Homophobie et transphobie à l'école " : "On ne peut pas les combattre à simple coup de communication"

Publié le 28 janvier 2019 à 18h04, mis à jour le 29 janvier 2019 à 9h34
Homophobie et transphobie à l'école " : "On ne peut pas les combattre à simple coup de communication"

INTERVIEW - "Ça suffit !"... Alors que plusieurs études pointent du doigt une recrudescence des actes homophobes en milieu scolaire, le ministre de l'Education lance ce lundi une campagne de sensibilisation dans tous les collèges et lycées, avec pour la première fois, la prise en compte des personnes transgenres. "Une bonne chose, reconnaît le sociologue spécialiste du sujet Arnaud Alessandrin, même si, pour le dire avec un mauvais jeu de mots, ça ne suffit pas !"

Il ne mâche pas ses mots. Arnaud Alessandrin, sociologue à l'université de Bordeaux, est agacé "par ce jeu de dupes qui consiste à penser que par la magie d'une affiche placardée sur tous les murs des établissements du second degré, et représentant un 'ça suffit' barrant différentes formes de discrimination, l'homophobie et la transphobie vont disparaître à l'école. 

Tel est en tout cas le message de la nouvelle campagne de sensibilisation, lancée ce lundi 28 janvier, par le ministère de l'Education, dans tous les collèges et lycées, sur fond de recrudescence des actes homophobes. Pour Arnaud Alessandrin, auteur de nombreux livres sur le sujet, dont la Sociologie des transidentités (Le Cavalier Bleu Editions), "ça ne suffit pas !". Même s'il se félicite d'une telle campagne, "sensibiliser n'est pas former". Interview...

Forte appréhension face à l'école

LCI - Pour la première fois, le terme de transphobie apparaît dans une campagne de sensibilisation à l'école. Est-ce une vraie avancée à vos yeux?

Arnaud Alessandrin - C'est la première fois effectivement que ce terme apparaît aussi clairement et c'est une bonne chose. A la différence de l'homophobie, qui est le rejet d'une orientation sexuelle, la transphobie recouvre toutes les discriminations faites à l'encontre de jeunes garçons ou filles qui ne respectent pas, ou qui transgressent, ce qu'on appelle en sociologie 'les normes du genre'. Des garçons qui vont se féminiser, des filles qui vont se masculiniser. Cela passe par l'aspect vestimentaire, des changements de pseudos ou des demandes officielles de changement de prénoms. Cela peut également passer par des modifications corporelles, comme le camouflage de la poitrine. A l'école, en réalité, il y a peu d'élèves qui se disent ou s'assument comme trans', mais les choses sont en train de bouger et il y en a de plus en plus. 

LCI - Vers quel âge ces élèves parviennent-ils à assumer leur différence ?

Arnaud Alessandrin - Les psychologues vous diront que l'identification à un groupe sexué se fait avant l'identification à une sexualité ou une orientation sexuelle. Donc le sentiment d'appartenir à un sexe s'enracine dès l'âge de 5, 6, 9 ans, en fonction des personnes. Simplement la transphobie étant très présente dans les établissements, l'expression trans-identitaire se fait beaucoup plus tard. C'est tout le paradoxe. Il y a un différentiel entre les premiers sentiments d'être trans' et l'expression de la trans-identité.

LCI - A votre avis, à quoi est due cette prise de conscience ? 

Arnaud Alessandrin - Je pense que sans données comptables, il n'y a pas de prise de conscience politique. Le terme de transphobie est apparu pour la première fois en 2012 dans quelques rectorats, notamment grâce à la mission créée sous l'ancien ministre de l'Education, Vincent Peillon, pour lutter contre les discriminations et le harcèlement à l'école. A l'époque,  nous avions des remontées chiffrées parcellaires grâce à l'association SOS Homophobie, mais aucune donnée massive sur le sujet. Six ans après, cette nouvelle campagne le met en avant officiellement. Et pour cause : grâce à l'enquête, menée en 2017, sur la santé des mineurs LGBTI scolarisés, à laquelle j'ai participé, nous avons pu comptabiliser une strate de 217 jeunes personnes trans' scolarisés, sur 1059 LGBTI répondants. Et leurs réponses sont sans appel : nous voyons par exemple que les jeunes trans' ont un haut niveau d'appréhension face à l'école. Ainsi pour 72% d'entre eux, l'expérience scolaire est perçue comme mauvaise. Un chiffre qui grimpe à 82% pour les personnes inter-sexes.

Comment aller aux toilettes lorsqu'on se sent garçon et qu'on a un corps dit de fille, sans avoir peur de subir du harcèlement ?
Arnaud Alessandrin, sociologue

LCI - Selon vous, quelles mesures faudrait-il prendre ?

Arnaud Alessandrin - Sensibiliser n'est pas former. Résultat, on se retrouve avec des encadrants qui n'ont pas de formation inscrite sur ces questions-là dans les plans académiques. Ou alors des formations lacunaires. Par exemple, on va beaucoup insister sur les questions d'égalité filles-garçons, mais beaucoup moins sur les questions d'homophobie. Nous sommes aussi face à des programmes scolaires qui ne sont absolument pas progressistes sur les questions LGBT. Je peux vous renvoyer vers le chapitre "devenir homme ou femme" en SVT des filières L ou S, qui définit encore les trans-identités comme des personnes ayant une pathologie. Ou bien les enfants intersexes comme des anormalités. 

LCI - Ne faut-il pas aussi une meilleure prise en charge de ces élèves ?

Arnaud Alessandrin - Vous avez raison, les mesures scolaires ne suffisent pas. Par exemple, on sait que la santé scolaire des jeunes LGBT, en l'occurrence des personnes trans', n'est absolument pas prise en considération. Ainsi, on a des taux de déscolarisation très forts dus notamment à des services scolaires inadaptés. On peut penser aux toilettes, ou à la cantine. Les enquêtes du président de l'Observatoire européen des violences à l'école, Eric Debarbieux, montrent par exemple que les toilettes participent d'une certaine oppression viriliste à l'école. Comment aller aux toilettes lorsqu'on se sent garçon et qu'on a un corps dit de fille,  sans avoir peur de subir du harcèlement, de l'oppression, du voyeurisme ou des attouchements ? 

Cela pose aussi des vrais questions sur la santé globale des personnes trans'. Pour l'instant, on n'a que des chiffres étrangers. Les données en France sont en train d'être travaillées mais on peut poser une question toute bête : comment font les mineurs trans' pour accéder aux hormones, alors que la France est très réticente à en délivrer ? La Suisse ou l'Espagne sont très progressistes sur ces questions et donnent des bloquants hormonaux aux mineurs trans' afin de les laisser choisir leur genre lorsqu'ils le décideront. 

LCI - Cette campagne de sensibilisation va tout de même dans le bon sens ? 

Arnaud Alessandrin - Je suis à la fois très content de cette campagne, mais je me demande aussi quel effet elle pourra avoir. On ne peut pas combattre l'homophobie et la transphobie à simple coup de communication, avec une affiche ou un tweet. Il y a également le problème du sous-financement des associations LGBT. Résultat, lorsque un jeune gay ou une jeune lesbienne se trouvent isolés en dehors des grandes villes, au-delà d'internet, il n'y a pas de lieux physiques pour se rencontrer et échanger.

Par ailleurs, depuis les débats sur la PMA, l'augmentation des actes LGBTI-phobes est réelle. On a ce paradoxe : un gouvernement qui va demander aux établissements scolaires de mettre des affiches dans les halls d'entrée et, en même temps, ce même gouvernement qui parle de PMA sans voter la loi, ce qui fait considérablement augmenter les chiffres des LGBT-phobies, notamment chez les plus jeunes !


Virginie FAUROUX

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