SECURITE – Au cours de son discours devant les députés mardi à l’Assemblée Nationale, le Premier ministre, Manuel Valls a annoncé la création de "quartiers spécifiques" en prison pour les jihadistes. Une mesure insuffisante juge Habib Kaaniche, responsable des aumôniers musulmans des prisons en région Paca.
Manuel Valls a évoqué mardi la création de
"quartiers spécifiques"
pour les jihadistes. Cette mesure vous semble-t-elle bonne ?
C’est une mesure insuffisante. Il faut certes isoler les détenus radicalisés mais ne surtout pas les mettre ensemble. Il n’y aura pas de bénéfices mais que des risques, car lorsque l’on additionne le mal, on additionne les possibilités de mal. Ensemble, les jihadistes vont se conforter dans leur radicalité.
Concrètement, que préconisez-vous pour lutter contre la radicalisation en prison ?
Les isoler d’eux-mêmes, qu’ils ne se côtoient pas. Il faut faire en sorte de les réintégrer en les mettant d’abord avec des détenus qui ne sont pas de la même religion. Il faut ensuite les prendre en charge avec des formations pendant leur incarcération. Faire en sorte qu’ils rencontrent des psychologues et des aumôniers musulmans en prison pour effacer le bourrage de crâne.
Un avis partagé par différents syndicats pénitentiaires qui pointent toutefois le manque de moyens pour mettre en place ces mesures…
Quand on regarde les budgets de la justice en Europe par rapport à la France, nous sommes loin. On peut juste se dire que notre pays a les moyens de dégager des fonds pour ça. L’Etat doit faire un effort. Notre pays manque aussi de prisons. Par rapport au Danemark, on a 30 % de centres pénitentiaires en moins proportionnellement à la population.
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Concernant les détenus radicalisés, faut-il justement s’inspirer d’autres pays ?
En Europe du nord, les budgets sont déjà plus importants. Je sais qu’au Danemark, des tentatives de désendoctrinement sont en cours pour les réintégrer.
"La radicalisation ne se fait pas plus en prison qu'ailleurs"
A la suite des événements dramatiques de la semaine dernière, Christiane Taubira a annoncé l’arrivée de 30 aumôniers musulmans supplémentaires pour les prisons françaises. Est-ce suffisant selon vous ?
Non, car il faut un aumônier par prison. Et à plein-temps ! Voire deux dans certains cas. Il n’y a souvent qu’un aumônier pour 1500 détenus de confession musulmane… Il nous faut aussi un statut. Aujourd’hui, nous n’avons ni sécurité sociale, ni retraite. Le salaire moyen est de 200 euros par mois. Ça couvre à peine les déplacements. Un de mes aumôniers gère actuellement 3 prisons en même temps. Il n’y en a que 12 dans la région.
Quelles difficultés cela pose-t-il vis-à-vis des prisonniers ?
On rencontre 15 détenus à la fois. Ça crée une frustration.
Qui peut se transformer en radicalisation ?
Non, je dirais plutôt une colère vis-à-vis de l’administration.
Pour en revenir aux détenus radicalisés, reconnaissent-ils votre travail ?
C’est difficile. Ils n’aiment pas, nous voir. Et c’est rare qu’ils demandent à nous rencontrer. Ils pensent que nous sommes de l’administration aussi.
Que vous reprochent-ils ?
Que l’on ne défende pas l’islam comme eux le perçoivent.
La radicalisation en prison fait l’objet de beaucoup de commentaires. Quelle est réellement la situation ?
Elle ne se fait pas plus en prison qu’ailleurs. Et je pèse mes mots. Je le vois quotidiennement dans les quartiers où je vais. Souvent des jeunes me demandent de venir car ils me disent que certains veulent salir notre religion. Il y a une génération spontanée qui se révolte contre les intégristes qui veulent transformer l’islam en une religion de l’interdit alors que ce n’est pas le cas.
Après l’attentat de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, des voix se sont élevées pour dire que les Français de confession musulmane n’ont pas assez condamné ces actes de terrorisme. Êtes-vous d’accord ?
Ce que l’on peut dire, c’est que la mobilisation des musulmans n’a peut-être pas été aussi importante qu’on l’aurait souhaité. A Marseille par exemple, la communauté musulmane s’est peut-être moins investie car il y avait deux rassemblements et c’était à chaque fois sur le Vieux-Port. Si ça avait été dans les quartiers nord, il y aurait eu plus de monde.
Comment les détenus ont-ils vécu les événements de la semaine dernière ?
C’est partagé, ça dépend de l’âge. Les plus âgés m’ont quasiment tous fait part de leur désapprobation, les traitant de criminels. Pour les plus jeunes, c’est moins net. Certains sont restés neutres. D’autres ont dit que c’était le moins que l’on puisse faire aux caricaturistes…