Comment arrêter un serial killer ? On a posé la question à celle qui a traqué Guy Georges

Publié le 19 janvier 2018 à 15h14, mis à jour le 19 janvier 2018 à 17h39
Comment arrêter un serial killer ? On a posé la question à celle qui a traqué Guy Georges
Source : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP / Montage PicMonkey

ENQUÊTE – Le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat (en charge de l'affaire Maëlys) a proposé mercredi des mesures pour aider la justice à mieux faire face aux serial killers. Martine Monteil, ex-patronne de la Brigade criminelle et de la Direction centrale de la police judiciaire notamment, et qui a notamment été au cœur de l’affaire Guy Georges, livre son point de vue à LCI.

Mercredi, le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat – très médiatisé depuis fin août avec l’affaire Maëlys - a longuement parlé de la façon dont la justice française devrait faire face au phénomène des tueurs en série. Première femme à la tête de la Brigade de répression du proxénétisme (BRP), de la Brigade de la Répression et du Banditisme, de la Crim’, puis de la Police judiciaire avant de devenir préfète, Martine Monteil, aujourd’hui retraitée, revient sur certaines affaires qu’elle a pu traiter au cours de sa carrière et donne son point de vue sur la gestion des affaires du tueurs en série en France.

LCI : Jean-Yves Coquillat a évoqué mercredi les difficultés d’identifier un serial killer, quelles sont-elles selon vous ? 

Martine Monteil : Dès lors qu'une première affaire n'a pas été élucidée, c'est déjà un échec. A partir de deux homicides, cela interpelle, à partir de trois, ça devient clairement le fait d’un tueur en série. En général, ces criminels agissent selon un même modus operandi, sur des victimes qui présentent le  même profil et sur une zone géographique définie. 

LCI : Pouvez-vous revenir sur les dossiers de tueurs en série sur lesquels vous avez travaillé ? 

Martine Monteil : Ma première affaire de tueur en série alors que j’étais commissaire stagiaire a été celle de "l’étrangleur des parkings" à la fin des années 70 dans le 10e arrondissement de Paris. Cet homme suivait les femmes quand celles-ci rentraient dans leur parking. Ensuite, il les menaçait, puis, sous la contrainte, il les violait, avant de les étrangler et de voler quelques bricoles. 

Ma deuxième affaire de tueurs en série a été celle de Mamadou Traoré, surnommé le "tueur aux mains nues". Ce criminel multirécidiviste a agressé six femmes dont deux mortellement en 1996. Il les tapait et les défigurait. Deux d’entre elles ont été violées. On a réussi à avoir de l’ADN sur deux scènes de crime, dont un crachat sur un ascenseur du 13e arrondissement. Puis, un jour nous avons eu une affaire qui n’avait rien à voir du côté de Neuilly. La plupart des victimes de Mamadou Traoré étaient jeunes et jolies. Là, nous nous sommes retrouvés sur l’affaire d’une femme beaucoup plus âgée et qui était défigurée. Le modus operandi était le même apparemment, mais le profil de la victime était très différent. On a tout de suite écarté Traoré qui sévissait  à Paris vers les 13e et 12e.  C’est l’ADN retrouvé sur une bouteille de Coca-Cola près de la scène de crime qui a permis de faire le rapprochement avec les autres affaires. 

Enfin, il y a l’affaire Guy Georges. Dès la deuxième victime, les enquêteurs se sont inquiétés. Ils trouvaient qu’il y avait des similitudes dans l’exécution criminelle : le deuxième corps présentait des traces identiques à celui du premier. Pour preuve, ont été présentées aux jurés deux photos de victimes presque identiques, et que l'on aurait même pu superposer tant les ressemblances étaient flagrantes: les corps étaient positionnés sur le lit de la même façon, avec les mêmes blessures –gorge tranchée, corps vrillé… -. Pour celui qui deviendra le tueur de l’est parisien, il n’y avait qu’à regarder le cadavre, on savait que c’était lui. C’est une mécanique criminelle, les actes sont présentés de même façon. 

"L'affaire SK1" : l'histoire de Guy Georges au cinémaSource : JT 13h WE
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LCI : Quelle difficulté avez-vous rencontré dans le dossier Guy Georges ? 

Martine Monteil : On a tellement ratissé dans chaque affaire. Mais il n’y avait rien, à l’exception des corps qui constituent un atout en matière d’investigation à l’opposé des affaires de disparition. On dit dans notre langage policier d’ailleurs que l’on fait "parler le cadavre". Pour le reste, pour l’identification, c’était extrêmement dur, même après qu’on ait eu un témoin, une psychomotricienne. Le 16 juin 1995, cette jeune femme âgée de 23 ans, avait été suivie par Guy Georges dans son appartement de la rue des Tournelles (3e). Menacée au couteau, attachée à son lit, elle est parvenue à s'échapper. Elle a fait un portrait-robot de son agresseur. Elle avait la conviction qu’il était maghrébin… On est parti là-dessus. Mais Guy Georges n’était pas du tout maghrébin. Un peu plus tard, Guy Georges, coupable d’autres choses, sera amené à la Crim'. Une confrontation aura lieu avec cette psychomotricienne mais elle ne le reconnaîtra pas. La peur, la sidération l’ont sans doute induite en erreur, nous ne pouvions évidemment pas en vouloir à cette jeune femme…  Après l’affaire, j’ai dit aux enquêteurs qu’il fallait se méfier des témoins, fussent-ils aussi merveilleux que cette jeune femme, ils peuvent se tromper, comme tout le monde. 

L’opinion publique le condamne, mais il n’y a ni aveu, ni corps. Nordahl Lelandais reste présumé innocent
Martine Monteil

LCI : Avez-vous eu des affaires dans lesquelles le corps de la victime n’a pas été retrouvé ? 

Martine Monteil : Quand j’étais directeur centrale de la police judiciaire, je me suis fort intéressée à l’affaire d’Estelle Mouzin. Le père de cette enfant m’émeut beaucoup, j’ai tellement voulu l’aider. J’ai fait reprendre des tas de choses aux enquêteurs, j’ai fait creuser sous un restaurant…. Il y a eu un travail gigantesque, des milliers de procès-verbaux ont été établis, il y a eu des gardes à vue. Mais ni l’auteur des faits, ni le corps de la fillette n’ont été retrouvés. Et malheureusement, je pense qu’Estelle n’est plus en vie. 

LCI : Depuis plusieurs mois, Jean-Yves Coquillat, procureur de la République de Grenoble, travaille sur l’affaire Maëlys. Si la fillette de 9 ans n’a pas été retrouvée, un homme, Nordahl Lelandais, a été mis en examen pour meurtre et enlèvement dans ce dossier. Quel regard portez-vous sur cette affaire ? 

Martine Monteil : Je n’aime pas commenter les affaires sur lesquelles je n’ai pas travaillé mais de ce que j’ai vu à la télévision, il y a quand même un faisceau de présomption de culpabilité sur cet individu : la voiture, le bornage téléphonique, l’ADN retrouvé sur le commutateur, cette photo sur laquelle la mère de Maëlys est convaincue de reconnaître sa fille…  L’opinion publique le condamne, mais il n’y a ni aveu, ni corps. Nordahl Lelandais reste présumé innocent. 

LCI : Nordahl Lelandais a été mis en examen pour assassinat cette fois dans l’affaire Arthur Noyer, caporal dont le crâne a été retrouvé en septembre 2017, cinq mois après sa disparition… 

Martine Monteil : Le profil des deux victimes est radicalement opposé. Les enquêteurs se penchent maintenant sur d’autres disparitions. Nordahl Lelandais pourrait effectivement être un tueur en série… Ou pas. 

LCI : Le  Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), a été créé après l’affaire Guy Georges. Qu’a-t-il changé pour vous ? 

Martine Monteil : Tout. Il y a à ce jour chaque année entre 25 et 30 000 rapprochement d’affaires. C’est un outil formidable dont on ne pourrait se passer aujourd’hui. S’ajoutent à cela les logiciels Salvac (Système d'analyse des liens de la violence associée aux crimes, ou Anacrim (fichier de police judiciaire, utilisé par la Gendarmerie nationale pour l'analyse criminelle ndlr). Tous ces outils sont indispensables… Mais ne remplaceront jamais les enquêteurs.


Aurélie SARROT

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