Un "Dogman" enragé, un "Burning" incandescent : le niveau de la compétition cannoise monte encore d’un cran

Jérôme Vermelin, à Cannes
Publié le 17 mai 2018 à 13h33, mis à jour le 17 mai 2018 à 14h38
Un "Dogman" enragé, un "Burning" incandescent : le niveau de la compétition cannoise monte encore d’un cran

PREMIER BILAN - A deux jours du palmarès du 71e Festival de Cannes, difficile de prédire qui décrochera la Palme d’or. Surtout quand des outsiders comme "Burning" de Lee Chan-dong et "Dogman" de Matteo Garrone viennent renverser la table. Explications.

A défaut de superstars, sinon le couple Cruz-Bardem en ouverture, on voit d’excellents films cette année sur la Croisette. Et notamment en compétition où le jury présidé par Cate Blanchett va se retrouver confronté à un sacré casse-tête samedi matin, au moment de décerner les prix. Parmi les favoris citons "Cold War", la love story tragique du Polonais Pawel Pawlikowski qui nous avait donné des frissons en première semaine. Mais aussi "Leto", la déclaration d’amour au rock underground du Russe Kirril Serebrennikov. Deux films en noir et blanc qui nous ont fait rougir de plaisir. 

Si des films comme "Yommedine", "Plaire, aimer et courir vite", "Les Eternels" ou "Lazarro Felice" ont des partisans, seul "Les Filles du Soleil", de la Française Eva Husson semble avoir suscité une réelle déception. Depuis lundi, de nombreux festivaliers avouent un gros faible pour "Une Affaire de famille", portrait sensible d’une petite bande d’arnaqueurs par le Japonais Hirokazu Kore-eda, tandis que le "BlackkKlansman" de Spike Lee a fait son petit effet, davantage pour son approche humoristique d’un sujet grave, le racisme en Amérique, que de sa forme, plutôt convenue, voire mollassonne.

Mais l’électrochoc de ce 71e Festival de Cannes est arrivé mardi, entre les projections très médiatiques de "The House that Jack Built" de Lars Von Trier et de "Solo", le nouveau spin-off de "Star Wars". Avec "En Guerre", le réalisateur français Stéphane Brizé a livré un plaidoyer cinglant contre la mondialisation, à la fois ultra-réaliste et romanesque, avec un Vincent Lindon galvanisant, entouré de formidables comédiens non-professionnels. Trois ans après "Dheepan", de Jacques Audiard, la France tient avec ce film brûlant d’actualité un candidat plus que solide à une nouvelle Palme d’or. 

Si "Under the Silver Lake", bonbon pop ultra-référencé – et un brin prétentieux - du jeune Américain Robert David Mitchell a ses partisans, deux films ont relevé d’un cran le niveau de la compétition ce mercredi. "Burning", du cinéaste et ancien ministre sud-coréen de la Culture (si, si) Lee Chang-dong est une libre adaptation d’une nouvelle de l’écrivain japonais Haruki Murakami. Jong-Soo, son personnage principal, est un jeune livreur qui ambitionne de devenir écrivain. Au début du film, il croise Hae-mi, une jolie fille qui lui affirme être une amie d’enfance, même s’il en doute.

C’est le début d’une amourette rapidement frustrante : Hae-mi part en Afrique pour le travail, et demande à Jong-Soo de nourrir son chat. Deux semaines plus tard, elle revient au bras de Ben, un beau gosse oisif qui roule en Porsche et cuisine des pâtes comme un grand chef dans sa cuisine équipée lorsqu’il ne s’adonne pas à un hobby  pour le moins suspect. S'installe alors un triangle amoureux ambigu qui fait basculer peu à peu le film dans une atmosphère de film noir à l’issue pour le moins incertaine.

A rebours de 99% des films de genre actuels, Lee Chang-dong distille le malaise – et les indices – tout en douceur, sans effets de manche, jusqu’au final vertigineux où le puzzle se met soudain en place. "Burning" est une œuvre incandescente et vénéneuse qui résonne longtemps dans le cœur et la tête du spectateur. Matière aussi à d’infinies discussions sur qui a fait quoi. Mais aussi sur les messages profondes que le cinéaste a voulu transmettre, sous le vernis de la gentille romance initiale.

La tête dans les étoiles, Matteo Garrone nous a fait redescendre sur terre de manière tonitruante ce jeudi matin avec son puissant "Dogman", portrait d’un toiletteur pour chiens, dans une petite cité balnéaire du Sud de l’Italie. Petit bonhomme au physique ingrat, Marcello vit sous la coupe de Simoncino, une brute épaisse à qui il fournit régulièrement sa dose de cocaïne. Entre ces deux-là, la relation est plus complexe qu’on pourrait le croire. Et va déboucher sur un surprenant sacrifice de la part du malheureux. 

Cinéaste adulé de "Gomorra", Matteo Garrone avait déçu il y a trois ans avec "Le Conte des Contes", film en costumes bavard, baroque et boursouflé. "Dogman" en est à l’antithèse absolue. C’est une fable sombre, voire désespérée, une métaphore extrême du lien indéfectible qui lie un homme à son chien à travers la relation abusive entre deux amis d’enfance que rien ni personne ne peut séparer. C'est aussi la révélation d’un comédien, l’irrésistible Marcello Fonte, super favori au prix d’interprétation. On vous l’a dit. 


Jérôme Vermelin, à Cannes

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