en effet que la plupart des atteintes à l’environnement résultent d’actes qui ne sont justement pas intentionnels : "Les grandes catastrophes comme Lubrizol résultent d’une succession de fautes d’imprudence, de négligence". 

"L’écocide est une notion supposant l’existence d’une volonté de détruire, ici un écosystème. L’intention sera toujours difficile à démontrer, alors que la négligence sera hautement plus favorable à l’engagement des responsabilités", soulignait encore l’avocat Jean-Pierre Mignard en août 2019, réagissant à une tribune publiée dans Le Monde au sujet de la déforestation en Amazonie. Et tandis qu’en coulisse, Bruno Le Maire était l’un de ceux qui défendait un délit d’écocide intégrant un critère d’intention, Bercy montre patte blanche et ne se dit aujourd’hui "pas contre de compléter le cadre juridique pour s’assurer qu’un délit contre l’environnement ne puisse rester impuni". 


Caroline QUEVRAIN

Tout
TF1 Info