Chants homophobes dans les stades de Ligue 1 : peut-on "éduquer" des supporters de football ?

par Hamza HIZZIR
Publié le 3 septembre 2019 à 17h01

Source : JT 20h Semaine

DÉBAT – Outre les interruptions de match, faisant polémique depuis plusieurs semaines, pour tenter de mettre fin aux chants insultants à caractère homophobe dans les stades, la Ligue de football professionnel (LFP) lancera cette saison des "ateliers de sensibilisation" à destination des groupes de supporters. Que peut-on en attendre exactement ?

C’est devenu une sorte de cérémonial. Un triste rituel. Depuis le coup d’envoi des championnats de France de Ligue 1 et de Ligue 2 saison 2019-20, début août, pullulent dans les tribunes des chants ou des banderoles provocatrices, visant à tourner en dérision la manière dont le gouvernement et la Ligue de football professionnel (LFP) ont récemment entrepris de lutter contre l'homophobie dans les stades de football, entraînant, comme le veut désormais la réglementation, des interruptions du match. Puis de nouvelles surenchères des mêmes supporters. Une impasse ?

La LFP veut croire que non puisque, au-delà des interruptions et des amendes qui vont avec (pour les clubs et/ou lesdits groupes de supporters), l’instance a prévu autre chose : "SOS homophobie, Foot Ensemble, les Panamboyz & Girlz United (ex-Paris Foot Gay) et la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT) proposeront aux clubs des ateliers de sensibilisation à destination des supporters", lit-on sur son site.

"Ce sera à peu près la même chose que ce que nous avons fait à l’OM et à l’OL, en allant à la rencontre de certains joueurs. L’idée, c’est de mettre des mots sur le problème, briser des tabous, expliquer pourquoi tel ou tel terme heurte, pourquoi il ne faut plus les prononcer, et voir dans quelles conditions on peut essayer de trouver des solutions pour chanter autre chose dans les stades", explique à LCI Bertrand Lambert, président des Panamboyz.

Ce qui a été fait ? Cette association, en partenariat avec SOS Homophobie, s’est rendue il y a quelques mois auprès de jeunes des centres de formation de l’OL et l’OM (catégorie moins de 15 ans) pour tenter de les sensibiliser à l’homophobie via des ateliers. Alexandre Adet, membre du bureau des Panamboyz, les a animés. Pour quel retour d’expérience ?

Là, tout le monde présume qu’on (les supporters) est tous hétérosexuels et homophobes. Excusez-moi mais je pourrais être homosexuel, qu’est-ce que vous en savez ?
James Rophé, porte-parole de l'Association nationale des supporters

"Un retour positif, surtout à Lyon, où les enfants étaient hyper réactifs et posaient beaucoup de questions loin d’être inintéressantes, répond-il à LCI. On s’est alors rendu compte que c’est surtout la méconnaissance de la douleur que peuvent provoquer de tels termes qui expliquent leur usage récurrent. Ça n’enlève rien au fait qu’il faille remettre en cause certains schémas éducatifs, ceux qui conduisent à employer ces termes de façon régulière sans comprendre réellement la portée des mots, et que ça rend les choses difficiles à corriger. Mais, dans l’ensemble, je les ai trouvés réactifs et plutôt attentifs au message qu’on essaye de porter."

L’idée est-elle donc de transposer ces ateliers, mais à l’adresse des supporters ? "On doit pouvoir les transposer, oui, confirme Alexandre Ader. C’est le projet. Parce qu’on voit, au gré des messages qu’on veut faire passer sur les réseaux sociaux, que les associations de supporters ne comprennent pas du tout les actions actuellement menées par la LFP, l’arrêt des matchs, etc. Pour eux, des mots comme 'pédé' ou 'enculé' n’ont pas du tout une connotation homophobe. On échange parfois avec des groupes de supporters sur ces réseaux et on voit bien la nécessité de ces ateliers pour sensibiliser certains d’entre eux."

Les ultras pourraient cependant se montrer moins réceptifs que les footballeurs en herbe. "Ça risque d’être plus compliqué avec ces groupes, on s’y attend, mais il n’y a rien d’insurmontable, avec du temps et un suivi régulier. En tout cas, si on n’essaie pas d’éduquer, on restera exactement dans la même situation. Et alors, effectivement, arrêter les matchs ne sera pas suffisant", reprend Alexandre Ader. "On ne pourra pas tous les faire changer d'avis. Mais il faut qu’une majorité comprenne. Parce que ces chants, ils sont lancés par quelques-uns, par les capos (meneurs représentatifs d’un groupe de supporters, ndlr). Ce sont eux qu’il faut sensibiliser en priorité", ajoute son président, Bertrand Lambert.

Dans les jours à venir (initialement prévue jeudi, elle vient d’être reportée), une réunion est censée se tenir au siège de la LFP entre des représentants de l’Association nationale des supporters (ANS) et ceux des associations de lutte contre l'homophobie. Mais justement, l’ANS ne veut pas voir au-delà, ni donc entendre parler de ces ateliers avant cette rencontre. Pourquoi ? "Nous sommes ouverts à un dialogue serein, on l’a déjà dit. Le problème, c’est que ces associations présentent les choses comme si nous y étions fermés, en parlant de nous ‘sensibiliser’, nous répond James Rophé, porte-parole de l’ANS. On a du mal à l’entendre, parce que nous sommes très sensibilisés !"

On ne veut pas empêcher les gens d’insulter les autres s’ils le souhaitent vraiment. Mais la langue française est suffisamment riche pour le faire sans blesser les homosexuels.
Bertrand Lambert, président de Panamboyz & Girlz United

Il développe : "On comprend tous que les mœurs évoluent et qu’il y a besoin de discuter. Simplement, si vous n’avez jamais parlé du sujet et que d’un coup vous arrivez avec des sanctions, avant même d’avoir discuté, c’est un peu violent ! Déjà, il y a les sanctions, mais en plus partout dans les médias, on entend que les supporters sont homophobes. Vous comprendrez que ce n’est pas comme ça qu’on pose un dialogue. Donc on est très contents qu’il y ait une réunion et que, malgré la furia médiatique, la Ligue prenne le temps de faire les choses bien. C’est quand même la base, de s’asseoir, se présenter et discuter. Ensuite, on peut voir vers où on veut aller."

De nombreux supporters arguent qu'il ne serait ici question que d’argot, sans aucune arrière-pensée discriminatoire à l’encontre des homosexuels. Bertrand Lambert lui-même admet d’ailleurs qu’il "ne pense pas qu’un terme comme 'enculé' soit forcément homophobe". Mais il insiste : "Ça n’a pas sa place dans un stade. Vous savez, l’idée, c’est de dégrader quand on prononce ce mot, l’homme ou la femme qui se fait enculer est dégradé(e), inférieur(e). Ce sont les mêmes ressorts, qu’ils soient misogynes ou homophobes. On ne veut pas empêcher les gens d’insulter les autres s’ils le souhaitent vraiment dans un stade. Mais la langue française est suffisamment riche pour le faire sans blesser au passage les homosexuels."

Pour Alexandre Adet, qui dit comprendre que "pour eux, ça fait partie du bien commun et du folklore du football", il s’agit précisément de mieux mesurer "la portée des mots, et la sémantique qu’il y a derrière. Parce que si aujourd’hui aucun joueur professionnel n’a encore fait son coming-out, c’est forcément un peu lié à tout ça". Une réflexion qui fait bondir James Rophé : "Mais ça existe dans d’autres milieux où il y a essentiellement des hommes. Dans le journalisme sportif par exemple, je ne connais aucune figure ayant fait son coming-out. Est-ce la faute des supporters dans les stades ? Est-ce qu’on ne peut pas sensibiliser simplement en donnant des exemples, en disant que ça existe ? Moi, je ne sais pas. Mais il faut pouvoir en discuter."

En attendant cette réunion, et ces (éventuels ?) ateliers, le porte-parole de l’ANS souligne : "Là, tout le monde présume qu’on (les supporters) est tous hétérosexuels et homophobes. Excusez-moi mais je pourrais être homosexuel, qu’est-ce que vous en savez ? Surtout, on a déjà participé à de nombreux travaux sur les discriminations, dont l’homophobie. Les supporters subissent eux-mêmes des discriminations... Je vais vous donner une image : si vous voulez apprendre à faire du vélo à un enfant, et que vous partez du principe qu’il n’en a jamais fait, vous lui mettez des roulettes. Mais s'il a déjà commencé à en faire, eh bien il va les refuser. Parce que, du coup, les roulettes, ça devient débile. Vous voyez ce que je veux dire ?"


Hamza HIZZIR

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