Mercato : et celui des femmes, ça marche comment ?

Propos recueillis par Yohan ROBLIN
Publié le 9 janvier 2019 à 18h38, mis à jour le 10 janvier 2019 à 12h36

Source : Sujet TF1 Info

DÉCRYPTAGE - Ouvert jusqu'au 31 janvier prochain, le traditionnel marché des transferts agite actuellement le championnat de France. Autant chez les hommes que chez les femmes. Avec l'aide de Sonia Souid, l'une des premières femmes au monde agents de footballeurs et de footballeuses, LCI évoque les particularités du mercato féminin.

Suivi avec passion, deux fois par an, par les fans de ballon rond, le traditionnel marché des transferts se conjugue aussi au féminin. Depuis le mardi 1er janvier à minuit, toutes les équipes, selon leurs moyens financiers, cherchent à se renforcer ou se battent pour conserver leurs principales joueuses avant d'attaquer la deuxième partie de saison. Le mercato féminin est certes moins médiatisé que son équivalent masculin mais il n'en demeure pas moins actif.  

Rare femme au monde agent de footballeurs et de footballeuses, Sonia Souid s'est faite un nom dans le milieu après avoir réussi de gros coups médiatiques tels que le premier transfert payant entre deux clubs français - Marie-Laure Délie en 2013 -, l'arrivée de Corinne Diacre sur le banc de Clermont ou encore la négociation de Lucas Ocampos à l'OM. Difficile de trouver quelqu'un de mieux placé pour parler des spécificités du marché des transferts féminin. 

Le marché des transferts féminin est moins bien organisé
Sonia SOUID

LCI : En cette période hivernale, on entend quasi exclusivement parler du mercato masculin. Ce qu'on sait moins, c'est que le football féminin a aussi son marché des transferts en janvier. Vous connaissez bien les deux segments, qu'est-ce qui les différencie ?

Sonia SOUID : Disons que le marché féminin est beaucoup moins bien organisé. Déjà parce que c'est plus récent, ça reste encore très amateur. Dans le football masculin, on doit être 400 agents licenciés, plus tout ceux qui travaillent sans licence. Soit environ 1500 personnes, conseillers et intermédiaires, qui gravitent dans ce milieu. Mais les agents qui travaillent dans le foot masculin ne sont pas forcément ceux que l'on retrouve dans le foot féminin. Ce n'est pas le même réseau, de fait il y a moins de personnes concernées. C'est moins "la jungle". Du coup, les clubs font régulièrement appel à des agents, comme moi, pour trouver les joueuses qu'ils recherchent. Pour le reste, c'est peu ou prou la même chose. Les équipes sont quasiment à la moitié du championnat. Le mercato de janvier est une période où elles cherchent à faire des réglages, à peaufiner leurs recrutements mais aussi à alléger leurs effectifs. Il arrive aussi parfois qu'une joueuse ne se plaît pas là où elle est et il faut faire en sorte de lui trouver une porte de sortie. 

LCI : Qu'en est-il lorsque vous négociez le contrat d'une footballeuse ? 

Sonia SOUID : La marge de négociations est beaucoup plus large dans le football masculin. On peut effectivement aller plus loin dans le montage des contrats. Entre la Ligue 1 et la D1, il y a des différences colossales*. Mais il m'est arrivé d'avoir de très beaux contrats en première division féminine. J'ai signé des joueuses qui sont beaucoup mieux rémunérées que certains joueurs de Ligue 2, avec des contrats beaucoup mieux ficelés et complexes. Aujourd'hui, il y a des clubs comme le PSG ou l'OL, qui proposent de très beaux contrats, supérieurs à ce que peuvent négocier certains joueurs de deuxième division masculine. 

L'effet Coupe du monde est inévitable
Sonia SOUID

LCI : Vous conseillez de nombreuses joueuses. Comment ça se passe au quotidien ? 

Sonia SOUID : J'essaie de les voir assez régulièrement, le plus souvent possible. Au moins quatre à cinq fois dans l'année. Je prends l'exemple d'Amandine Henry, la capitaine de l'équipe de France et joueuse de l'OL. On se donne des nouvelles, on se souhaite nos anniversaires, etc... Quand elle était aux États-Unis, elle m'a vue deux fois, sans compter le jour de la signature. J'étais présente à la finale de la NWSL (le championnat féminin de football, ndlr) quand Portland a gagné et qu'elle est devenue championne des États-Unis. Je lui ai aussi rendu visite au Qatar après son opération à la clinique du sport d'Aspetar. Après, je garde des contacts réguliers avec les filles par téléphone. Les joueuses me contactent s'il y a le moindre problème et qu'elle ont besoin que j'intervienne.  L'agent est une sorte de tampon entre le club et la footballeuse. Pour éviter de se mettre trop en avant si elles ont quelque chose à dire, elles font appel à moi.

FRANCK FIFE / AFP

LCI : Avec le Mondial en France, faut-il s'attendre à un gros mercato l'été prochain ?

Sonia SOUID : L'effet Coupe du monde est inévitable. C'est un événement planétaire très suivi, qui va sans doute influencer quelques recrutements. Certaines joueuses en devenir vont confirmer au haut niveau et d'autres quasiment inconnues vont exploser et se révéler aux yeux du monde. Les clubs vont vouloir absolument les recruter. Mais, à mon avis, ça va quand même bouger sur le marché avant le Mondial. Un club professionnel ne peut pas se focaliser uniquement sur la Coupe du monde pour faire tout son recrutement.

Une joueuse française a tout intérêt à rester en France
Sonia SOUID

LCI : Partagez-vous la vison selon laquelle Les États-Unis sont l'Eldorado du foot féminin ? 

Sonia SIOUD : Je ne suis pas forcément d'accord. Je ne détacherai pas les États-Unis des championnats européens. Évidemment, c'est le pays du football féminin, ils sont en avance sur nous depuis des années mais ce n'est pas l'Eldorado pour les joueuses. Au niveau des rémunérations, ça ne fait pas forcément rêver. Il y a un "salary cap" (un plafond que la masse salariale joueurs de chaque club ne peut excéder, ndlr) en place. Et puis, sincèrement, les joueuses que je conseille ne me disent pas que c'est leur rêve absolu de partir jouer là-bas. Il y a aussi de très beaux championnats en Europe, la France en est un.

LCI : Le championnat de France n'a donc plus rien à envier à la NWLS... 

Sonia SIOUD : Je suis l'une des premières dans le milieu à m'être intéressée au football féminin quand j'ai débuté il y a neuf ans. À l'époque, c'était très amateur. Même les joueuses du PSG n'étaient pas professionnelles. En neuf ans, l'évolution est magnifique grâce à des personnes comme Louis Nicollin et Jean-Michel Aulas. Le paysage du football féminin s'est bien développé, avec Marseille, Bordeaux, Lille ou encore Dijon, qui ont investi dans leurs sections féminines. Le championnat est désormais télévisé, les joueuses deviennent de plus en plus connues et les sponsors, en quête de visibilité, commencent à s'engager. Aujourd'hui, une joueuse française a tout intérêt à rester en France. La D1 est un championnat très hétérogène qui a vocation, je l'espère, à se resserrer un peu plus. Ailleurs, en Europe, que ce soit en Allemagne, en Angleterre ou bien en Espagne, le niveau augmente. Des clubs comme l'Atlético de Madrid et Barcelone mettent la main à la poche. On a signé Keira Hamraoui l'été dernier au Barça. Si un jour le Real Madrid met aussi les moyens dans son équipe féminine, j'imagine que ce sera galactique. 

* Selon la Fédération française de football, le revenu moyen d'une footballeuse professionnelle en 2017 oscillait entre 1500 et 3000 euros bruts par mois, 4000 pour les plus grands clubs français. En comparaison, le salaire moyen en Ligue 1 était de 75.000 euros bruts par mois.


Propos recueillis par Yohan ROBLIN

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