Ken Loach en colère à Cannes : "Désormais c’est le travailleur qui doit s’exploiter lui-même"

Jérôme Vermelin, à Cannes
Publié le 18 mai 2019 à 13h47

Source : JT 20h WE

COUP DE POING - Dans "Sorry We Missed You", en lice pour la Palme d’or, Ken Loach met en scène un père de famille britannique confronté à la précarité du marché du travail. Une œuvre sobre et engagée qui a fait l’unanimité auprès des festivaliers. Et que son auteur a défendu avec la passion qui le caractérise.

Ken Loach aura 83 ans le 17 juin prochain. Et c’est toujours un homme en colère. Plus que jamais ? Trois ans après "Moi, Daniel Blake", qui lui avait valu sa deuxième Palme d’or, le cinéaste présente cette année à Cannes "Sorry We Missed You", le portrait édifiant d’une famille de Newcastle confrontée à la violence du marché du travail dans la Grande-Bretagne actuelle.

En quête d’un emploi stable, Ricky devient chauffeur-livreur pour une plateforme de vente en ligne. Abby, sa femme, a dû vendre sa voiture pour qu’il puisse acheter un camion. Son superviseur lui promet qu’il sera son propre patron ? En réalité il doit travailler à une cadence infernale, 14h par jour, six jours par semaines. S’il veut un jour de congé, il doit trouver lui-même un remplaçant, sous peine de sanction financière. Tout ça au détriment de son couple et de ses enfants qui le réclament.

Derrière la mise en scène, tout en retenue et en sobriété, impossible de ne pas ressentir la colère sourde d’un auteur engagé comme le cinéma actuel n’en produit presque plus. Si le spectateur serre les dents face aux injustices dont les personnages sont victimes, c’est aussi parce que Ken Loach prend le temps de nous les raconter dans leur intimité, à la faveur d’un moment complice ou d’un coup de colère comme on en connaît tous. 

"Quand j’étais jeune, et pendant des années, on vous disait que lorsque vous aviez une compétence, un savoir, vous trouveriez un métier pour le reste de votre vie. Et que vous pourriez élever votre famille grâce à votre salaire", a expliqué vendredi un Ken Loach très remonté en conférence de presse, aux côtés de ses comédiens, des visages inconnus du grand public, et de Paul Laverty, son fidèle scénariste.

"Aujourd’hui les gens peuvent être engagés et virés dans la journée. Ils sont contractualisés sans savoir quelle charge de travail ils vont recevoir. Ni combien ils vont gagner (…) Désormais c’est le travailleur qui doit s’exploiter lui-même. C’est la situation parfaite pour les grandes entreprises. Ce n’est pas la faillite du capitalisme. C’est le capitalisme comme il fonctionnera toujours."

Salué par l’ensemble de la presse sur la Croisette, "Sorry We Missed You" sera-t-il au palmarès, le 25 mai prochain ? S’il ne renie pas l’importance d’une récompense, Ken Loach se veut philosophe sur la capacité du cinéma à faire bouger les choses. "Il ne faut pas surestimer l’impact d’un film. "Moi, Daniel Blake", qui parlait du soutien que devraient recevoir les plus vulnérables, a été très apprécié ici. Mais notre gouvernement n’a pas bougé d’un pouce. Il est toujours aussi cruel."

Le cinéaste, un brin fataliste, mais toujours combatif rappelle que "dans l’année écoulée, le nombre des bénéficiaires des banques alimentaires en Grande-Bretagne a augmenté de 18%. Et ça ne va pas changer. Parce que ce qu’ils veulent (les grands patrons – ndlr), c’est vous donner l’impression que ne pas être capable de subvenir par vous-mêmes à vos besoins est un crime."


Jérôme Vermelin, à Cannes

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