Un avion neutre en 2035 ? "C'est totalement réaliste", selon l'aviateur Bertrand Piccard

Propos recueillis par Cédric Stanghellini
Publié le 11 juin 2020 à 15h58, mis à jour le 11 juin 2020 à 16h50

Source : JT 20h Semaine

INNOVATION - Au moment où l’Etat annonce un plan massif pour soutenir l’industrie aéronautique française pour concevoir un avion neutre d'ici 2035, le pilote Bertrand Piccard, auteur du tour du monde en avion solaire, partage son enthousiasme face à un tel défi.

Avec 1,5 milliard d'euros d'argent public posé sur la table, l'Etat français ne lésine pas sur les moyens pour que le pays mette au point le futur avion neutre d'ici 2035. Une nouvelle qui remplit d'enthousiasme le pilote suisse Bertrand Piccard. En 2016, il avait réussi l'exploit de faire le tour du monde sans une seule goutte de pétrole, à bord du célèbre aéronef solaire, le Solar Impulse. Devenu depuis conseiller spécial de la commission européenne pour la relance économique propre et président de la Fondation de promotion de la protection de l'environnement appelée également Solar Impulse, Bertrand Piccard explique à LCI pourquoi il est confiant dans l'avènement de l'avion neutre. Décollage immédiat.

LCI : Un avion neutre pour 2035, est-ce que cela vous paraît réaliste ? 

Bertrand Piccard : C'est totalement réaliste. Je suis très enthousiaste depuis l'annonce du gouvernement français d'accélérer le calendrier pour aboutir à un avion neutre en 2035, et non plus en 2050. Avec la prise de conscience de la crise environnementale, c'est le moment idéal pour être aussi ambitieux en pensant l'aviation de demain. Et pour les septiques, je rappelle qu'au moment où les frères Wright travaillaient sur leur premier avion, tout le monde leur disait que ce serait impossible, jusqu'au premier vol en 1903. 

Qu'est-ce qu'on appelle un avion neutre ? 

Cela désigne un avion qui fonctionne avec l'énergie électrique et il existe principalement deux technologies. Soit que l'avion embarque des batteries qui sont rechargées lors des escales. Soit qu'il utilise des piles à combustible à l'hydrogène. Il existe déjà des appareils capables de voler deux heures entièrement à l'électricité.

N'y-a-t-il pas le risque qu'un plan aussi massif de 1,5 milliard d'euros "accouche d'une souris" ? 

Je ne le crois pas. Les technologies sont déjà là et ne demandent qu'à être développées et soutenues. Les entreprises du secteur seront moins frileuses pour investir car ce plan de soutien fera apparaître un nouveau marché : celui de l'avion propre. Sans oublier toutes les start-up qui pourront se lancer. Et il y a de nombreux emplois à la clé. 

Vous évoquez également l'importance de la réglementation...

L'ambition technologique affichée aujourd'hui par la France devra s'accompagner d'une ambition réglementaire. Pour encourager le marché à changer au profit d'avions plus propres, continuer à voler en polluant devra être plus cher. Pour cela, on peut envisager une taxe sur les billets pour compenser les émissions par exemple. Il ne faut pas oublier que le développement de la voiture électrique a longtemps été balbutiant à cause d'une réglementation trop favorable aux voitures polluantes.

 Pour l'instant, les prototypes d'avion électrique ou hybride se présentent comme de petites navettes...

Il est certain que dans un premier temps les avions propres seront plutôt des petits et moyens courriers et transportant moins de personnes à la fois. Pour traverser l'Atlantique, nous continuerons à utiliser du kérosène. Mais là encore je fais confiance à l'avenir et aux sauts technologiques qui seront effectués. 

Ne faudra-t-il pas changer notre manière de voyager en avion ?

Nous devrions réfléchir sérieusement à ce que j'appelle les trajets inutiles, comme partir en weekend en avion pour simplement faire du shopping. En plus, les prix des billets sont si bas que le modèle des compagnies est à peine rentable. On le voit bien depuis la crise du coronavirus, en quelques semaines beaucoup d'entre elles se retrouvent déjà au bord du gouffre. Mais je ne stigmatise pas pour autant le transport aérien qui est responsable de 3% des émissions de CO2 dans l’atmosphère, autant que le visionnage en streaming. C'est 30% pour les transports terrestres. 

Et que pouvons-nous faire en attendant 2035 ? 

Des solutions peuvent être mises en place immédiatement. Par exemple au sein de la Fondation Solar Impulse, nous nous sommes donné l'objectif de soutenir 1.000 innovations technologiques et écologiques économiquement viables. Une start-up nous a proposé un système pour convertir des avions déjà existants à l'énergie hydrogène. Une autre entreprise, par un simple logiciel installé sur les appareils, permet d'économiser jusqu'à 5% de carburant. Autant de solutions simples et à mettre en place sans attendre. 


Propos recueillis par Cédric Stanghellini

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