Cannes 2019 : pas de Gilets jaunes, mais des films qui racontent la colère des classes populaires

Jérôme Vermelin, à Cannes
Publié le 25 mai 2019 à 15h53

Source : Sujet TF1 Info

DECRYPTAGE – C’était une thématique récurrente du 72e Festival de Cannes qui s’achève ce samedi soir. De "Sorry We Missed You" à "Parasite" en passant par "Bacurau" et "Les Misérables", de nombreux films en lice pour la Palme d’or se sont faits l’écho, souvent de manière originale, du fossé croissant entre les riches et les pauvres, partout sur la planète.

Pas un Gilet jaune à l’horizon durant la 72e édition du Festival de Cannes. La conséquence sans doute d’une mobilisation plutôt faible sur la Côte d’Azur depuis le début du mouvement qui secoue la France depuis novembre dernier. Peut-être aussi du dispositif dissuasif mis en place aux alentours du Palais des Festivals. Si la Croisette a ressemblé, de l’extérieur, à une petite bulle coupée des tracas du monde, les films s’en sont faits l’écho dans les grandes largeurs. Avec une thématique récurrente : la révolte des pauvres contre les riches.

Prenez "Parasite", l’un des chouchous des festivaliers. Dans cette satire corrosive de la lutte des classes, le Sud-coréen Bong Joon-ho met en scène une famille de sans-emploi dont les membres se font engager, les uns après les autres, dans la luxueuse maison d’une famille riche dont ils rêvent de prendre la place. A travers le cinéma de genre, le réalisateur porte un regard acéré sur ces bourgeois incapables de se déplacer, de se nourrir et d’éduquer leurs enfants sans l’aide d’un tiers qu’ils exploitent, voire méprisent en se moquant de leur odeur.

Dans un registre plus surprenant encore, les Brésiliens Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles ont imaginé le futur de leur pays dans "Bacurau", ou l’histoire d’un petit village paumé au milieu de nulle part dont les habitants se retrouvent privés d’eau et de wifi tandis que les cadavres s’empilent aux alentours. Ils sont les cibles d’un groupe d’Américains venus soulager ses pulsions barbares avec la complicité d’un politicien local. Une dystopie terrifiante qui ferait presque passer les jeux du stade de "Hunger Games" pour un charmant conte pour enfants.

Ce croisement stimulant entre social et fantastique est également à l’œuvre dans "Atlantique", le premier film inspiré de la jeune Franco-sénégalaise Mati Diop. Après s’être échoués en mer, en tentant de rejoindre l’Espagne, les ouvriers d’un chantier de Dakar reviennent sous forme d’esprits, de "djinns" Et prennent possession du corps des femmes pour se venger de l’homme d’affaires qui a refusé de les payer. Parmi eux il y a Souleiman, l’amoureux de la jeune Ada, promise par ses parents à un frimeur qui pense acheter sa soumission en la couvrant de cadeaux.

Last but not least, le maître du drame social Ken Loach, 82 printemps, n’a pas failli à sa réputation avec ce "Sorry We Missed You" qui nous a serré la gorge. Ricky, un père de famille au chômage, accepte devenir chauffeur-livreur pour une plateforme de commerce en ligne. Sous la coupe d’un patron sans scrupule, il doit prendre tous les risques financiers, tandis que sa vie de famille se délite peu à peu. Pessimiste, le cinéaste dresse le portrait d’une Grande-Bretagne à bout de forces où le nombre de bénéficiaires des banques alimentaires a augmenté de 18% en un an.

Le mouvement social qui secoue la France a tout de même été évoqué une fois au cours de la Quinzaine. En conférence de presse, le Français Ladj Ly a en effet lancé un appel à Emmanuel Macron pour qu’il découvre "Les Misérables", son premier film coup de poing qui raconte la bavure commise par une brigade de la BAC dans une cité de Montfermeil. "En banlieue, ça fait vingt ans qu’on est Gilets jaunes", a expliqué le cinéaste, pointant le sentiment d’abandon d'une partie oubliée de la France, par-delà les ronds points.


Jérôme Vermelin, à Cannes

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