Réalité virtuelle, séries interactives... Demain, sera-t-il possible d'influencer un film avec son cerveau ?

Publié le 12 juin 2018 à 9h48, mis à jour le 12 juin 2018 à 10h53
Réalité virtuelle, séries interactives... Demain, sera-t-il possible d'influencer un film avec son cerveau ?

FUTUR - Vu l'essor de la réalité virtuelle et de expérimentations interactives, le cinéma de demain pourrait bien arriver plus rapidement que prévu. Et si, dans le futur, il était possible de contrôler un film avec son esprit ?

Contrôler un film, une série, une vidéo avec son esprit... Et si c’était possible ? Nous sommes en 2018 et l'hypothèse a priori farfelue fait fantasmer les professionnels de la profession. Richard Ramchurn, jeune étudiant diplômé de l’université de Nottingham, est un de ceux qui y croient dur comme fer. Pour lui, pas de doute, le cinéma du futur se fera à portée de casque. Expérimentant les modes d’inclusion de la technologie dans ses vidéos, il a signé il y a trois ans The Disadvantages of Time Travel, un court métrage où, pendant le visionnage, les clignements des yeux des spectateurs influaient sur le montage de la vidéo, la superposition des plans ainsi que l’intensité de la musique.

Depuis, Ramchurn a réalisé The Moment, un court expérimental "interactif" de 27 minutes décrivant un futur où les humains seront tous interconnectés par la pensée. Sa particularité ? Le déroulement narratif peut littéralement être influencé par celui qui le regarde via un EEG NeuroSky (soit un casque à électroencéphalogramme capable de mesurer l’activité cérébrale de son porteur). 

Une expérience testée et efficiente

Selon un chercheur de l’Université de Nottingham au Royaume-Uni, contrôler The Moment par l'esprit est "possible" car ce casque "donne la possibilité d’analyser les ondes qui traversent nos cerveaux et peut actionner les commandes d’un ordinateur avec un minimum de concentration mentale". 

Lors de la diffusion de l’œuvre, l’influx nerveux des spectateurs équipés chacun d’un casque EEG est analysé par ordinateur. Et en fonction des émotions du spectateur, certaines scènes, musiques ou effets spéciaux vont se transformer. Mais tout cela reste marginal (pour l’instant, cette interaction est destinée à une seule personne, bien que son inventeur imagine déjà adapter son concept à des salles entières en calculant la moyenne des émotions du public) et se produit à un niveau superficiel (les casques à EEG demeurent incapables de déchiffrer les pensées complexes chez l'être humain). 

De son côté, le réalisateur Armen Perian a mis au point un "court-métrage interactif augmenté" avec The Angry River. Le concept se révèle non moins délirant. Pour déterminer l’intrigue à suivre, une technologie de suivi oculaire utilise les webcams des spectateurs pour voir où se focalise leur intérêt sur le film. À partir de là, un algorithme personnalisé utilise cette information pour organiser les cinq perspectives de l’histoire en une seule expérience de visionnement. 

Certes, nous ne sommes que dans de la pure expérimentation voire de "la science-fiction" et il faut faire attention aussi à l'auto-persuasion. On se souvient encore de l'exemple de The Flicker (1965), le court métrage culte de Tony Conrad, où une succession régulière et rapide entre un fond noir et un fond blanc se répète en boucle, créant un effet stroboscopique à la fréquence Alpha (de 8 à 15 flashs/sec) pendant la totalité du film, déclenchant chez le spectateur vertiges, hallucinations impliquant plusieurs sens, et risquant de provoquer des crises d'épilepsie. Ceux qui le regardaient croyaient distinguer des choses mais ce n'était que des illusions d'optique.

Prémisses d'une révolution "interactive"

Si elle fait florès, cette volonté de "contrôler un film" ou de jouer sur le côté interactif-ludique, la perspective d'impliquer le spectateur dans la création d'une oeuvre, n'est pas nouvelle. Dès les années 80, on a pris en compte l’interactivité avec le spectateur mais avec les codes, le langage et les techniques du cinéma (en gros, il restait toujours l’écran comme intermédiaire). On peut saluer quelques tentatives saugrenues de cette décennie comme la série Salut les homards, jadis diffusée en 1988 sur TF1 (si, si), où les téléspectateurs pouvaient voter via le Minitel pour décider de ce qui pouvait arriver aux personnages et les scénaristes devaient prendre ce choix en compte pour écrire la suite. 

Plus sérieusement, il a fallu attendre la démocratisation des casques pour avoir l’impression d’être projeté à l’intérieur d’un film ou d’une expérience immersive. Un nouveau marché qui dépend à la fois de développements techniques, des créateurs et de ceux qui vont être capables de financer. C’est l’ère dite "de la personnalisation", notamment accélérée en 2012 lorsque Palmer Luckey a développé le premier prototype de l’Oculus Rift, puis s’est fait racheter par Facebook pour 2 milliards de dollars. Depuis, la "personnalisation" passionne tout le monde : Fox, Warner, Youtube, Facebook... 

La réalité virtuelle, au cœur des enjeux

Nos réalisateurs venus du cinéma traditionnel sont pleinement conscients de ces nouveaux enjeux, de ces nouveaux modes de narration : Gaspar Noé (Climax) et Darren Aronofsky (Requiem For A Dream) veulent exploiter toutes les possibilités de la VR dans leurs prochains films en collaborant avec le studio consacré aux formats immersifs Atlas V. Selon le réalisateur de Irréversible, c'est le futur mais "à peine 0,1 % des possibilités de la réalité virtuelle ont été explorées". 

En termes d'interaction avec le spectateur, Steven Soderbergh a proposé début 2018 une autre expérience de la même teneur : Mosaic, une mini-série déclinée en application pour smartphone, permettant au spectateur de visionner les huit heures de vidéo de la série en donnant au spectateur la maîtrise non pas de l'histoire mais du moment où il regarde telle scène ou décide d'en savoir un peu plus sur une rencontre ou un personnage. 

L'utilisateur commence par un épisode d'une vingtaine de minutes, entrée obligatoire pour continuer. Ensuite, c'est l'utilisateur qui décide. Il peut creuser plus ou passer directement à une autre séquence. C’est plus fort encore que le simple bingewatching.

Netflix a également proposé l’été dernier un peu d'interaction dans un de ses programmes pour enfants (un dessin animé inédit à propos du Chat Potté, le personnage de la saga Shrek) où les jeunes spectateurs peuvent intervenir dans l'histoire et choisir comment se termine leur programme.

A l'arrivée, toutes ces possibilités nous renseignent sur notre actuelle consommation des images et témoignent de l'inventivité d'un cinéma qui, n'en déplaise à notre Jean-Luc Godard, n'est pas mort.


Romain LE VERN

Tout
TF1 Info