Face à la course à l'innovation, un futur plus souhaitable passe-t-il (paradoxalement) par le "low-tech" ?

Publié le 15 novembre 2019 à 11h36, mis à jour le 15 novembre 2019 à 11h51
Face à la course à l'innovation, un futur plus souhaitable passe-t-il (paradoxalement) par le "low-tech" ?
Source : ISTOCK

MONDE DE DEMAIN - Devant l'urgence climatique, ils proposent d'utiliser des technologies moins gourmandes, et surtout plus simples que les promesses sophistiquées de la high-tech. Difficile de savoir combien ils sont en France, mais une chose est sûre : le mouvement gagne du terrain.

Ils délaissent les métaux rares pour des matériaux recyclés, la programmation informatique pour le bricolage, la performance pour la robustesse, la réalité virtuelle pour la réalité tout court. Exit la high-tech sophistiquée et polluante, place aux basses technologies, aka le "low-tech". Face à l'hypothèse d’un effondrement de la civilisation industrielle, de plus en plus d’experts préconisent d’utiliser des technologies moins gourmandes, et surtout plus simples. "Il ne s'agit pas d’être pour ou contre l’innovation technologique, mais d’être capable d’en discuter calmement. Et, parfois, d’y renoncer", plaide auprès de LCI Philippe Bihouix, ingénieur centralien et auteur de L'Âge des low-tech : vers une civilisation techniquement soutenable (Seuil, 2014). 

Pour ces apôtres de la sobriété énergétique, la course à l'innovation nous envoie droit dans le mur. Et la transition énergétique ne peut se faire qu'au travers des technologies plus durables. Ce qui nécessite, plaide cet essayiste, de repenser en profondeur nos objets. "Les concevoir simples, robustes et conviviaux, parfois moins performants, réparables, à base de matériaux simples, faciles à démanteler et utilisant les ressources rares avec parcimonie", soutient-il. Séduisante sur le papier, la thèse est pourtant moins évidente dans la réalité, en dépit des initiatives menées ici et là pour tenter de concilier progrès techniques et considérations éthiques.

44,7 millions de tonnes de e-déchets par an, soit 4.500 tours Eiffel

Le succès très relatif du Fairphone, un smartphone entièrement recyclable et réparable, conçu avec des métaux extraits dans des conditions décentes, le démontre. Plus cher que d’autres téléphones, à performances comparables, le Fairphone, fabriqué par une start-up néerlandaise, n’a été produit qu’à un peu plus de 100.000 exemplaires. "Il faut saluer l'initiative. Elle a le mérite de montrer qu'il est possible de faire autrement. Et, de par sa transparence, elle a également permis à beaucoup de gens de prendre conscience de l'impact écologique de cette industrie". En ligne de mire : ces fameux e-déchets que l'humanité peine tant à recycler. En 2016, un rapport de l'Université des Nations unies, la branche universitaire de l'Onu, évaluait le poids de nos déchets électriques et électroniques (DEEE) à 44,7 millions de tonnes par an, soit l’équivalent de 4.500 tours Eiffel ! 

Peut-on recycler son smartphone ?Source : JT 20h Semaine

De nos jours, seulement un quart des métaux contenus dans nos appareils électroniques usagés sont recyclés. Et ce taux tombe à moins de 1% pour les terres rares - ce groupe de 17 métaux aux propriétés électromagnétiques devenus essentiels au développement des technologies de pointe. "Le problème, c'est qu'ils sont présents en très petites quantités et dans plein d’objets différents. Cela rend la mise en place d'une filière de récupération quasiment impossible. Et les belles promesses de l'économie circulaire, à l'instar d'Apple et son robot recycleur d'iPhone, dont de très jolies vidéos traînent sur Internet, n’y changeront rien", insiste Philippe Bihouix. D'autant plus que ces métaux rares sont aussi devenus indispensables au développement des technologies qui transforment les énergies vertes (hydraulique, éolien, solaire, biomasse) en électricité.

Il est bien plus facile de passer à la civilisation du vélo que de déployer la voiture électrique
Philippe Bihouix, ingénieur centralien.

"On s'aperçoit aujourd'hui que le déploiement de ces énergies renouvelables a un coût écologique plus grand que l'extraction du pétrole. Et la transition énergétique a pour effet d'augmenter notre accoutumance à cette nouvelle ressource, pourtant tout aussi limitée que la précédente", pointe Philippe Bihouix. Et d'ajouter : "Il est bien plus facile de passer à la civilisation du vélo que de déployer la voiture électrique ou d’inventer une voiture propre qui restera toujours un oxymore. Non seulement c’est plus simple, mais ce serait sans doute aussi beaucoup plus sympa", s'amuse-t-il.

En réaction à cette gabegie, les adeptes du low-tech suggèrent de renouer avec des technologies sobres, conviviales et de fait beaucoup moins énergivores. "Il y a d'un côté les écologistes de l’offre qui prétendent trouver des alternatives au nucléaire, au pétrole ou au charbon en lançant un programme massif d’énergies renouvelables. Et de l'autre, les écologistes de la demande qui s’interrogent : si nous devons effectuer des choix, de quoi pouvons-nous nous passer le plus facilement ? Utiliser des petites voitures, plutôt que des chars d’assaut. Ou encore, chauffer de manière plus raisonnable nos bureaux et enfiler un pull en hiver, par exemple". Difficile de dire combien ils sont en France.

Un wikipédia des solutions low-tech

Passant de la théorie à  la pratique, un premier "Low-tech lab" a ouvert ses portes en France, à Concarneau, en Bretagne. Ce petit laboratoire de recherche et développement, fondé en 2013 par deux ingénieurs trentenaires, expérimente des technologies simples d’usage et pensées pour avoir un impact moindre sur l’environnement. "L'objectif est tester des solutions sur le terrain", explique à LCI, Clément Chabot, l'un de ses fondateurs. Maison autonome 100% low-tech, voiture en toile de jute et autres innovations ingénieuses. "Nous mettons à disposition du grand public ces solutions sous forme de tutos.

Une sorte de wikipédia du low-tech, pour ainsi dire. "Tout y est détaillé : difficulté, durée, coût, étapes de fabrication, matériaux et outils nécessaires, poursuit-il. On y trouve les grands classiques, comme des toilettes sèches ou un four solaire. Mais aussi des trucs et astuces pour débutants, comme une  jupe isolante pour casserole pour cuire plus vite et ainsi consommer moins d’énergie. Ou bien encore, pour les plus audacieux : la recette pour fabriquer du biodiesel." Bref, il n’y a plus qu’à…


Matthieu DELACHARLERY

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