Coupe du monde 2019 : en Chine, le football féminin est devenu une affaire d’État

par Hamza HIZZIR
Publié le 25 juin 2019 à 13h12

Source : Sujet TF1 Info

FOOTBALL – Le président chinois Xi Jinping considère le sport-roi comme le moyen le plus efficace d’asseoir la toute-puissance de son pays aux yeux du monde. Et il a récemment pris conscience qu’il irait sans doute plus vite en misant sur son équipe nationale féminine.

La bascule s’est opérée en novembre 2013, au soir de la victoire du club chinois de Guanzhou Evergrande en finale de la Ligue des champions d’Asie. Ce jour-là, dit la légende, le président Xi Jinping a exprimé un rêve : voir son pays triompher en Coupe du monde, pour asseoir définitivement le rayonnement international de son pays, via l’événement le plus scruté de la planète. Problème : son équipe nationale est nulle. Mais alors vraiment nulle : une seule participation au Mondial à son actif (2002), pour zéro but marqué. Et un niveau qui n’en finit plus de stagner, malgré les investissements somptuaires des grands groupes nationaux dans les clubs professionnels.

On parle là, bien sûr, de l’équipe nationale masculine. Car du côté des filles, ce n’est pas la même histoire. Cet été, l’équipe de Chine, qui affronte l’Italie mardi 25 juin en 8es de finale (18h), dispute en effet son septième Mondial (sur huit éditions en tout et pour tout). Organisatrice de la première Coupe de monde féminine de l’histoire (en 1991) et seul pays à l’avoir accueillie deux fois (la deuxième en 2007), la Chine, outre ses huit Coupes d’Asie des nations, a aussi une médaille d’argent olympique (en 1996) et une finale de Mondial (en 1999) à faire valoir, après s’être inclinée, par deux fois d'extrême justesse, face aux Américaines.

Depuis le début du XXie siècle, toutefois, les "Roses d'acier", comme on les surnomme, sont rentrées dans le rang. La faute au développement plus rapide du football féminin, que les officiels du gouvernement n’ont pas daigné suivre, considérant que le business serait bien plus juteux du côté des hommes. La Chine n’est donc plus, en conséquence, qu’un outsider parmi d’autres dans cette Coupe du monde en France. Mais sa 16e place au classement Fifa indique tout de même que la marge la séparant des meilleures nations n’est pas si grande. En tout cas infiniment moins grande que pour les garçons, scotchés à une peu flatteuse 73e place depuis de longues années.

Censure et cours de "patriotisme"

Le gouvernement chinois le sait, comme il n’ignore pas non plus que la Fifa veut faire, dans les prochaines années, du football féminin un énorme marché à conquérir. La preuve : depuis le début de cette année 2019, chaque club professionnel de football du pays a l’obligation légale de se doter d’une section féminine. Et les écoles ont désormais pour mission de constituer des équipes de filles et de les faire s’entraîner cinq fois par semaine, la détection des talents passant nécessairement par cet échelon, dans un pays où il n’y a pas de clubs amateurs.

L’équipe de Chine actuellement en France est, du reste, surveillée comme le lait sur le feu par les autorités chinoise. Comme en a témoigné une révélation, début juin, du JDD, selon laquelle le gouvernement a demandé aux organisateurs de la Coupe du monde de faire en sorte que les joueuses ne soient à aucun moment perturbées par des manifestations en faveur des droits de l’homme, alors que l’on célébrait, le 4 juin, le 30e anniversaire du massacre de Tian’anmen. La chaîne Arte a ainsi été priée d’annuler sa soirée spéciale sur la Chine (ce qu’elle a refusé). En outre, la Fédération a imposé aux joueuses, durant le tournoi, des cours de "patriotisme", signe de la très grande attention qui leur est portée.

Les meilleures abandonnent parfois en raison de la réticence de leurs parents, qui préfèrent les voir faire de la danse ou du piano.
Qian Hui, entraîneuse de football à Shanghai

Dans ce même ordre d’idée, la meneuse de jeu star de la sélection, Wang Shuang, actuellement au PSG, a reçu la consigne de revenir jouer en Chine la saison prochaine, l’idée étant de faire bénéficier le championnat local de ses talents, mais aussi de sa notoriété. Le club parisien, qui a eu la bonne idée de diffuser un documentaire en plusieurs épisodes sur sa vie dans la capitale française sur les plateformes Sina Weibo, TikTok et WeChat, n’a en effet pas eu à le regretter : ces vidéos ont été vues plus de 8 millions de fois ! De quoi redonner un peu de lustre à un championnat demeurant sinistré, où le public comme les annonceurs continuent de cruellement manquer à l’appel.

Qian Hui, qui entraîne des footballeuses depuis trois décennies dans la métropole de Shanghai, explique à l’AFP : "Le pays est très peuplé (1,4 milliard d'habitants, ndlr), mais il n'y a pas beaucoup de gens qui pratiquent le football. Les filles qu'on sélectionne dans notre équipe ne sont pas forcément les meilleures. Car les meilleures abandonnent parfois en raison de la réticence de leurs parents, qui préfèrent les voir faire de la danse ou du piano. Le football reste largement perçu en Chine comme un sport de garçons. La situation actuelle de la sélection nationale féminine, c'est [de] bons résultats, mais [un] manque de considération et d'attention. Des internationales dorment par terre ou prennent des trains de nuit pour aller aux matchs. Ce serait impensable chez les hommes." Cette bascule-là ne s’est donc pas opérée. De moins, pas encore. 


Hamza HIZZIR

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