ÉMOTIONS - Cinq ans après l'attentat contre "Charlie Hebdo", le 7 janvier 2015, la France continue de vivre avec une menace permanente, entre insécurité et vigilance. Et quand un événement traumatique s'invite dans l'actualité, certains parents se sentent parfois démunis : comment faut-il réagir avec les enfants ? On a posé la question au pédopsychiatre Jacques Dayan et au psychologue Jean-Luc Aubert.
Cinq ans après les attentats de janvier 2015 contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher, une journée nationale en hommage aux victimes du terrorisme sera instaurée, pour la première fois en France, le 11 mars 2020 (en même temps que la journée européenne des victimes du terrorisme). Une décision annoncée par Emmanuel Macron il y a bientôt un an, et officialisée en novembre dernier par un décret publié au Journal Officiel, qui illustre parfaitement les résultats d'une enquête de l'Observatoire B2V des Mémoires, menée par l'Ifop* au début de l'été. Elle montrait en effet que pour 74% des sondés, les attentats constituent la situation traumatique à laquelle il est le plus difficile de faire face aujourd'hui. "C'est à partir des attentats que les Français ont pris conscience de la notion de traumatisme psychique", indiquait au moment de la publication de l'enquête l'historien Denis Peschanski, l'un des membres du conseil scientifique de l'Observatoire.
Depuis, l'actualité ne cesse de questionner chacun d'entre nous sur la notion de traumatisme, encore récemment après l'attaque à la mosquée de Bayonne fin octobre ou la tuerie à la Préfecture de police de Paris au début du même mois. Et souvent, en tant que parent, on se demande quelles conséquences ce climat anxiogène peut avoir sur nos enfants. Comment faut-il aborder ce sujet difficile avec eux ? Le pédopsychiatre Jacques Dayan et le psychologue Jean-Luc Aubert, créateur de la chaîne YouTube "Questions de psy", nous éclairent.
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Etre le plus neutre possible
"Même si on ne parle pas de ces événements avec son enfant, notre façon de réagir, notre façon d'accorder de l'importance à ce qui se passe, même de façon implicite en s'énervant, en criant, en montrant une émotion, peut avoir un impact", prévient d'emblée Jacques Dayan, selon qui jusqu'à l'adolescence, l'attitude des parents est "un filtre et en même temps un cadre dans lequel l'enfant se construit"." Le problème, c'est que cette part spontanée, de fait incontrôlable, peut parasiter la part volontaire, celle dans laquelle les parents tiennent un discours réfléchi. Le plus difficile est de composer avec elle, car les enfants ressentent beaucoup les émotions", renchérit le pédopsychiatre.
Concrètement, si les parents souhaitent parler de ces événements, il est important, selon Jacques Dayan, de le faire avec des mots simples, adaptés à chaque âge. "On ne dira pas les mêmes choses à un enfant de 8/9 ans qu'à celui de 2/3 ans, indique-t-il. Le plus simple, c'est de créer la discussion en posant des questions. Par exemple : 'Ils ont dit quoi les copains à l’école, et les professeurs ? Et toi, tu en penses quoi ?' Cela permet de voir comment votre enfant ressent les choses", souligne le thérapeute, qui déconseille par ailleurs de laisser la télévision tourner en boucle en pareil cas, pour ne pas risquer d'amplifier l'inquiétude.
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Toutefois, pour Jean-Luc Aubert, "il n'est pas forcément nécessaire d'aller au devant de l'enfant. Comme nous vivons dans un monde hyper-connecté, on peut juste lui demander s'il en a entendu parler. Si ce n'est pas le cas ou s'il ne montre pas une inquiétude particulière, on n'insiste pas. En revanche, s'il pose des questions, il faut y répondre de la façon la plus neutre et la plus sereine possible - c'est le principe de la cellule psychologique - afin de rassurer l'enfant. Comme le parent apparaît comme le protecteur majeur, s'il montre une forme de sérénité à travers ses propos et ses attitudes, cela se passera bien".
"Pour les plus grands, poursuit le psychologue, on va se contenter de décrire la situation en prenant le plus de distance possible. On peut aussi faire un peu d'histoire, en se servant notamment de l'exemple des guerres de religion. Pour les plus petits, il est nécessaire d'appuyer sur le fait que très peu de personnes sont à l'origine de ce genre d'événements, et j'insiste sur le 'très peu'. Car ce sont des mots qui parlent au jeune enfant", poursuit le psychologue.
Un traumatisme peut-il se transmettre ?
Et qu'en est-il lorsqu'on n'est plus spectateur mais acteur d'un tel événement traumatique ? On l'a vu lors des attentats du 13 novembre 2015, de nombreux parents étaient présents au Bataclan. Comment, lorsque l'on est rescapé d'un drame de ce type, aborder le sujet avec son enfant ? Pour Jean-Luc Aubert, "la parole étant difficilement neutre, la meilleure façon de ne pas transmettre un stress, c'est déjà d'évacuer soi-même l'angoisse de la situation, avec par exemple un suivi psychologique. Après, si on n'est toujours pas capable d'en parler sereinement - ce qui se comprend -, il faut avoir la sagesse de déléguer quelqu'un qui va accompagner l'enfant et qui sera à même de rendre ses propos le plus distancié possible. L'important, c'est de souligner que ce n'est pas parce que son parent a été victime d'un attentat que l'enfant le sera à son tour", explique-t-il.
Ce que confirme Jacques Dayan, qui va même plus loin : "Un tel événement traumatique n'aura pas forcément un impact négatif. Ainsi, un parent qui a été agressé mais qui s'est défendu va transmettre à ses enfants la capacité de faire face", dit-il. Avant de conclure : "Même s'il y a un trauma parental, le développement de l'enfant n'est pas centré sur le trauma du parent".
* Enquête de l’Observatoire B2V des Mémoires, menée avec l’institut IFOP, auprès d’un échantillon de 1508 personnes, représentatif de la population française de 18 ans et plus. Celles-ci ont été interrogées en ligne par questionnaires du 2 au 5 juillet dernier.