Tariq Ramadan, le sulfureux islamologue devenu persona non grata en France

Publié le 3 février 2018 à 10h30
Tariq Ramadan, le sulfureux islamologue devenu persona non grata en France

PORTRAIT - A 55 ans, Tariq Ramadan est depuis plusieurs années un des l'islamologues les plus controversés en Europe. Notamment en France, où il a peu à peu été contraint de déserter les médias. Et s'il fait désormais à nouveau la une, c'est pour les récentes accusations de viols dont il fait l'objet et pour lesquelles il a été mis en examen et incarcéré le 2 février.

Discret dans les médias, où il n’est plus en odeur de sainteté depuis quelques années, Tariq Ramadan fait de nouveau la Une depuis plusieurs mois. En effet, dans la mouvance des mouvements #BalanceTonPorc et #MeToo, consécutifs à la libération de la parole féminine après l'affaire Harvey Weinstein, l’islamologue et théologien a été mis en examen vendredi à Paris pour viols et incarcéré après deux jours de garde à vue dans une affaire qui a ébranlé la communauté musulmane en France et fait chuter un intellectuel aussi influent que contesté. 

L'intéressé a toujours répondu par l'argument d'une "campagne de calomnie" déclenchée par ses "ennemis de toujours".

Et des ennemis, le petit-fils fils d’Hassan an-Banna, fondateur de la confrérie égyptienne islamiste des Frères musulmans, en a d'ailleurs beaucoup. Car s’il bénéficie d’une forte popularité dans les milieux musulmans conservateurs, il est, par contre, très contesté dans les sphères laïques, qui voient en lui le tenant d’un islam politique.

Des idées controversées

Sur son site internet, le Suisse âgé de 55 ans explique qu’il "contribue par ses écrits et ses interventions au débat sur la question des musulmans d’Occident, ainsi qu’au renouveau du monde musulman". Il a également rédigé une trentaine de livres pour expliquer ses idées et ses positions. Il veut "montrer, théoriquement autant que pratiquement, que l'on peut être tout à la fois pleinement musulman et occidental" et que le "vivre ensemble" est possible dans nos sociétés pluralistes et multiculturelles. Dans son ouvrage Les musulmans dans la laïcité (1994), il plaide pour que les musulmans vivant en Occident se considèrent comme des citoyens à part entière et réclame le droit d'être "musulman européen". 

"L’islam est une religion française, affirme-t-il. Vous avez la capacité de faire que la culture française soit considérée comme une culture musulmane. Et il faut le dire avec force et le vivre avec détermination." Pour le port du voile "obligatoire" et favorable à un moratoire sur la lapidation des femmes adultères plutôt qu'à son abolition, Tariq Ramadan a également conseillé aux musulmans, dans son livre Les Grand Péchés, de ne pas se rendre dans des piscines mixtes pour ne pas regarder les femmes en bikini. 

Surtout, il est taxé d'antisémitisme. En octobre 2003, dans une "Critique des (nouveaux) intellectuels communautaires" publiée sur le site Oumma.com, il accuse un plusieurs intellectuels juifs français comme Bernard Kouchner et André Glucksmann de prendre un "positionnement politique [qui] répond à des logiques communautaires, en tant que juifs, ou nationalistes, en tant que défenseurs d’Israël". 

Ramadan accusé de tenir un "double discours"

Tariq Ramadan est accusé par nombre de politiques et de penseurs français d'entretenir un "double discours". Caroline Fourest, dans son livre Frère Tariq paru aux éditions Grasset en 2004, s’interrogeait : "S’agit-il d’un intellectuel prônant un islam libéral et moderne ou d’un prédicateur islamiste simplement poli et habile ?" Selon Ian Hamel, qui a écrit sur le théologien, il est d’abord un politicien qui adapte son discours à son public. Il donne pour exemple une conférence donnée par Tariq Ramadan en 2012 lors de la Rencontre annuelle des musulmans de France : quand dans son discours face à des familles musulmans, il condamne sans ambiguïté les meurtres de Mohammed Merah, sur son site, destiné à ses "partisans", il est moins catégorique. Il décrit le tueur au scooter comme quelqu'un de "gentil (…) serviable et ne correspondant en rien (…) à cette image du salafiste jihadiste extrémiste prêt à tuer pour une cause religieuse ou politique". 

Sur l'attentat contre Charlie Hebdo, il condamne les faits en même temps qu'il alimente la théorie du complot. " On a entendu hier [que les frères Kouachi] ont oublié leurs cartes d’identité dans la voiture, deux cartes d’identité… D’un côté tant de sophistication, de l’autre tant de stupidité. Nous devons demander comment ils ont été en capacité de faire cela. (…) Nous devons demander quelles sont leurs connexions, quel est le rôle des services secrets dans toute cette affaire, où sont-ils, comment cela a-t-il pu se passer de cette manière. (…) Nous devons condamner, mais nous ne devons pas être naïfs", écrit-il sur son compte Facebook.

Une chaire à Oxford obtenue avec l'aide du Qatar

Aujourd'hui, le charismatique islamologue, désigné par le Time comme l'une des personnalités les plus influentes de 2004, apparaît peu dans les médias français. Il réside à Londres, et est professeur d’Etudes islamiques contemporaines à l’université d’Oxford. Il a décroché sa chaire en 2009, grâce au soutien du Qatar. Mais à la suite des accusations qui pèsent sur, il a dû se mettre en congé de ce poste, a annoncé mardi 7 novembre l'université.

Ce père de quatre enfants, marié avec une Bretonne convertie à l'islam, préparait son retour en France depuis deux ans. Il a créé dans l'Hexagone son propre centre de formation, l’Institut islamique de formation à l’éthique, et il envisageait en 2016 de demander la nationalité française. Manuel Valls avait déclaré qu'il n'y avait "aucune raison" de la lui accorder. 


La rédaction de TF1info

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