Haine sur internet : comment Facebook va collaborer avec la justice française

par Cédric INGRAND
Publié le 26 juin 2019 à 16h18

Source : JT 20h WE

PAS SI ÉVIDENT - Le réseau social fournira désormais à la justice française les adresses IP d'auteurs de messages appelant à la haine. La procédure n'est pas nouvelle, mais elle va être singulièrement simplifiée. Sans fonctionner cependant à tous les coups. Explications.

Cédric O a de quoi être content. À quelques jours du début de l'examen à l'Assemblée de la proposition de loi contre la haine en ligne, le secrétaire d'état au Numérique le clame haut et fort depuis mardi soir : désormais, Facebook communiquera aux autorités judiciaires françaises les adresses IP des auteurs de messages ou de commentaires incitant à la haine. La France serait même le seul pays -hors États-Unis- pour lequel le réseau social ouvrirait si largement ses informations de connexion.

Comment est-ce arrivé ? "Ces dernières semaines, Mark Zuckerberg, Cédric O et le président de la République ont eu des contacts directs", explique à LCI un conseiller du secrétaire d'Etat. "La discussion vient d'aboutir. On pousse aujourd'hui une loi qui va responsabiliser les auteurs. Mais pour que cela fonctionne, il faut pouvoir les identifier." Cela veut-il dire pour autant que Facebook ne répondait pas jusque-là aux demandes de la justice française ? C'est là que les choses se compliquent.

Le Code de procédure pénale ne s'applique pas à Menlo Park

Sur le papier, la procédure est simple : face à un comportement répréhensible en ligne -que l'on parle de fraude, de terrorisme, de diffamation ou de pédopornographie-, un magistrat peut lancer une réquisition judiciaire auprès de tout opérateur télécoms ou service en ligne, au sens large. Cette demande d'information formelle consiste dans neuf cas sur dix à solliciter l'identité et les coordonnées d'un internaute, ou au moins ses informations de connexion. L'année dernière, les opérateurs télécoms français ont ainsi eu plus de 600.000 réquisitions judiciaires à traiter . Ce n'est d'ailleurs pas nouveau puisque la procédure existe depuis 2004. Et celui qui refuserait une requête pourrait encourir des sanctions. 

Mais tout cela ne concerne que la France. Si Facebook a un bureau commercial à Paris, la société est bien de droit américain. Et c'est donc là que la machine se grippait, en tout cas jusqu'à maintenant. "On aime bien donner des leçons au monde entier", sourit Alexandre Archambault, avocat parisien spécialiste du numérique, "mais notre Code de Procédure Pénale n'est pas au-dessus des lois nationales." Si Facebook acceptait ainsi jusqu'ici de répondre en direct aux réquisitions judiciaires touchant au terrorisme ou à la pédopornographie, tous les autres sujets, comme les affaires de haine en ligne, empruntaient un chemin plus sinueux et bien plus long : celui de l'entraide judiciaire, un traité de coopération qui permet à un magistrat français de demander à la justice américaine de porter sa réquisition à bon port.

Facebook garde son libre-arbitre

Une procédure plus longue donc, mais qui fonctionne quand même. "Il est faux de dire que Facebook ne répond pas aux réquisitions", explique à LCI Alexandre Archambault, "ils le font bien, tant au civil qu'au pénal, quand les demandes sont raisonnables." On touche ici à l'autre différence du droit américain : l'entreprise peut refuser une requête si elle l'estime illégitime et exercer ce que le droit appelle un contrôle de proportionnalité. Il consiste à vérifier que ce que demande un magistrat est bien en ligne avec le but recherché et ne viole pas les droits de gens que la procédure ne concerne pas. Exemple : si un magistrat vous soupçonne d'évasion fiscale, il peut demander toutes sortes d'informations au réseau social sur votre compte, mais pas les coordonnées complètes de vos amis Facebook.

Face aux requêtes venues de France, Facebook pourra donc garder son libre-arbitre, ce que confirme un porte-parole, sollicité par LCI : "Nous ne renverrons plus les autorités judiciaires françaises au traité d'entraide judiciaire (...). Mais, comme nous le faisons déjà aux États-Unis, nous examinerons chaque requête et refuserons celles dont la portée serait excessive, qui seraient incompatibles avec les droits de l'Homme ou mal formulées d'un point de vue légal."

Une avancée sans contrepartie ?

S'il est difficile de se plaindre de la simplification du travail des juges français, cette avancée-là peut-elle vraiment s'effectuer sans qu'à son tour l'Amérique ne vienne taper à la porte du législateur ? "D'un point de vue souverainiste, c'est agréable de voir que le Code de procédure pénale français peut avoir des effets ailleurs dans le monde," ironise Alexandre Archambault. "Mais attention, si on obtient ce genre de choses des Gafa, je ne vois pas comment il n'y aurait pas de réciprocité. Les politiques ne devraient pas jouer aux apprentis sorciers."


Cédric INGRAND

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