Connaissez-vous vraiment les droits de vos enfants ? Un ex-juge met les points sur les i

Publié le 19 novembre 2019 à 14h08
Connaissez-vous vraiment les droits de vos enfants ? Un ex-juge met les points sur les i
Source : iStock-1070396034

INTERVIEW - En France, les adultes croient encore trop souvent que les enfants n'ont pas de droits, mais juste des devoirs, estime l’ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny Jean-Pierre Rosenczveig. Alors que l'on célèbre ce mercredi 20 novembre les 30 ans de la Convention internationale des droits de l'enfant, il publie un guide pour qu'enfin leur parole soit entendue.

A la question "les enfants ont-ils des droits ?", 70% d'entre eux répondent qu'ils n'en savent rien, selon le dernier rapport du défenseur des Droits. 30 ans après l'adoption par les Nations Unies de la Convention internationale des droits de l'enfant, le chemin est encore long pour faire évoluer les consciences. Pour tenter d'y remédier, l'ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny Jean-Pierre Rosenczveig vient de publier "Les droits de l'enfant pour les nuls" (Editions First), un ouvrage à l'attention de tous ceux qui n'y connaissent rien, c'est-à-dire en tout premier lieu les adultes.

"L'enfant est une personne", assène-t-il tout au long de ce guide, indispensable pour comprendre "ces êtres vulnérables qui ne sont pas pour autant sans défense". Au fil des pages, l'ex-juge balaye les idées reçues et passe en revue toutes les problématiques, jusqu'aux plus graves : "Rappelons qu'en France un enfant est tué par l'un de ses parents ou proches tous les cinq jours en moyenne", souligne-t-il. On s'est glissé dans la peau d'un de ces nuls. Interview.

LCI : Jusqu'à quel âge est-on considéré comme un enfant ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Dans son article 1, la Convention internationale des droits de l'enfant fixe à 18 ans l'âge de la majorité pour l'ensemble des pays du monde. Passé ce cap, on est censé avoir la jouissance de ses droits civiques, politiques... Seule exception, les Etats-Unis, où la majorité est encore à 21 ans dans certains Etats. Il faut dire que c'est l'unique pays à ne pas avoir ratifié cette Convention, ce qui aboutit à des situations abracadabrantes où un enfant peut par exemple se marier à 8 ou 9 ans. On y voit aussi des gamins exposés dans des supermarchés pour être adoptés, et qui peuvent être ramenés comme un vulgaire paquet de lessive parce qu'ils n'ont pas plu aux parents adoptifs...

L'enfant est-il responsable de ses actes avant sa majorité ?

Entre 0 et 18 ans, il y a différentes séquences : sur le plan pénal, autour de 7/8 ans, l'enfant est censé faire preuve de discernement et peut donc être considéré comme responsable de ses actes, c'est-à-dire qu'il peut être condamné (la ministre de la Justice Nicole Belloubet souhaite toutefois instaurer un seuil d’irresponsabilité pénale à 13 ans, ndlr), mais ce n'est qu'à partir de 13 ans qu'il peut aller en prison. A partir de 16 ans ensuite, il peut être puni comme un adulte.

Sur le plan civil, c'est différent. Ainsi, la cour de cassation a estimé qu'un enfant de 4 ans qui blesse son camarade de jeu avec un bâton est tenu pour responsable, c'est-à-dire qu'il doit réparer le préjudice de la victime. Bien entendu, comme il n'a pas d'argent, ce sont ses parents qui vont être tenus de réparer pour lui. Et si ces derniers ne peuvent pas, à sa majorité, c'est lui qui devra payer. D'où l'importance pour les parents d'être assurés pour leur enfant. Ce qui n'est pas obligatoire, et c'est dommage. 

On est passé de l'enfant chose fragile, qu'il faut protéger contre lui-même et contre autrui, à une personne en tant que telle qui doit être respectée.
Jean-Pierre Rosenczveig

L'enfant appartient-il à ses parents ?

Chaque enfant est effectivement inscrit dans une famille, dans un pays, dans une culture, parfois dans une religion. Dans ce contexte, la question est de savoir s'il a une marge de manœuvre pour décider de ce qui le concerne. C'est tout le combat mené dans la deuxième partie du XXème siècle, notamment par la psychanalyste Françoise Dolto. Elle fut une des premières à reconnaître que l'enfant est une personne, et donc qu'il a des droits. Celui par exemple d'être respecté dans son corps, dans son existence. L'enfant a par ailleurs une sensibilité, des affects, il peut croire ou ne pas croire, avoir des opinions et les exprimer à titre individuel, à la maison ou dans la rue, ou à titre collectif à travers la vie associative ; on est ainsi passé de l'enfant chose fragile, qu'il faut protéger contre lui-même et contre autrui, à une personne en tant que telle qui doit être respectée et qui peut avoir une prise sur sa vie. C'est l'article 12 à 15 de la Convention internationale. Pour moi, c'est un peu le cœur du réacteur.

Cette liberté d'expression que vous évoquez semble pourtant être l'un des droits les moins respectés, car largement ignoré des adultes, et des enfants eux-mêmes...

Ce n'est pas étonnant. Toute une série d'études le démontre : ce qui fait la culture de l'enfant, notamment de celui qui est très jeune, c'est le comportement de son environnement. Ce sont notamment ses parents ou les enseignants. Sauf que pour eux, l'enfant est toujours un objet. C'est pour cela que j'ai voulu écrire "Les Droits de l'enfant pour les nuls". Pour toutes ces personnes qui environnent les enfants et qui sont nulles, dans le sens où elles continuent d'ignorer leurs droits.

Prenons un exemple que j'ai mille et une fois rencontré dans les établissements scolaires : lorsque je demande à des enfants s'ils ont le droit de porter plainte dans un commissariat, tous me répondent 'non'. Eh bien c'est faux . Mais je suis convaincu que si on interroge les parents, ils sont eux-mêmes convaincus que leur présence est indispensable. Or la loi dit bien que toute personne est en droit de porter plainte contre quelque chose dont elle prétend avoir été la victime. 

On parle beaucoup de la parole des femmes, mais à quand un #Metoo des enfants ?

Il y a déjà eu des tentatives en 1989, avec des mouvements en faveur des droits des enfants, mais cela a vite été oublié. Pourtant, c'est un combat assez similaire. Si l'on revisite l'histoire, il faut se souvenir que sous Napoléon, il y avait deux grands 'incapables', le mineur de moins de 18 ans et la femme mariée, parce qu'elle était considérée comme pouvant dilapider les biens du mari. Je vous rappelle qu'il a fallu attendre 1946 pour que les femmes puissent voter, et 1965 pour qu'elles disposent d'un carnet de chèques. Comme pour les enfants, ces dernières doivent continuellement faire valoir leurs droits.

Toutefois, dans le droit français, la parole de l'enfant ne peut pas être décisive. Deux exceptions tout de même : un enfant peut refuser d'être adopté et une jeune fille peut refuser de poursuivre une grossesse. Et ce même si ses parents l'y obligent. Ce n'est qu'à partir de 16 ans que l'enfant peut prendre des décisions le concernant. Avant, il ne peut que donner son point de vue et les parents décident de s'y rallier ou non. Et s'ils ne sont pas d'accord entre eux, c'est la justice qui tranche. En revanche, la loi de 2002 dit que sur toutes les décisions qui les concernent, les parents doivent consulter leurs enfants. Ce qui veut dire qu'ils doivent tenir compte de ce qu'ils pensent. 

L'un des arguments de ceux qui sont hostiles à ce que les enfants aient plus de droits est la crainte de voir "l'enfant roi" fleurir dans les chaumières. Qu'en pensez-vous ?

On le dit depuis des décennies. Mais il n'y a aucun pays au monde où l'enfant est roi. C'est un fantasme. Cela veut dire grosso modo qu'on va perdre le pouvoir parce que les enfants, ou les femmes parce que là encore l'analogie avec leur statut est tout à fait éclairante, vont l'avoir. Ce sont des mythes qu'il faut casser. Le premier des droits édicté par la Convention internationale, c'est d'ailleurs le droit à avoir une protection familiale. Ce qui par définition est antinomique avec l'idée d'un enfant roi. 

Des avancées sont encore possibles
Jean-Pierre Rosenczveig

Comment peut-on, aujourd'hui, faire progresser les droits des enfants ?

Sur une série de points précis, des avancées sont encore possibles. Notamment sur la liberté d'expression des enfants dans les situations qui les concernent, sur leur capacité à participer à la vie citoyenne - c'est tout le débat sur les conseils municipaux des enfants. C'est aussi consacrer le droit à la connaissance de ses origines, et pour les enfants handicapés, celui d'accéder à l'éducation. Enfin, pour les 3 millions d'enfants pauvres qui vivent dans des conditions  précaires, le droit de pouvoir accéder à l'école. Car à qui va t'on faire croire qu'un enfant qui vit avec sa mère dans une voiture a la capacité de poursuivre des études normalement ?


Virginie FAUROUX

Tout
TF1 Info