Cannes 2018 : "L’homme qui tua Don Quichotte", notre avis : un Gilliam corrosif et mélancolique à la fois

Publié le 19 mai 2018 à 9h47, mis à jour le 19 mai 2018 à 14h01

Source : Sujet JT LCI

ON AIME – C’était le projet le plus rocambolesque de sa carrière. Avec "L’homme qui tua Don Quichotte", en salles ce samedi dans toute la France, avant sa projection en clôture du 71e Festival de Cannes, Terry Gilliam délivre une fable savoureuse sur le pouvoir du cinéma qui passionne et rend fou.

Il est là, enfin. 18 ans après un premier tournage avorté qui fait déjà partie de la légende du cinéma, "L’homme qui tua Don Quichotte" sort aujourd'hui au cinéma. De l’aveu même de Terry Gilliam, ce n’est plus tout à fait le film qu’il avait imaginé à l’origine. Mais que les fans se rassurent : il porte sans conteste la patte de l’ex-Monty Python, artisans intraitable dont l’acharnement a porté ses fruits, surmontant une incroyables séries de faux départs pour donner naissance à l’un des ses films les plus rigolos. L’un des plus mélancoliques aussi.

 

Son héros, c’est Toby (Adam Driver, survolté), un jeune réalisateur américain qui vient tourner une pub en Espagne avec les moyens démesurés d’un blockbuster. Fringuant, bien sapé mais guère inspiré, il semble plus intéressé par la sensuelle fiancée de son producteur véreux que par le travail qu’on lui a commandé. Jusqu’au jour où il tombe par enchantement sur un DVD pirate du film d’étudiant qu’il a tourné au pays de Cervantès, des années plus tôt. Une relecture toute personnelle des aventures de Don Quichotte, tournée avec les habitants d’un village du coin.

Folie douce et mondes parallèles

Après s’être exfiltré d’un plateau sur lequel rien ne se passe comme prévu – tiens, tiens – Toby retourne sur les lieux de son premier méfait. Et découvre avec stupeur que le vieux cordonnier qu’il avait engagé pour incarner Don Quichotte (Jonathan Pryce, halluciné) est resté bloqué dans le personnage, devenant une attraction pour les rares touristes du coin. Un accident malencontreux va les contraindre à prendre ensemble la poudre d’escampette. Et à s’embarquer dans un road trip aussi rocambolesque qu’incertain.

Dans la version initiale du scénario, Toby faisait la rencontre de Quichotte au XVIIe siècle par la grâce d’une faille spatio-temporelle bienvenue. Dans la version désormais finale, c’est dans le monde contemporain qu’ils vont vivre une série de mésaventures loufoques, sans qu’on sache très bien ce qui relève du rêve ou de la réalité. C’est une thématique omniprésente dans la filmographie de Gilliam, ses héros tourmentés se réfugiant dans une réalité parallèle pour échapper à leurs déboires, depuis le Harry Tuttle de "Brazil" (Jonathan Pryce déjà lui), en passant par le Parry de "Fisher King" (le plus beau rôle Robin Williams) ou le Raoul Duke de "Las Vegas Parano" (Johnny Depp, qui devait d’ailleurs jouer Toby à l’origine).

 

Comme son comédien, enfermé dans l’armure de son personnage, et récitant en boucle ses dialogues en anglais, Toby sombre peu à peu dans la folie douce à mesure qu’il prend conscience de l’imposture de sa carrière et surtout du bouffon prétentieux qu’il est devenu. Quand bien même elle tarde un peu à décoller, cette mise en abîme savoureuse de la part du plus british des cinéastes américains se double d’une farce corrosive sur l’actualité brûlante, épinglant Trump, Poutine et les islamistes. Sans parler du vilain producteur qu’il croque avec une méchante jouissive. A bon entendeur…

>> "L'homme qui tua Don Quichotte", de Terry Gilliam. Avec Adam Driver, Jonathan Pryce. Durée 2h12. En salles.


Jérôme VERMELIN

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