Le vin est-il menacé par le changement climatique ?

Publié le 12 août 2018 à 13h39, mis à jour le 12 août 2018 à 13h47

Source : JT 20h Semaine

ALCOOL – Le secteur viticole pourrait aussi victime du changement climatique. Si les températures continuent à augmenter, les vins français pourraient perdre leurs arômes et, surtout, augmenter leur taux d'alcool. Une inquiétude pour ce secteur qui réfléchit aux adaptations possibles et espère une stabilisation des températures.

L'augmentation du taux d'alcool, c'est l'un des impacts directs est très concrets du réchauffement climatique sur les vins français. Après les semaines de canicule qui ont touché notamment dans le Sud de la France, ce produit devrait subir de nombreuses évolutions dans les années à venir. 

Le "vin du futur"

Contrairement à d'autres secteurs agricoles où la hausse des températures joue essentiellement sur la productivité et donc sur le prix, pour le raisin, cela se ressent également sur le goût du produit et notamment sa teneur en alcool. C’est en tout cas les conclusions de l’INRA. Dans le cadre du projet LACCAVE, des chercheurs ont étudié, de 2010 à 2015, l’impact du dérèglement climatique de notre planète sur la vigne et le vin. Ils en dénombrent quatre principaux. 

Tout d’abord, la hausse des températures provoque une augmentation du taux d’alcool moyen, dû lui-même à une intensification du sucre présent dans le raisin. Ainsi, dans toutes les régions de France, il est passé d’une moyenne de 11 ,5% dans les années 80 à presque 14% aujourd’hui. Un boom qui peut être vu de façon positive, notamment dans le Nord où les vins sont moins alcoolisés. En revanche, c’est tout le contraire dans le Sud, où les récoltes approchent dangereusement de la limite des 15% autorisés. Une frontière à ne pas dépasser si on veut profiter de l’appellation. 

Ensuite, l’augmentation des températures change le goût notamment en raison d’une baisse de l’acidité. Le pH, c’est  ce qui procure de "la fraîcheur et aide à la conservation" comme l’explique pour LCI Jean-Marc Touzard,  directeur de recherche à l’INRA à Montpellier et l’un des animateurs du projet LACCAVE. "Avec une hausse de l’alcool et une baisse de l’acidité, on perd un équilibre précieux, recherché par tout viticulteur" ajoute-t-il. 

Enfin, la hausse des températures a un effet sur les arômes et les couleurs. Notamment pour certains vins rouges qui perdent en intensité. Résultat : les vins "du futur" sont plus confiturés mais aussi "plus expressifs et originaux". Jean-Marc Touzard explique alors que "si on analyse ces résultats, on comprend qu’on gâche la perception globale du consommateur. Il est habitué à un profil aromatique, donc s’il change on risque de perdre son intérêt pour certains cépages".   

Désalcoolisation et nouveaux cépages

Deux ans après, le projet LACCAVE revient. Depuis le 1er juillet, les chercheurs continuent leur travail afin de traiter les leviers d’adaptations possibles.  "Il faut tout réadapter, indique le co-animateur du projet, il y a trente ans, la vendange se faisait autour du 15 septembre. Aujourd’hui on a entre 15 et 30 jours d’avance en fonction des régions." Une évolution du calendrier qui pose des problèmes d’organisation : il faut trouver de la main d’œuvre disponible en plein été, vendanger le matin ou la nuit pour éviter la chaleur et se débrouiller avec moins d’eau. Alors, les spécialistes ont trouvé des réponses, et explique qu’aujourd’hui il existe quatre leviers d’adaptation. 

Tout d’abord il ne faut pas oublier la diversité des cépages à travers le monde. "La vigne est très diversifiée, on en trouve plus de 4.000 cépages", rappelle Jean-Marc Touzard. Parmi elles, beaucoup de variétés sont plus adaptées à la sécheresse et à la chaleur, notamment celles venant de Sicile ou Grèce. Alors pourquoi ne pas en profiter et les importer. 

Une autre possibilité est de "mettre le paquet sur les adaptions des pratiques viticoles", selon le chercheur de l’INRA. Par exemple, le viticulteur pourrait revoir la taille de sa vigne, pour mettre plus d’ombre sur les grappes, ou encore mieux irriguer les sols, pour répondre à la sécheresse. Des solutions qui existent mais qu’il faudra "combiner aux mieux". 

Une troisième solution, plus drastique, est d’envisager les replantations en changeant de localisation. "En France il y a beaucoup de parcelles inutilisées parce qu’elles n’étaient pas intéressantes, assure Jean-Marc Touzard, soit parce qu’elles étaient moins exposées, soit parce que le sol était trop profond." Aujourd’hui il faut donc aller chercher ces terrains-là. 

Michael Goliard, viticulteur dans le Vaucluse, explique qu'en ce qui le concerne, il ne s'inquiète pas des causes du réchauffement climatique. Pour ce jeune homme, la vigne est une histoire de famille. Son arrière grand-père y travaillait déjà. Alors depuis des générations, il a fallu s'habituer à la chaleur dans une région très ensoleillée et sèche. C'est pourquoi ses vignes sont situées "dans une zone où les sols sont assez argileux, ils gardent l'eau". Une spécificité qui a donc toujours créé des vins assez forts et qui permet aujourd’hui de mieux faire face aux fortes températures.  

Enfin, il est également possible d’intervenir a posteriori pour corriger les effets du changement climatique. Cette solution œnologique donne des "vins technologiques". On peut alors rajouter de l’acidité ou désalcooliser le produit en procédant à des mélanges. Mais cette réponse-là amène d’autres soucis. Elle est très coûteuse et devrait renforcer les acteurs importants aux dépens des petits producteurs.

Quel avenir pour le vin français?

Vis-à-vis du consommateur, la question aujourd’hui est de savoir si ces transformations sont handicapantes. C’est pourquoi, dans le cadre du projet LACCAVE, il semblait essentiel pour les chercheurs d’étudier les réactions des amateurs. Ils ont fait goûter, à un échantillon de personnes habituées à consommer cette boisson, des vins "normaux" et des "vins du futur", c’est-à-dire ayant subi les effets du changement climatique, tous deux provenant du même cru. "En première approche, le consommateur préférait en moyenne le vin du futur, plus original. Mais quand on répétait la dégustation sur plusieurs jours, il y avait une lassitude et on revenait sur le produit plus traditionnel". Selon lui, ces nouvelles caractéristiques sont donc bonnes à prendre, tout en maintenant les traits actuels. Et surtout, "éviter les transformations radicales". De plus, il note que les aficionados interrogés ont tendance à accepter les nouvelles techniques de modification, notamment les plus jeunes. 

Mais outre l’opinion du consommateur, on relève aussi un avenir incertain pour le secteur de la vigne. Si l’on en croit le scénario les plus pessimistes, en l’occurrence une étude américaine publiée en 2013 dans la revue PNAS, le vignoble occitan aura complètement disparu à l’horizon 2050. Une aberration pour M.Goliard. "Au niveau de la vigne, ici à Rasteau, nous n'avons pas eu de différence énormes, malgré les fortes chaleurs". Car selon lui, les changements se sont fait "sur dix ans". Ce qui laisse largement le temps de s'adapter.  Ainsi, lui-même n'a pas connu les vendanges de septembre. Il explique que : "effectivement, d'après les anciens, on vendange deux à trois semaines plus tôt mais moi, je l'ai toujours fait en août." 

L'adaptation, une nécessité dans ce secteur centenaire. Et qui n'a pas été prise en compte par l'étude américaine. C'est pourquoi l'INRA en vient aux mêmes conclusions. Pour Jean-Marc Touzard, cette étude peut faire figure d’épouvantail pour les plus sceptiques. "Si on gèle les pratiques, voilà ce qu’il se passe", prévient-il. Avant d’ajouter que : "il ne faut pas faire de catastrophisme, les viticulteurs sont créatifs et s’adaptent". Par contre, contrairement à Michael Goliard, il tire la sonnette d’alarme concernant les répercussions d’un dérèglement climatique plus extrême. Ce qu’il appelle le "scénario Trump", où aucune politique environnementale n’est mise en place. "Le danger est de laisser faire et d’avoir une instabilité d’une année à l’autre", prévient-il ainsi. Car si le viticulteur peut s’adapter à des températures en hausse, ce n’est pas le cas avec une météo changeante et extrême. Selon les chiffres de l’INRA, le secteur connait aujourd’hui une année extrême sur dix. Mais d’ici 2040 ça pourrait être le cas d’une année sur deux. Dans ce cas, le pire envisageable, le secteur connaîtrait de graves difficultés économiques. Alors, si le changement climatique est déjà enclenché, les chercheurs appellent à le stabiliser. "Si on aime le vin, il faut qu’on aime la COP21 !" conclut ainsi Jean-Marc Touzard.   


Felicia SIDERIS

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