Neuilly-sur-Seine : les curieuses magouilles du croque-mort des beaux quartiers parisiens

par William MOLINIE
Publié le 14 mars 2016 à 17h56
Neuilly-sur-Seine : les curieuses magouilles du croque-mort des beaux quartiers parisiens

INFO METRONEWS – Hubert P., un gérant de sociétés de pompes funèbres implanté dans l’Ouest parisien, vient d’être renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour "abus de biens sociaux" et "blanchiment d’argent". Depuis une dizaine d’années, il accumule les doléances de proches de défunts mécontents. Mais il continue d’exercer sous d’autres noms d’entreprises. Metronews a mené l’enquête.

Non-respect des règles d’information, doubles facturations de la même prestation, "pression" sur les héritiers… Voilà trois décennies qu’Hubert P., 57 ans, navigue dans le funéraire. Et amasse les plaintes de clients mécontents. L’association française d’information funéraire (Afif) déconseille les particuliers de "traiter avec ses sociétés" et regroupe depuis plusieurs années sur son site internet leurs griefs. Comme celui, par exemple, d’une paroisse de Versailles (Yvelines) qui accuse sa société de ne pas lui avoir reversé l’offrande de la cérémonie religieuse. L’argent avait pourtant été avancé par le défunt "dans le cadre d’une convention d’obsèques", écrivait dans un courrier daté de 2012 le trésorier de la paroisse. Ou celle d’une autre famille qui a été facturée de prestations que la société de pompes funèbres n’a pas honorées.

Face à ce nombre important de clients mécontents, metronews a décidé de rencontrer Hubert P. Rendez-vous est pris à sa convenance dans un café, rue de la Pompe (16e arrondissement). "Gainsbourg, Bao-Daï, l’empereur du Vietnam, c’est moi. Et aussi Jean-Louis Barrault, vous le connaissez ?", questionne cet homme poivre et sel, tout en sirotant son demi. Hubert P. énumère ses cadavres phares. Il veut nous prouver qu’il connaît le marché du funéraire et qu’il n’est pas un imposteur.

"On n’a jamais forcé les gens à signer des devis"

Car si le croque-mort est au cœur d’investigations "poussées" des autorités judiciaire, c’est, dit-il, parce qu’il "dérange". "J’ai toujours été précurseur sur le marché. On me cherche des ennuis car je bouscule les monopoles", jure celui qui se défend d’être un escroc. D’abord haut responsable des Pompes funèbres générales (PFG), un des leaders du marché, il s’est mis à son compte en février 1986. Pendant vingt ans, les affaires sont lucratives. Jusqu’au début des années 2000 et l’entrée de nouveaux acteurs. C’est à ce moment-là, aussi, que ses ennuis judiciaires commencent.

D’abord en février 2010, lorsque la cour d’appel condamne son ancienne société, "Les pompes funèbres Rive Gauche", à 20.000 euros d’amende pour escroquerie. "Je ne faisais que représenter la société. Ce n’est pas moi mais un de mes collaborateurs qui a fait une erreur", se défend-il encore aujourd’hui. Quelques mois plus tard, après une quinzaine de plaintes à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes( DGCCRF), Hubert P. prend, dans une autre affaire, 4 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende. Relaxé pour escroquerie, il est en revanche condamné pour "tromperie". Dans l’arrêt, consulté par metronews, les juges lui reprochent d’avoir facturé deux fois la même prestation et parfois même des "prestations fictives". Là encore, dit-il, "la cour s’est trompée". "On n’a jamais forcé les gens à signer des devis. D’ailleurs, les clients se plaignent toujours après les obsèques. Jamais avant, bizarre, non ?", coupe-t-il.

L’entreprise au nom d’une nonagénaire

Le gérant, implanté dans le 16e arrondissement, est à nouveau visé par la police en février 2013. Cette fois, pas par des victimes mais après un signalement de Tracfin, l’organisme de lutte contre le blanchiment. Le 1er mars dernier, un juge d’instruction l’a d’ailleurs renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour "abus de biens sociaux" et "blanchiment". Il est soupçonné d’avoir détourné des fonds de la trésorerie de sa société à des fins personnelles. Deux autres hommes seront jugés à ses côtés – la date n’est pas encore connue – pour "complicité" et une femme, pour "recel". "On n’a fait que transporter des chèques. On s’est fait baiser", commente-t-il, précisant avoir été victime d’un "escroc recherché par la justice" - un des deux complices - qui aurait tenté de lui faire porter le chapeau.

En 2012, le préfet de police a retiré l’habilitation d’une de ses sociétés. Un précieux sésame délivré par les autorités et nécessaire pour pouvoir exercer. Depuis, Hubert P. a récréé de nouvelles entités. Dernière en date, le rachat d’une société espagnole, "Luxadvance consulting, S. L.", domiciliée à Barcelone, en Espagne. Filiale de cet établissement, les "Pompes funèbres premium" a installé son siège à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) au sein d’un centre de domiciliations commerciales. Hubert P. y a inscrit le nom de sa mère comme "responsable en France". Sa génitrice, âgée de… 90 ans. "Et alors ? Comme la reine d’Angleterre ou des académiciens qui continuent d’exercer à cet âge-là !", fait-il remarquer. Il assure, depuis, avoir été habilité par la préfecture des Hauts-de-Seine.

Une plateforme internet pour "conseiller"

Hubert P. a réponse à tout. "C’est un homme qui donne l’impression d’être habitué à la manipulation. Plutôt avenant mais qui peut se montrer menaçant", indique un proche d’une des victimes du croque-mort. Il se souvient de "la douleur à gérer des funérailles en même temps qu’une personne qui tente d’encaisser un devis exorbitant". "C’est très difficile pour les familles qui ne connaissent pas grand-chose aux pompes funèbres. Dans ce contexte, elles peuvent facilement se faire avoir", indique Michel Kawnik, le président de l’AFIF. Aujourd’hui, Hubert P. soutient qu’il n’exerce plus. Tout juste, il convient d’occuper une activité de "conseil". Via une plateforme internet, " protection-funeraire-generale.fr ", il prodigue une "assistance funéraire" pour "vous faire économiser sur les frais d’obsèques". Plusieurs tarifs sont avancés : 50€ pour une "assistance téléphonique", 150 € pour la formule "conseil obsèques" et 250€ pour "assister physiquement" les proches des défunts. Une nouvelle vitrine pour approcher de potentiels clients ?

Dans une toute récente affaire, un particulier a porté plainte cet été contre lui. Hubert P. sera jugé pour "escroquerie" le 14 avril prochain par le tribunal correctionnel de Paris. Il lui est notamment reproché d’avoir agi en qualité de gérant de sa société "e-pompes funèbres directes", alors qu’elle n’avait pas d’habilitation préfectorale. "C’est faux, je ne m’occupais que de la partie marbrerie. Je n’ai servi que d’intermédiaire pour l’entreprise de pompes funèbres", conteste-t-il. Persuadé de son "bon droit", il a d’ailleurs décidé de se séparer de ses avocats. Hubert P. le promet : il ira plaider lui-même sa cause devant la 24e chambre correctionnelle.


William MOLINIE

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