Filière djihadiste "Cannes-Torcy" : un procès hors-norme à Paris

Publié le 20 avril 2017 à 7h48, mis à jour le 20 avril 2017 à 8h30
Filière djihadiste "Cannes-Torcy" : un procès hors-norme à Paris

TERRORISME - Le procès de la cellule communément appelée "Cannes-Torcy" s'ouvre aujourd'hui, jusqu'au 7 juillet. Au total, une vingtaine de personnes sont renvoyées devant une cour d'assises spéciale spécialement composée pour l'occasion afin de juger les crimes terroristes qui se sont déroulés en 2012. Rappel des faits.

Trois ans avant les attentats qui ont ensanglanté la France en 2015, François Molins, procureur de la République de Paris, avait qualifié cette cellule de  "l'une des plus dangereuses opérant sur le territoire français, depuis les attentants de 1995". Cette cellule, appelée "Cannes-Torcy" en raison de ses connexions géographiques, ce sont une vingtaine de djihadistes présumés, accusés d'attentat à la grenade contre une épicerie casher de Sarcelles mais aussi de projets d'attaques contre des militaires et de départs vers la Syrie. Ils seront jugés durant les cinquante-cinq jours d'audience prévus, entre le 20 avril et le 7 juillet prochain.

Parmi les vingt personnes renvoyées aux assises spéciales de Paris, dix sont en détention provisoire, sept sont libres sous contrôle judiciaire et trois sont visés par un mandat d'arrêt, dont deux soupçonnés d'être en Syrie. Cette cellule aux ramifications tentaculaires était composée de jeunes trentenaires pour la plupart. Certains avaient fait des séjours en prison pour des faits de délinquance, mais tous avaient un point commun : Jérémie Louis-Sydney. 

Une homme d'une trentaine d'années qui, au cours des différentes étapes de sa vie, avait réussi à fédérer deux bandes différentes : l'une à Torcy en banlieue parisienne et l'autre à Cannes, dans le sud de la France. Les liens entre les deux groupes se sont resserrés lors d'un périple en camping-car de la bande de Torcy, dans le sud de la France à l'été 2012. C'est là, que les six personnes de Torcy rencontrent les dix personnes gravitant autour de Jérémie Louis-Sydney, aux alentours de Cannes.

Tout commence à Torcy ...

Sarcelles, le 19 septembre 2012. Charlie Hebdo publie de nouvelles caricatures de Mahomet. Vers 12H30, deux hommes, capuches sur la tête, entrent dans une épicerie casher et y jettent une grenade avant de prendre la fuite. Un seul client est légèrement blessé. Un miracle, car l'engin a explosé sous une rangée de chariots, disséminant ses billes de plomb dans tout l'établissement. L'enquête est confiée à la section antiterroriste du parquet de Paris et très vite, les policiers découvrent une empreinte digitale sur la cuillère de la grenade. Cette trace permet d'identifier Jérémie Louis-Sydney, 33 ans, un délinquant connu de la DCRI pour ses liens avec la mouvance salafiste. Jérémie Bailly, 28 ans, est rapidement identifié comme un homme présent dans l'entourage de Louis-Sydney. 

Lorsque les policiers perquisitionnent un box utilisé par Bailly à Torcy, ils retrouvent du matériel nécessaire pour fabriquer des bombes, des armes et des munitions. Chez lui, les enquêteurs découvrent une liste d'associations juives. Devant le juge, Jérémy Bailly ne cherchera pas à nier, au contraire. Il parle de ses projets : le matériel découvert devait servir à "fabriquer une bombe". Quelles étaient les cibles ? "Les militaires", "les juifs" ou "les francs-maçons", répond Bailly. En revanche, il nie avoir participé à l'attentat de Sarcelles,  malgré les dires de l'un de ses complices qui expliquent qu'il a agit avec Louis-Sydney et qu'ils avaient choisi cette épicerie car "seuls des juifs y rentraient". Louis-Sydney sera tué en octobre 2012, tué par des balles de répliques des policiers du GIPN venus l'interpeller à Strasbourg. "Il était très déterminé, commentait alors le procureur de Strasbourg, Patrick Poirret, avec probablement la volonté de finir en martyr". L'attentat contre l'épicerie de Sarcelles est le seul effectué par la cellule. Les membres du groupe étaient pour beaucoup originaires de Torcy. Mais les enquêteurs découvrent des liens avec d'autres jeunes radicalisés de Cannes.  

Puis cela se poursuit à Cannes et dans sa région ...

Juin 2013, à Cannes. La compagne d'un certain Maher Oujani dépose plainte pour violences conjugales. Une plainte à priori courante, mais ce qu'elle révèle fera prendre à l'enquête une nouvelle tournure. Cette dernière révèle les projets de son mari : un projet d'attentat contre des militaires, prévu dix jours plus tard. Le nom de Maher Oujani n'est pas inconnu des policiers car ces derniers l'ont vu, à plusieurs reprises avec Jérémie Louis-Sydney, quelques mois plus tôt. 

Placé sur écoute par les policiers en raison de ses liens avec Louis-Sydney, et identifié comme "radicalisé", il est arrêté le lendemain du dépot de plainte de sa femme. Oujani, soupçonné de s'être procuré une arme, est renvoyé aux assises spéciales avec trois autres complices présumés pour un projet d'attentat contre des militaires. L'un de ses complices avait été vu effectuant des repérages près d'une caserne du sud de la France mais il nie toute intention terroriste. 

En Syrie ... et à Mandelieu-la-Napoule

A l'automne 2012, trois hommes décident de partir en Syrie. Ibrahim Boudina annonce à sa mère qu'il part en vacances avec un ami d'enfance, Abdelkader Tliba. Ils s'envolent pour la Syrie, via la Turquie. Déjà dans le viseur des autorités, les deux hommes sont mis sous surveillance : on scrute leurs contacts téléphoniques, les messages postés sur les réesaux sociaux... Pour les enquêteurs, le réel but du voyage de Boudina ne fait guère de doutes : le jeune homme a "combattu au sein de groupes jihadistes syriens pendant près de seize mois, est revenu clandestinement en France et s'est doté d'une arme et d'explosifs" pour des attentats. 

Le 3 janvier 2014, la police grecque prévient la France que Boudina est sur le chemin du retour : il est contrôlé par la police grecque mais reste dans la nature, entre la Grêce et sa destination finale, la France. Tilba lui, est arrêté puis écroué. Prévenue par les autorités grecques du retour de I. Boudina, la DCRI surveille ses points de chute possibles sur la Côte d'Azur et le repère. Le 11 février, elle l'interpelle en bas de l'immeuble de Mandelieu-La-Napoule, où un de ses proches a un logement. C'est dans cet immeuble que les policiers découvrent des engins explosifs artisanaux, des bombes confectionnées dans des canettes de soda, ainsi que des chargeurs. Au cours du démantèlement de la cellule, les enquêteurs mettent la main sur plusieurs testaments, dont deux rédigés par Ibrahim Boudina et Abdelkader Tliba. 

Ces écrits avaient été confié à l'un de leurs amis qui les avaient conduit à l'aéroport le jour de leur départ en Syrie. Des dispositions qui laissent penser aux policiers qu'un attentant était "imminent". Pour eux, tout laisse penser qu'ils souhaitaient frapper le carnaval de Nice, qui débutait quelques jours après son arrestation. 

Le troisième homme Rached Riahi, resté en Syrie, aurait gravi les échelons au sein des jihadistes francophones de l'État islamique (EI). Les spécialistes supposent qu'il est d'ailleurs mort là-bas mais certains de ses proches, sont soupçonné d'avoir apporté une aide logistique, notamment par des virements d'argent. L'aîné de Riahi était en contact téléphonique régulier avec son cadet, indiquait une source à l'AFP, en 2015. Lui, comme sa soeur âgée de 36 ans, ont été laissés libres sous contrôle judiciaire. 

Fermeture de la mosquée de Torcy

A quelques jours de l'ouverture du procès de cette cellule, la mosquée de Torcy a été fermée. Selon l'arrêté préfectoral, deux imams officiant dans le lieu de culte ont "explicitement légitimé le jihad armé" en 2016 et 2017 "en appelant les fidèles à prier pour les jihadistes du monde entier afin de détruire les ennemis de l'islam en France et dans le monde". Les deux religieux ont aussi, "en 2012 et 2013, apporté leur soutien aux fidèles de la mosquée mis en cause dans le cadre du démantèlement de la cellule terroriste dite "de Cannes-Torcy"", détaille l'arrêté. 

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Ce lieu de culte, gérée par l'association Rahma, était installée depuis 2003 dans des préfabriqués sur lesquels l'arrêté de fermeture a été placardé ce mardi 11 avril, a indiqué Guillaume Le Lay-Felzine, maire socialiste de la commune. Elle pouvait rassembler jusqu'à 500 fidèles à l'occasion de la prière du vendredi, a précisé la préfecture de Seine-et-Marne.


La rédaction de TF1info

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