"Jurassic Park", "Les dents de la mer"... A partir de quel âge votre enfant peut-il voir ces films ?

Publié le 19 avril 2019 à 18h48, mis à jour le 19 avril 2019 à 18h55

Source : Sujet JT LCI

RETOUR VERS LE PASSÉ - Les parents ont envie de transmettre leur culture à leurs enfants et donc leur montrer leurs films cultes. De "Charlie à la chocolaterie" à "Jurassic Park" en passant par "Gremlins", y a-t-il un âge pour regarder ces classiques ? Deux pédopsychiatres et une psychologue donnent leurs points de vue.

Nombreux sont les jeunes parents qui veulent montrer leur film culte fondateur de l’enfance à leur chère tête blonde, avec plusieurs questions afférentes : "A partir de quel âge mon enfant peut-il voir et comprendre mon doudou cinématographique ? Est-ce que E.T. marche toujours sur le jeune public accro aux tablettes et à Dora l’exploratrice ? Est-ce qu’il m’aimera toujours si je lui dis que j’adore La soupe aux choux ?".

Sollicités par LCI, les pédopsychiatres Nicolas Georgieff et Stéphane Clerget, ainsi que la psychologue Geneviève Djenati, dispensent leurs conseils sur des films ayant marqué les enfants de la télé nés dans les années 80-90. 

De Charlie à Edward : le monde de Burton vu par les enfants

Barioleur de cauchemars enchantés, Tim Burton a toujours œuvré au nom de l’enfance : son adaptation d’Alice aux pays des merveilles, Beetlejuice, Mars Attacks... Mais tous ses films sont-ils réellement adaptés à tous les enfants ? "Mes enfants ont découvert très tôt L’étrange Noel de Mr Jack (1993) de Henry Selick, auquel Tim Burton a apporté sa patte", se remémore le pédopsychiatre Nicolas Georgieff. "Ils ont instantanément adoré ce film aux allures d’éducation métaphysique qui parle de la mort et les autorise à se poser des questions sur la mort."

Selon nos psys, certains Burton, en apparence calibrés pour les petits enfants, passent cependant moins bien, à l’instar de Charlie et la chocolaterie (2005). Selon la psychologue Geneviève Djenati, il souffre d’un malentendu : "Cette adaptation de Roald Dahl file une trouille monstre, même chez les grands enfants", raconte-t-elle. "L’univers de Willy Wonka avec toutes les tuyauteries, tous les gamins qui disparaissent… Johnny Depp peut même, par son attitude, son accoutrement et ses mimiques, renvoyer à la peur que les enfants nourrissent des clowns."

Le fabuleux Edward aux mains d’argent (1991), dans lequel Johnny Depp incarne Edward, créature candide et balafrée ayant des lames de métal et des instruments tranchants en guise de doigts, s’adresse, lui, à un public plus âgé. "Burton décrit exactement l’état adolescent, sur les étapes intermédiaires de la vie où l’on est dans un état de transformation" constate Nicolas Georgieff.   "Plus globalement, Burton s’adresse aux adolescents qui veulent tous être identiques alors qu’ils sont tous différents" poursuit Stéphane Clerget. "Ce cinéma sur les marginaux et l’exclusion rappelle que l’adolescent se vit comme un freak." Rien de préjudiciable dans ce cinéma mettant en lumière les zones d’ombre.

Retour vers le futur, se repérer dans le temps

Comme la saga "Indiana Jones", la saga "Retour vers le futur", relatant les pérégrinations de Marty McFly à travers des failles spatio-temporelles dévastatrices, fait partie des monuments que l’on a hâte de montrer à ses enfants. A partir de quel âge, au juste ? Pour Nicolas Georgieff, "un enfant de 6 ans, ayant déjà appris à distinguer le passé, le présent et le futur, peut parfaitement comprendre Retour vers le futur. La théorie de la relativité se révèle ici un prétexte à des situations surréelles. Et n’allez pas croire qu’un enfant comprend moins bien cette complexité qu’un adulte ordinaire."

De son côté, la psychologue Geneviève Djenati conseille néanmoins d’attendre 9 ans : "Le film joue sur les ressorts du roman familial où le héros dispose d'un pouvoir sur le passé de sa famille et peut défaire ou refaire, entre autres, le couple de ses parents. Parfait pour l’entrée dans l’adolescence."

Ghostbusters, Gremlins… les films qui mixent humour et fantastique

Quid de ces films chéris qui jouent sur nos terreurs nocturnes pour de rire ? Selon le pédopsychiatre Nicolas Georgieff, "SOS Fantômes est une histoire loufoque de fantômes permettant aux enfants de rire des fantômes et donc de ce qui les effraie intimement. L’humour s’impose alors comme un facteur de protection fondamentale, instaurant une distance face à la peur et la violence. S’il y a aucun humour dans une série horrifique comme The Walking Dead, S.O.S. Fantômes est franchement à hurler de rire".

Gremlins de Joe Dante, tant plébiscité par les pré-ados dans les années 80-90, fonctionne pour sa part au degré du dessus avec son gentil mogwai maudit qui, à minuit et s’il reçoit de l’eau, accouche de monstrueuses créatures gluantes. Selon Nicolas Georgieff, "Gremlins s’adresse aux enfants de 10 ans, il recèle cette dimension jouissive consistant à pervertir un univers enfantin, jouant sur ce principe des animaux craquants inoffensifs comme des peluches se transformant en monstres. Soit faire peur avec ce qui rassure." De quoi rappeler, selon lui, que le cinéma a aussi une "fonction thérapeutique" : "Pour arriver à contrôler ses peurs, l’enfant a besoin de les voir représentées. Les films mixant peur et humour fonctionnent exactement comme dans les contes de fée où les angoisses ne sont pas à l’extérieur de soi mais en soi."

"E.T.", "Jurassic Park", "Les dents de la mer", le royaume Spielberg

Qui dit "film pour enfants", dit évidemment "Steven Spielberg", le Walt Disney des adultes. Quand peut-on initier son enfant à son cultissime E.T. où un jeune héros, abandonné par ses parents divorcés, voit sa solitude peuplée par un extra-terrestre trop sympa qui veut "téléphone-maison" ? "Un enfant de 5-6 ans peut voir E.T. avec ses parents, sans problème" selon le pédopsychiatre Nicolas Georgieff. 

Même réflexion pour la psychologue Geneviève Djenati : "Si le film peut s’avérer effrayant par bien des aspects, on peut le voir à 5 ans, bien accompagné. Les enfants seront sensibles à cette relation entre le jeune héros Elliot et l’extra-terrestre qui se trouvent être les mêmes : c’est un peu l’ami imaginaire qui possède de super-pouvoirs embellissant le réel, avec qui on vole en vélo, soit un double du héors jusque dans les noms (Elliot et E.T.) mais dans un autre espace. E.T. fait partie de ces très beaux films que l’enfant peut voir et revoir tout le temps et dans lesquels il découvrira toujours quelque chose de nouveau. C’est un film qui ouvre l'imaginaire, qui vante la force du cinéma chez les enfants : un imaginaire collectif, nourri de visions partageables avec les autres."

Pareil pour Jurassic Park ? Pour Nicolas Georgieff, "c’est la représentation d’un univers où le petit garçon joue avec ses dinosaures et où l’adulte a une fonction sécurisante, apparaissant toujours dans une position protectrice, sauf dans la fameuse scène de la cuisine où le petit garçon et la petite fille affrontent, seuls, le vélociraptor."

Ce sont les images chocs et explicites qui heurtent, plus que ce qui est suggéré.
Stéphane Clerget, pédopsychiatre

Et enfin, Les dents de la mer, "ze" stade ultime de la trouille ayant traumatisé, avec ses requins de station balnéaire, des générations entières d’enfants de la télé : est-ce bien raisonnable de le montrer à son fiston qui vient d’entrer au CP ? Nicolas Georgieff soutient que l’"on ne montre pas de films effrayants à un enfant de moins de 7 ans dans lesquels ce qui fait peur à l’écran lui fait intimement peur. Mais, à partir de cet âge de raison qui correspond pour moi à un vrai curseur, si l’on veut tenter un visionnage des Dents de la mer qui joue sur l’angoisse archaïque de la dévoration, il faut prendre en compte deux paramètres essentiels : la sensibilité de l’enfant (veut-il vraiment le voir ? Est-ce qu’on ne lui impose rien ?) et la contextualisation (regarder le film avec lui, expliquer ce qui se passe à l’écran, rappeler que tout est faux etc.)."


N’oublions jamais que l’horreur dans le classique de Spielberg était souvent suggérée (au fond, on voit moins ce cher requin qu’on l’imagine). Selon le pédopsychiatre Stéphane Clerget, "ce sont les images chocs et explicites qui heurtent, plus que ce qui est suggéré. Ce qui est traumatisant pour l’enfant, c’est qui va au-delà de ce que l’on peut imaginer."

Conseils de psy

Pour initier l’enfant à des œuvres plus matures, Stéphane Clerget conseille aux parents d’apprendre aux enfants à filmer avec un smartphone : "Avant de leur montrer des films un peu plus durs, ils peuvent proposer à leurs enfants de faire leurs propres films entre copains où ils jouent eux-mêmes des monstres…". 

Nicolas Georgieff appelle, de son côté, à ne pas sous-estimer la capacité des enfants de plus de 7 ans à adhérer à des fictions complexes : "Ce film qu’un parent veut montrer à son enfant reste un prétexte pour consolider le lien familial, autorisant le parent à revivre son enfance et permettant à l’enfant de voir son parent comme un enfant. Mais un enfant peut pleinement voir des œuvres universelles qui parlent de 7 à 77 ans. Je pense même à des films comme Fanny et Alexandre de Ingmar Bergman ou Freaks de Tod Browning, que j’ai personnellement vus à 7-8 ans."

De quoi rappeler aux parents précautionneux à quel point les enfants ont avant tout besoin d’histoires qui les fassent grandir : "Un enfant se pose constamment des questions sur le monde des adultes : c’est quoi l’amour, c’est quoi le travail… Leur infliger seulement des spectacles enfantins sans saveur ne répond pas forcément à leurs questions. Les parents déplacent souvent sur les médias et la consommation culturelle des questions qu'ils feraient mieux de se poser sur ce qu’ils font vivre à un enfant dans la réalité. Cela ne sert à rien de montrer du Disney si le papa et la maman entretiennent devant lui des rapports toxiques."


Romain LE VERN

Tout
TF1 Info