Il y a trente ans, Malik Oussekine était matraqué à mort : "C'est important de ne pas oublier"

par Youen TANGUY
Publié le 6 décembre 2016 à 6h00
Il y a trente ans, Malik Oussekine était matraqué à mort : "C'est important de ne pas oublier"
Source : Michel GANGNE / AFP

COMMÉMORATION - Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, en plein conflit gouvernement-étudiants, Malik Oussekine, 22 ans, était matraqué à mort par deux policiers de la brigade des "voltigeurs" dans le hall d'un immeuble parisien. Trente ans après, sa mort reste le symbole de la répression policière.

Décembre 1986. Les étudiants sont dans la rue pour dénoncer le projet de loi sur l'enseignement supérieur d'Alain Devaquet, alors ministre délégué chargé de la Recherche et des Universités. Ils dénoncent l'introduction d'une sélection à l'entrée de l'université et organisent parmi les plus importantes manifestations de jeunes depuis mai 68. La manifestation du 5 décembre est particulièrement électrique. Les autorités font appel à la brigade des "voltigeurs motoportés", des duos de policiers à moto. L'un conduit le véhicule, l'autre, armé d'une matraque, est chargé d'évacuer les "casseurs".

C'est sur cette brigade que Malik Oussekine tombera dans la nuit du 5 au 6 décembre. Ce Français de 22 ans, d'origine algérienne, est un étudiant sans histoire à l'Ecole supérieure des professions immobilières. Resté à l'écart du mouvement estudiantin depuis le début de la mobilisation, il voulait ce jour-là aller jeter un œil au cortège. 

Une fois la manifestation du 5 décembre terminée, quelques "casseurs" persistent. Aux alentours de minuit, dans le quartier latin (VIe arrondissement), certains d'entre eux tentent d'élever une barricade à l'angle des rues Monsieur le Prince et Vaugirard. Une unité de voltigeurs motoportés est alors dépêchée sur place. Quand ils arrivent, les deux hommes prennent immédiatement en chasse les "casseurs", qui se dispersent. Au même instant, Malik sort d'un club de jazz. C'est finalement lui qui sera poursuivi. Dans sa fuite, il part se réfugier dans un hall d'immeuble, dont la porte lui a été ouverte par un homme : Paul Bayzelon.

Retour sur l'affaire Malik OussekineSource : Sujet JT LCI
Cette vidéo n'est plus disponible

"J'ai vu le visage affolé d'un jeune homme"
Paul, témoin du drame

Seul témoin du drame, ce fonctionnaire au ministère des Finances, habitant l'immeuble du 20, rue Monsieur le Prince, a raconté : "Je rentrais chez moi. Au moment de refermer la porte après avoir composé le code, je vois le visage affolé d'un jeune homme. Je le fais passer et je veux refermer la porte". "Deux policiers s'engouffrent dans le hall, a-t-il poursuivi, se précipitent sur le type réfugié au fond et le frappent avec une violence incroyable. Il est tombé, ils ont continué à frapper à coups de matraque et de pieds dans le ventre et dans le dos. La victime se contentait de crier : 'je n'ai rien fait, je n'ai rien fait'". 

Malik Oussekine sera finalement matraqué à mort dans le hall de l'immeuble. Plus tard, les autorités préciseront que le jeune homme était d'une santé fragile à cause de déficiences rénales, qui l'obligeaient à être dialysé trois fois par semaine. Paul Bayzelon dit avoir voulu s'interposer mais s'être fait lui aussi matraquer, jusqu'au moment où il a sorti sa carte de fonctionnaire. Les policiers, présents dans le quartier pour disperser la manifestation, s'en vont. Mais Malik Oussekine est mort.

"Ils ont tué Malik"

Le lendemain, Alain Devaquet, ministre délégué à l'Enseignement supérieur et auteur du projet de loi polémique, présente sa démission, et ce pendant que près d'un million d'étudiants défilent en silence, portant des pancartes "Ils ont tué Malik". Le lundi 8 décembre, après de nouvelles manifestations, le Premier ministre Jacques Chirac annonce le retrait du texte. 

Quant aux deux voltigeurs, le brigadier Jean Schmitt, 53 ans à l'époque des faits, et le gardien Christophe Garcia, 26 ans, ils comparaissent trois ans plus tard devant la Cour d'Assises de Paris pour "coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Ils seront condamnés en janvier 1990 à 5 ans et 2 ans de prison avec sursis. 

C'était comme un coup de massue sur la tête
David Assouline, sénateur de Paris

Trente ans ont passé, et David Assouline, sénateur socialiste de Paris, se remémore ce moment avec douleur. A l'époque, celui qui était l'un des leaders du mouvement étudiant contre Devaquet s'est battu pour que la mort du jeune homme ne soit pas vaine. "Cet anniversaire me ramène dans les moments vécus pendant cette nuit tragique", confie-t-il à LCI. C'était comme un coup de massue sur la tête. Même si l'on avait senti que le pouvoir avait fait le choix d'une répression aveugle, c'était trop inconcevable".

L'élu parisien dit aujourd'hui, à la veille des commémorations, être envahi par deux sentiments contradictoires : "D’un côté, il y a cette mort tragique. Un drame très triste, qu’il ne faut pas oublier. Et de l'autre, il y a eu ce mouvement de fraternité, de solidarité de la jeunesse. Je n'en ai pas revu d’aussi important, d’aussi fédérateur depuis. C’était gigantesque." Et de conclure : "C’est important de ne pas oublier. Pour ma génération, c'est encore très ancré aujourd'hui et je pense que ça doit aussi l'être dans un coin de la tête des plus jeunes".

Un avis partagé par Dominique Sopo, le président de SOS Racisme. "La mort de Malik Oussekine est très symbolique pour toute une génération, nous confie-t-il. Elle représentait l’irruption d’une violence mortelle par rapport à une jeunesse qui manifestait pour pouvoir accéder librement aux études supérieures". 

Mardi matin, la maire de Paris Anne Hidalgo déposera une gerbe devant le 20, rue Monsieur le Prince, où le jeune étudiant a trouvé la mort. Une cérémonie commémorative sera également organisée dans la soirée par SOS Racisme en présence, notamment, d'Amar Oussekine, le frère de Malik, et du sénateur David Assouline. Des cérémonies "pour ne pas oublier".

Une plaque inaugurée en hommage à Malik Oussekine le 6 décembre 2006Source : Sujet JT LCI
Cette vidéo n'est plus disponible

Youen TANGUY

Tout
TF1 Info