"Johan Cruyff, c'est la reine d'Angleterre, les Beatles et James Bond à la fois"

par Hamza HIZZIR
Publié le 24 mars 2016 à 14h10
"Johan Cruyff, c'est la reine d'Angleterre, les Beatles et James Bond à la fois"

INTERVIEW - Johan Cruyff est décédé ce 24 mars. La légende néerlandaise, considéré comme le créateur du foot moderne, a succombé d'un cancer des poumons. Le 10 septembre dernier était sorti "Johan Cruyff, génie pop et despote" (ed. Hugo Sport), une biographie retraçant la vie de l'icône. Son auteur, Cherif Ghemmour, nous avait raconté ce personnage qui a révolutionné son sport.

Avez-vous vraiment été surpris d'apprendre que Johan Cruyff souffre d'un cancer du poumon ? 
Oui et non. Oui parce que, quand on l'a rencontré au mois de juin pour une interview dans So Foot, il était resplendissant. Mais bon, l'aspect physique extérieur, qu'est-ce que ça veut dire ? Je ne pouvais pas imaginer... Et non parce que la nature du cancer peut être reliée à son tabagisme. Je ne suis pas médecin, peut-être que je dis n'importe quoi, il pourrait y avoir d'autres causes, mais en général, il y a un lien. Donc si c'est ça, on ne peut pas être surpris. Ceci dit, ça fait presque 25 ans qu'il a arrêté de fumer. Mais on sait qu'un cancer se déclare sans prévenir, comme on dit.

Sans forcément établir de lien de cause à effet, il fumait beaucoup plus que la moyenne des footballeurs pro, même pour l'époque, non ?
Si. C'est déjà bien de rappeler que c'est un tabou chez les sportifs mais que beaucoup de sportifs fument, notamment des footballeurs. Surtout la génération de Johan Cruyff. Il n'y a donc rien d'extraordinaire à ça, même si ça peut paraître choquant pour le commun des mortels. Et, bien sûr, Cruyff était au-dessus de la moyenne. Il a commencé tôt, vers 14 ans. Et il devait fumer entre deux et trois paquets de clopes par jour quand il était entraîneur de l'Ajax et du Barça, à cause du stress de ce métier. Pendant sa carrière de joueur, ce n'est pas une légende, il fumait tout le temps, y compris pendant les matchs, à la mi-temps. Quand il jouait aux États-Unis, pendant les longs déplacements en avion, à l'arrière de l'appareil, il se grillait facile un demi, voire un paquet entier. Ce qui lui a causé des problèmes de santé, dont l'alerte cardiaque qu'il a eu en février 1991.

C'est là qu'il a arrêté ?
Oui, concrètement. Il a subi un triple pontage coronarien. Il s'en est tiré un peu miraculeusement : il se promenait avec sa femme dans les rues de Barcelone, pas loin d'un hôpital. Il a pu être traité rapidement, ce qui lui a sans doute sauvé la vie. Donc il a arrêté, et il a fait cette fameuse campagne de pub pour le ministère de la santé de la province de Catalogne, où on le voit jongler avec un paquet de clopes, qu'il envoie valdinguer dans une poubelle au ralenti. C'était assez sublime.

Si vous deviez décrire Johan Cruyff à quelqu'un qui ne le connaît pas, que diriez-vous ?
Que, dans l'histoire du foot, c'est un homme unique. Il n'a pas d'équivalent dans le sens où c'est une figure tridimensionnelle. Il a été un footballeur d'exception, un entraîneur d'exception et un inspirateur d'exception. Il fait partie des cinq meilleurs joueurs de tous les temps. Il a aussi marqué l'histoire en tant que coach avec son Barça, surnommé la "dream team". Et il a été le grand inspirateur du jeu du Barça moderne et indirectement de l'équipe d'Espagne championne du monde et deux fois championne d'Europe. L'esprit de ce jeu-là a été concocté par Guardiola, son fils spirituel, qui revendique toujours l'héritage de Cruyff. Aucun autre entraîneur, même parmi les plus titrés, n'a laissé derrière lui un tel héritage tactique et "doctrinal". Il est le seul à avoir donné un aspect intellectuel et philosophique au jeu.

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En quoi est-il un meilleur sujet de livre que Pelé ou Diego Maradona, alors que lui n'a jamais gagné la Coupe du monde ?
Déjà parce qu'il n'a jamais gagné la Coupe du monde (rires). Son aura vient aussi de là. Le héros de la Coupe du monde 1974 (remportée par la RFA), ce n'est pas Beckenbauer ou Müller, c'est Cruyff et ses Oranje (les Pays-Bas, finalistes malheureux). Il a été un personnage charismatique. Quand il était jeune, il avait une dégaine et une photogénie de rock star absolue. Il incarnait le football moderne par la vitesse : le football pouvait être rapide mais avec lui, il est devenu supersonique, ce qui a apporté une nouvelle dimension au jeu. Il a aussi une personnalité hors norme. Il se savait prédestiné à être un immense footballeur dès qu'il était môme et n'a plus pensé qu'à ça. Ce qui a généré toutes sortes de comportements et d'exploits qui se répondent sur et en dehors du terrain. En match, il était un être exceptionnel. Et puis à côté, il y avait cette face sombre que j'ai approfondie, son côté autoritaire, génial, visionnaire et despote. Ça a fait de lui la figure marquante contemporaine des Pays-Bas. Les Anglais, ces 50 dernières années, ont eu la reine d'Angleterre, les Beatles, les Rolling Stones, Margaret Thatcher et James Bond. Johan Cruyff, aux Pays-Bas, c'est tout ça à la fois. C'est une personnalité clivante.

En quoi ?
Parce qu'il y a une immense fascination pour l'ambassadeur qu'il a été et, en même temps, les Néerlandais connaissent son appât du gain, le côté hautain qu'il étrennait dans les médias. Ce n'était pas un caractère facile, pas spécialement sympathique. Lumineux, flamboyant et sombre. Faire un bouquin sur Pelé qui raconte toujours des joyeusetés, l'amour, la paix, les enfants... Ça va cinq minutes quoi. Même s'il y a sans doute un bon roman à faire sur sa vie. Mais moi, il se trouve que j'ai choisi Cruyff.


Hamza HIZZIR

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