Burn out, dépression et autres troubles mentaux dans le sport de haut niveau : conversations autour d’un tabou français

par Hamza HIZZIR
Publié le 14 mars 2019 à 16h48, mis à jour le 16 mars 2019 à 16h12
Burn out, dépression et autres troubles mentaux dans le sport de haut niveau : conversations autour d’un tabou français
Source : FRANCK FIFE / AFP

DÉCRYPTAGE - Ces derniers mois, le footballeur Adil Rami, le tennisman Lucas Pouille ou le skieur Candide Pralong ont affirmé avoir eu un "burn out". Un syndrome pourtant rarement évoqué dans le milieu professionnel du sport de haut niveau. Qu’en est-il ?

D’un coup, comme ça, Adil Rami a lâché le mot. Un gros mot. "Après la Coupe du monde, j’ai eu un burn out. J'en ai parlé, j'ai eu au téléphone un coach mental pour essayer de comprendre", a-t-il indiqué le 17 février dernier, sur Canal+. Avant de décrire ainsi son état : "Même l'odeur de la pelouse, je ne la sentais plus. Je n'avais même plus envie de 'taper' les attaquants. Parfois j'ai même été agressif avec des gens qui me demandaient des photos, qui me filmaient sans me demander. J'étais aigri, même avec mon entourage, chose que je déteste montrer."

Un mois plus tôt, en plein Open d’Australie, c’était Lucas Pouille qui était passé à confesse en conférence de presse, en utilisant le même terme : "J’ai fait un burn out en 2018. À la fin de chaque match, je disais que j’en avais marre, que j’avais envie d’arrêter (le tennis)... Je n’y arrivais plus." Lui a changé d'entraîneur pour en sortir. Et encore peu de temps auparavant, le fondeur Candide Pralong avait aussi révélé avoir souffert de ce même mal.  À chaque fois, le public, sur les réseaux sociaux, n’a pas manqué d’exprimer une certaine perplexité.

Depuis quand ce syndrome d’épuisement professionnel touche-t-il les sportifs de haut niveau ? Est-ce un phénomène récent ? Spécifique au sport ? S’agit-il bien d’un burn out ou d’autre chose ? Les troubles mentaux sont, en tout cas, rarement évoqués dans ce milieu pour le moins compétitif et pressurisant. Pour dissiper ces mystères, LCI a entrepris d’interroger trois interlocuteurs privilégiés. Conversations.

Elisabeth Rosnet, psychologue du sport (aujourd’hui professeur à l’Université de Reims, à la tête du laboratoire Performance, santé, métrologie, société)

Ces derniers mois, le footballeur Adil Rami, le tennisman Lucas Pouille ou le skieur Candide Pralong ont affirmé avoir souffert d’un burn out, le terme est-il approprié pour un sportif de haut niveau ?

Pour moi, cette notion de burn out chez les sportifs ne correspond pas à la définition du burn out, selon laquelle il s’agit d’un épuisement professionnel, qui se manifeste sur le plan émotionnel, mais touche spécifiquement les professions d’aide, où on s’occupe des autres. Je me suis beaucoup engueulé à ce sujet avec des collègues (rires) mais au départ, au sens strict, le burn out concerne une relation d’aide, chez le personnel soignant ou enseignant par exemple.

Comment appeler cela pour un sportif alors ?

(elle soupire) Le problème, déjà, c’est qu’ils confondent souvent avec la dépression, voire avec le surentraînement, qui peut être physiologique ou mental. Le surentraînement, c’est une saturation poussée au maximum. Si l’on s’en tient aux aspects psychologiques, c’est sans doute ce dont ont souffert les sportifs que vous citez.

Adil Rami a notamment déclaré : "J'estime que je n'ai pas eu assez de vacances après le Mondial. Je n'ai pas eu le temps de vider ma tête. Mon mental a craqué, il a lâché."

Oui, ça, c’est facile (rires). Dans son cas, il y a aussi un paramètre assez classique : quand on gagne le truc dont on a rêvé, derrière il n’y a plus de motivation. Ce n’est pas une maladie, mais un événement de vie qui entraîne des variations dans l’envie, dans l’humeur... Beaucoup de gens passent par là. De la même manière que parfois, on est moins en forme parce qu’on manque de vitamine D ou autre. Donc s’il a manqué de temps de récupération, s’il a connu des problèmes dans sa relation avec sa compagne, qui est d’ailleurs exposée dans les journaux... Ajoutez à cela qu’il n’a pas joué du tout pendant la Coupe du monde, il a pu avoir ce qu’on appelle un sentiment d’indignité. On le traite comme un héros alors que lui se sent peut-être un peu indigne. Et puis un titre de champion du monde, c’est tout de suite beaucoup de pression derrière. L’accumulation de tout ça donne quelque chose comme une humeur dépressive...

En tant que psychologue, vous avez travaillé plusieurs années (de 2007 à 2013) à l’Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance), y avez-vous été confrontée à des cas de burn out, de dépression ou, plus largement, de maladie mentale ?

Oui bien sûr, les phénomènes de surentraînement sont relativement fréquents, mais je ne dispose pas de chiffres. Mon autre expérience, c’est que depuis bientôt trente ans, je suis la psychologue de la Fédération française d’escrime. Je m’y occupe de tous les sportifs âgés d’au moins 15 ans et je les suis. Là, il y a aussi eu plusieurs cas. Maintenant, si le surentraînement est directement lié à la vie de sportif de haut niveau, la maladie mentale au sens large ne l’est pas forcément. N’importe qui peut faire une dépression, par exemple après avoir perdu un parent. Les quelques études qui ont été faites en France montraient que la prévalence de la pathologie psychique chez les sportifs de haut niveau était la même que dans le reste de la population.

Quand un joueur fait une grosse dépression, c’est comme s’il était blessé. Il faut qu'il se soigne, qu’il y ait un traitement.
Elisabeth Rosnet

Les sportifs de haut niveau, soumis à de fortes pressions et en demande d’adrénaline, ne constituent donc pas des cas particuliers, par rapport à des individus exerçant des professions plus classiques ?

En fait, les sportifs sont a priori sains sur le plan psychique mais sont confrontés, par leur activité, à des facteurs de stress parfois plus intenses ou plus nombreux que chez le commun des mortels. Et il arrive à certains moments que ce soit trop. L’adrénaline, comme le cortisol, est une des hormones concernées dans les phénomènes de stress. Donc si on n’apprend pas au sportif à gérer son stress, alors on peut arriver à une phase d’épuisement, où toutes les ressources ont été utilisées. Le gros problème du sportif, ce sont les objectifs qu’il se fixe, qui ne sont pas toujours réalistes. Du coup, il se sent en situation d’infériorité ou d’inadaptation. Et il en arrive à des idées de dépréciation, de type "je suis nul". Là, une fois qu’il n’a plus d’énergie et qu’il ne voit pas ce qu’il peut faire de plus, on peut glisser vers une dépression ou quelque chose qui pourrait ressembler à un burn out.

Qu’est-ce qu’un psychologue peut faire face à un sportif confronté à un tel mal ?

En ce moment, j’ai un patient sportif de haut niveau de l’Insep. Durant notre dernier entretien, on a mis à jour qu’il n’arrivait pas à prendre du temps pour lui. C’est-à-dire qu’il ne considère pas la récupération comme du temps d’entraînement. Je crois que c’est avant tout une question d’éducation. Parce que si on en est à consulter, et il vaut mieux le faire si on est hyper stressé et qu’on n’en voit pas le bout, ça veut dire qu’il est déjà un peu tard pour mettre en place les bonnes habitudes. Rappelons que la majeure partie des sportifs de haut niveau français ne sont pas professionnels, ils doivent concilier le sport avec leurs études, leur vie professionnelle et même leur vie de famille arrivés à un certain âge. Et parfois, ils n’y arrivent plus, et ils ne prennent plus de temps juste pour eux. En soi, c’est déjà un élément de prévention important.

Existe-t-il des moyens d’anticiper à plus large échelle ?

Il suffit que l’entraîneur en ait conscience et le mette en place. N’importe quel entraîneur digne de ce nom fait un suivi de ses joueurs, il les voit tous les jours, il sait si untel est fatigué, si un autre revient de blessure... Je sais que Jean-Marc Furlan, actuellement en poste à Brest, a intégré une psychologue dans son staff. Toutes les semaines, elle fait des entretiens avec les joueurs, titulaires comme remplaçants. Forcément, ça réduit beaucoup les risques de burn out. C’est dommage que l’OM fasse appel à un coach mental venu de l’extérieur seulement une fois que les choses vont mal... Alors qu’un suivi régulier permet de savoir si un joueur a des problèmes personnels. Maintenant, la composante mentale est pleinement incluse dans la performance. Elle est prise en compte. Pour moi, quand un joueur a un vrai souci, genre une dépression réactionnelle au décès d’un parent, c’est comme s’il était blessé. Dans ce cas, il faut se soigner, aller voir un psychiatre, qu’il y ait un traitement. Mais il ne faut pas non plus le couper complètement du groupe. L’isoler n’arrange pas les choses. La médicalisation est une étape indispensable, pour rendre possible le travail avec un psychologue ensuite.

Peut-on dire que le sujet des troubles mentaux reste tabou dans le milieu du sport, où afficher une quelconque faiblesse a rarement été bien vu ?

On entend ça depuis vingt ans... C’est vrai, mais ça fait aussi vingt ans que j’entends que c’est de mieux en mieux accepté, peut-être qu’un jour ça va finir par être vrai. Il n’y a pas d’autre moyen que de faire quelque chose de systématique. On a eu exactement le même problème avec les astronautes. Parce que si un astronaute demande un rendez-vous quand il est en l’air, c’est tout de suite très inquiétant. Donc on fait des entretiens systématiques, comme ça tout le monde y passe régulièrement, et on sait.

Jean-Marc Furlan, entraîneur professionnel de football (actuellement en poste au Stade brestois, en Ligue 2)

Est-ce pour lutter contre le phénomène des troubles mentaux que vous avez décidé d’inclure un psychologue dans vos staffs techniques successifs?

Oui, et j’ai constaté que la France est un des pays les plus réticents dans ce domaine, en particulier s’agissant du football. Dans les sports individuels, ils ont compris bien plus tôt l’importance de la préparation mentale. Teddy Riner dit depuis longtemps que son coach le plus essentiel, c’est son préparateur mental. Dans le foot, on voit que les Anglo-Saxons ont de l’avance sur nous. Moi, ma femme est docteur en psychologie du sport. Et je vois que ceux qui la font le plus travailler, ce sont les joueurs eux-mêmes, à titre individuel. Des joueurs qui parfois lui disent du mal de moi (rires). Je crois que ce sera l’évolution la plus importante des trente prochaines années dans le sport. Les compétences de quelqu’un qui a un bac +10 dans la préparation mentale et dans la préparation à la performance, dépassent de très loin celles d’un entraîneur, même très apprécié et très doué. C’est un domaine qu’on ne connaît pas. En plus, je n’ai pas envie d’être toujours derrière un joueur pour le motiver. Je le fais, mais à hauteur de 20%. On ne se rend pas assez compte. J’ai vu des joueurs souffrir de dépressions profondes. Ça m’est aussi arrivé de les libérer une dizaine de jours au milieu de la saison, parce qu’ils étaient en burn out.

C’est donc très fréquent ?

Bien sûr. Dans le football allemand, il y a même eu deux ou trois suicides ces dix dernières années. En 2015, la FIFpro (le syndicat des joueurs professionnels, ndlr) a mené une grande étude sur le sujet, en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie, qui établissait que 38% des footballeurs souffrent d’anxiété profonde ou de burn out, contre 14% dans la population lambda. Parce que la pression environnementale est colossale. Le foot est un sport populaire, que tout le monde comprend, ce n’est pas rien. C’est bien que Rami ait pris la parole, ça va aider tous les autres. 

Peut-on dire que le sujet des maladies mentales reste tabou dans le milieu du sport français ?

Oui, ça vient du fait que, contrairement aux autres pays, où le sport est venu du peuple, chez nous, il est venu de l’aristocratie. Donc en France, aux yeux du public, il reflète un simple loisir. Ce qui est vraiment risible, c’est qu’en général, un club français, tous sports collectifs confondus, va engager un préparateur mental seulement quand il se trouve en difficulté. C’est ridicule ! Au contraire, ça devrait être un travail de très longue haleine. Ma femme suit parfois des joueurs pendant six ans... J’ai vu plein de joueurs qui y étaient totalement réticents au départ et qui, au bout de trois ans, sont devenus les plus insistants pour engager tout le monde à faire ce travail (rires). Ils sont devenus accro. Ça leur permettait de s’éclater et d’avoir un équilibre. Et moi je ne m’en occupais presque pas. C’est quelque chose de confidentiel, qui se fait à côté de tout l’aspect technico-tactique.

Avez-vous tout de même constaté une évolution dans le bon sens ?

Oui, sauf que mes anciens joueurs partis en Angleterre me disent qu’ils ont deux préparateurs mentaux là-bas, en Ligue 2, à leur disposition en permanence. La sélection allemande dispose d’un psychologue dans son staff à l’année, et c’est normal. À Troyes, je le faisais parce que ça me rendait énormément service. Ça m’aide à choisir les bons mots, les bons angles, les bons endroits pour leur parler. J’ai eu des cas incroyables. Le mec, tu lui parles dans un bureau, il se braque, il te demande si tu veux le frapper... La préparatrice mentale me dit de parler avec lui sur le terrain, avec des ballons autour, et là de suite, c’est comme s’il était mon copain ! En fait, il avait été traumatisé toute sa jeunesse par les profs et les proviseurs qui le convoquaient (rires).  Voilà, c’est très intéressant.

Qu’est-ce qui vous avait alerté, à l’époque où vous avez décidé de faire appel aux services d’un psychologue pour la première fois ?

Déjà, moi, quand j’étais joueur, j’étais angoissé, stressé, violent. Bon, j’ai été formé comme ça, j’étais un stoppeur, au marquage individuel. Je devais détruire mon adversaire. Du coup, j’allais dans les rayons reculés des librairies pour chercher des ouvrages américains (il n’y en avait pas de français) sur la préparation mentale. Ça m’a intéressé parce que j’ai constaté que, étant l’un des meilleurs arrières centraux de France à l’époque, le seul domaine dans lequel je pouvais vraiment progresser, c’était le mental. Ensuite, un jour, mon entraîneur à Bordeaux, André Menaut, doyen de la faculté des sports de Bordeaux qui avait écrit le livre Football et Humanisme, mon mentor, me téléphone pour me demander de recevoir une jeune doctorante dont il était le tuteur, qui faisait une étude sur les stratégies de coping, à savoir le réajustement des émotions, dans le tennis et le football. C’était ma future compagne. On a commencé à travailler là-dessus avec les joueurs amateurs que j’entraînais à Libourne et je me suis tout de suite rendu compte du bien fou que ça leur faisait, alors qu’elle n’intervenait en aucun cas le jour du match. Donc j’ai reproduit le schéma dans mes autres clubs.

Moi, mon fils, je l’ai fait travailler mentalement, parallèlement aux préparations athlétiques et techniques, et c’est devenu une bête à 20 ans !
Jean-Marc Furlan

Y a-t-il une spécificité du sport dans ce domaine ?

Oui, il y a une grande différence entre être psychologue clinicien et faire un doctorat en psychologie du sport, qui prépare à la performance. Par exemple, il est arrivé à ma compagne de voir quelqu’un souffrant d’un burn out et de lui dire : "Ce n’est plus de mon ressort." Parce que vous avez plein de cas très différents, dont certains nécessitent une médicalisation. Rami souffrait de sursollicitaion, d’autres, en Ligue 2, sont tendus parce qu’ils ont peur du lendemain. Contrairement aux joueurs de ma génération, les problématiques ne sont pas liées aux sorties, à l’alcool ou aux cigarettes. Aujourd’hui, ce sont surtout des problèmes de très grosses anxiétés. La peur de ne pas réussir.

Ça, ce n’est pas propre au sport, si ?

Eh bien si, parce qu’il y a dans notre milieu des facteurs déclencheurs particuliers, qui sont l’insécurité, l’instabilité, la visibilité, avant même d’avoir 20 ans. L’exigence extérieure est colossale. Il y a plus de pays engagés à la Fifa qu’à l’ONU ! Le foot est tellement populaire qu’il génère une pression permanente, qui vient parfois des parents des joueurs. Les journalistes les perturbent énormément aussi. Moi-même, je ne lis pas les journaux et je ne regarde pas la télé si ça parle de foot, quand j’entraîne en Ligue 2 je ne regarde pas un match de Ligue 2, sinon je deviens fou. Comme disait Alex Ferguson à Arsène Wenger il y a dix ans : "Pour réussir dans le foot, ce n’est pas compliqué, tu fermes les yeux et les oreilles." Il faut vraiment couper. Et eux, les joueurs, ils sont jeunes, ils n’y sont pas préparés.

Il est donc temps que tout le monde se mette à la préparation mentale ?

Oui, c’est l’avenir. Je lisais il y a quelques mois une interview d’un entraîneur de rugby néo-zélandais, qui disait que, sur les plans techniques et physiques, on va bientôt atteindre une uniformité mondiale. Et que la clé va donc être de savoir comment utiliser le cerveau des joueurs. Comment les mettre en confiance et les rendre complémentaires ? Comment leur faire utiliser le "nous" avant le "je" ? Il a raison, c’est l’enjeu des dix ou quinze ans à venir. Surtout pour nous Français, qui avons accumulé énormément de retard. C’est pour ça que la déclaration de Rami est importante. C’était très courageux et intelligent de sa part. Il faut parler de ses faiblesses. Certains restent en dépression toute leur carrière, parce qu’ils croient qu’il faut les cacher. Moi, mon fils, je l’ai fait travailler mentalement, parallèlement aux préparations athlétiques et techniques, et c’est devenu une bête à 20 ans (rires). 

Comment ça ?

Bon, c’est différent, mais à 7-8 ans, il était très craintif, alors on l’a confié à des psychologues cliniciens de l’Éducation nationale. En trois ans, il était transformé ! Je suis convaincu que ça aurait marché aussi avec tous ces footballeurs surdoués qui sont passé à côté de leur carrière. Mais en centre de formation, on leur dit : "Tu as le mental ou tu ne l’as pas", "Tu n’es pas un compétiteur", "Tu n’as pas la grinta"... C’est archi-faux tout ça ! Le mental se travaille aussi efficacement que l’aspect athlétique ou technique. Surtout avant 18 ans. Je l’ai vécu. Au bout de six ans, mon équipe de Troyes, avec un budget de 13 millions, est devenue une "machine de guerre", même si ce n’est pas une belle expression. 

Donc l’OM qui se remet à gagner en février, ce n’est pas forcément lié au travail de Denis Troch depuis un mois ? 

Il y a contribué bien sûr, mais c’est aussi un cycle de travail. Le football fonctionne par cycles. Les joueurs de l’OM, au bout d’un moment, ils prennent tous conscience et ils se relèvent. Ils en ont largement les moyens. Simplement, c’est terrible d’attendre d’être dans la merde pour réagir. C’est partout comme ça en France.

Denis Troch, ex-entraîneur adjoint du PSG, reconverti depuis 2009 dans la préparation mentale (il officie à l’OM depuis janvier jusqu’en fin de saison)

Est-il courant que les sportifs fassent des burn out ?

Toutes les émotions, tous les comportements, toutes les attitudes sont exacerbées dans le sport de haut niveau. Donc oui, ça existe, comme dans tous les domaines, mais il y a des particularités. Les sportifs de haut niveau sont constamment obligés de se surpasser, pour atteindre des objectifs, soit qui leur sont demandés, soit parce qu’ils se mettent eux-mêmes une pression. Dans ces conditions, les burn out ou les déprimes sont présents. Le burn out, c’est une surpression, lorsque la personne est surmenée au point d’atteindre une forme de déconnexion. Pour la déprime aussi, il y a impossibilité de se reconnecter à quoi que ce soit, parce que les personnes sont en sous-estime d’elles-mêmes, elles perdent le goût et l’envie de tout.

Concrètement, que signifie "déconnecter" ?

Ne plus être en phase avec ses propres actions et les situations qui arrivent. C’est un décalage.

Est-ce mal vu, encore aujourd’hui, d’en parler dans ce milieu ?

C’est l’interprétation qui en est faite. Ce sont des choses qui font peur au commun des mortels. Chacun d’entre nous craint de tomber dans une déprime ou un burn out, voire dans un bore-out, lorsque l’on juge qu’on a trop ou pas assez de travail. Parce que les effets sont dévastateurs. Donc on évite de parler de crise, de pression, de toutes ces choses-là.

Dans le sport, il y a aussi une volonté de cacher ses faiblesses, à un adversaire, ou à un coéquipier qui est aussi un concurrent...

Certainement, mais c’est de moins en moins le cas, puisque de plus en plus de sportifs mettent des mots, des noms, sur ces problèmes. C’est une bonne chose. Après, il y a tout un travail de reconstruction pour certains, un travail d’accompagnement pour d’autres. Mais c’est vrai qu’un sportif de haut niveau sait que, s’il parle de son mal-être, il sera systématiquement montré du doigt. On lui répondra que ce n’est pas possible, qu’il s’entraîne peu de temps dans une journée, que ça ne demande pas tant d’investissement, qu’il gagne des millions... En vérité, c’est complètement aléatoire. C’est un ressenti propre à tout un chacun.

Il y a bientôt dix ans que vous avez décidé de devenir "coach mental", est-ce parce que vous sentiez alors que traiter le mal-être ou l’épuisement psychologique de l’athlète allait devenir fondamental ?

Bien entendu. Je me suis alerté il y a plusieurs décennies sur le pourquoi de mon mal-être, parfois, en tant que footballeur de haut niveau. J’ai découvert plein de choses, sur moi, dans mon sport et ma vie personnelle, au fil des années. Du genre la confiance en soi. On ne m’a jamais appris comment avoir confiance en moi, même de façon théorique. Comment gérer les émotions ? Qu’est-ce que les émotions ? Comment prendre une décision ? Comment se sublimer ? Comment tirer un enseignement d’une expérience passée ? Je me suis inquiété, puis je me suis arrêté sur ces problématiques, avant de théoriser toute ma pratique, pour décrypter des choses qui sont pleines de bon sens, et d’autres que j’ai apprises dans des universités dans les années 2000. 

Un jour, j’ai demandé à un joueur de football ce qu’il voudrait faire après sa carrière, et il m’a répondu : "Moi, ce que je veux, c’est un CDI."
Denis Troch

Qu’est-ce qui vous a motivé à franchir le pas de la reconversion ?

Non seulement je me connaissais relativement bien, mais je voyais aussi les comportements changer autour de moi, d’une année sur l’autre, d’une division à l’autre, d’un sport à un autre, d’une défaite à une victoire... Vraiment, les personnes changeaient du tout au tout. C’étaient des ascenseurs émotionnels, du saut à l’élastique même parfois. Je voulais comprendre, pour aider à moins mal gérer ces situations-là. Ça m’a tellement attiré que j’ai vu ça comme une manière de rendre au sport ce qu’il m’avait donné.

Que peut faire un coach mental quand il est confronté à un athlète ayant perdu l’envie et la motivation ?

C’est à la fois simple et complexe. La chose la plus simple, c’est redonner la confiance. Pour ce faire, il est nécessaire de rappeler à la personne ce qu’elle a mis en place depuis sa naissance, donc ce qui lui a donné la possibilité de croire en elle. Pour autant, ça ne suffit pas toujours. Parfois, il faut aussi un apport psychologique, ce qui peut devenir médical quand le mal est plus profond. Disons qu’il y a des outils, des techniques, certains concepts qui permettent de redonner cette confiance. Parce qu’on sait que la confiance est subjective. Chacun doit rechercher ces leviers, pour avoir confiance en soi mais aussi confiance en l’autre, dans les situations qu’il a déjà vécues, qui ressemblent à celles qu’il va vivre, confiance en la hiérarchie, confiance en la vie. Toutes ces choses pour retrouver un ressenti et un bien-être dans les mois qui vont suivre ces moments de déprime ou de burn out.

Ces leviers passent-ils essentiellement par la parole ? 

Pas forcément. S’exprimer, bien entendu, est important, mais c’est aussi vivre l’instant présent, le ressentir, pouvoir de nouveau se projeter. Généralement, dans ces cas-là, on a tendance à revisiter le passé. Le mécanisme passe alors par se projeter simplement jusqu’au lendemain. Tout dépend des personnes, du mal-être. Ça peut être très compliqué pour certains. Personnellement, j’ai vu des comportements très particuliers. Par exemple, un jour, j’ai demandé à un joueur de football ce qu’il voudrait faire après sa carrière, en lui suggérant des métiers, des activités, et lui m’a répondu : "Moi, ce que je veux, c’est un CDI." Vous voyez où peut se situer le mal-être dans ce milieu. Pour certains, ça va être de ne pas supporter les contrats à durée déterminée. Chaque cas est donc différent, il faut toujours le traiter avec beaucoup de recul et de bienveillance.

Adil Rami parlait, lui, simplement d’un manque de repos, ça peut être aussi bête que ça ?

Bien sûr, on sait bien que, suite à des chocs émotionnels, qu’ils soient positifs ou négatifs, donc devenir champion du monde ou champion d’Europe par exemple, eh bien on perd un peu sa vie. Parce qu’on n’a plus la même vie derrière. Alors évidemment, on va dire qu’il y a des choses beaucoup plus graves, comme perdre des êtres chers, ce qui est vrai, mais le mécanisme de défense est généralement le même. Il y a un déni, puis un rejet. Quand on est champion du monde, une autre vie commence, et tout change autour de nous, le regard des autres, le nôtre... Donc il faut se réajuster à ça.

Est-il possible d’anticiper et de traiter en amont de telles problématiques ?

Non ! Mais disons qu’il faut quand même essayer (rires). Ça passe par des prises de conscience. Il faut accepter les choses comme elles viennent et essayer de les gérer au moins mal. Un suivi régulier ? Je ne sais pas. Moi, j’ai choisi ce métier parce que j’ai senti le besoin chez les joueurs et les entraîneurs de pouvoir échanger, mais à condition que ce ne soit pas obligatoire, et que ça n’ait pas d’incidence, par exemple, sur la composition d’équipe. Si c’est obligatoire, impossible que ça marche. Tout simplement parce qu’on ne peut pas obliger quelqu’un à se confier. Aucune autorité ne peut légitimement imposer une telle contrainte. Je considère que, dans mon métier, je ne dois à aucun moment frapper à des portes. Les gens viennent s’ils en ont envie, s’ils sentent que je peux les accompagner. Parce que, pour moi, quand la personne vient vous voir, elle a déjà fait 60% du travail. Alors que si vous y allez, vous freinez encore plus son avancée. Bien sûr, si elle est en danger, il faut l’avertir, l’orienter, la sensibiliser, mais en dehors de ça, c’est contre-productif. Je comprends parfaitement si quelqu’un me dit : "Je n’en ai pas besoin." C’est même tant mieux. Mais il faut savoir que dans le sport de haut niveau, on doit repousser ses limites, parfois jusqu’à des points où personne n’est jamais allé. C’est un inconnu. Et l’inconnu fait peur. On peut les aider à savoir s’ils sont ou non sur le bon chemin. Notre accompagnement, au final, transmet l’autonomie.


Hamza HIZZIR

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