Streaming vidéo : comment Twitch a mis la communauté au cœur de son fonctionnement

par Mélinda DAVAN-SOULAS
Publié le 22 juillet 2019 à 9h00, mis à jour le 22 juillet 2019 à 18h22

Source : Sujet TF1 Info

ÉCHANGES - Lancée en 2011, la plateforme de streaming vidéo Twitch n’en finit plus de grossir. Hébergeant des millions de streamers, elle repose avant tout sur la force d’une communauté de fidèles spectateurs qui sont là pour admirer leurs créateurs de contenus préférés, échanger avec eux, les soutenir moralement mais aussi parfois financièrement.

Des allées remplies, des salles de conférence qui font le plein de spectateurs prêts à faire la queue de longues minutes pour aller ensuite à la rencontre de leurs streamers préférés : la première TwitchCon Europe qui s'est tenue au printemps à Berlin a parfaitement illustré ce petit monde à part sur la planète streaming qu’est devenu Twitch, à la fois sur desktop et supports mobiles.

La plateforme, lancée en 2011 et rachetée par Amazon à prix d’or en 2014, compte aujourd'hui des millions de spectateurs et de streamers, ces créateurs de contenus qui diffusent en direct leurs vidéos et interagissent avec leur communauté d’abonnés, le cœur de la machine.

La culture de la proximité

La force de Twitch réside d’ailleurs dans cette connexion entre ces streamers (appelés aussi casters) et leurs spectateurs, par l'intermédiaire du chat de discussion lors des lives. Au détour des allées de la TwitchCon de Berlin, ces derniers ne cachaient d'ailleurs pas apprécier ce "lien direct" avec ceux qui sont parfois même devenus les idoles d’une jeune audience (beaucoup de 16-24 ans).

Ninja, de son vrai nom Tyler Blevins, est ainsi le streamer le plus populaire avec plus de 14 millions de followers et quelque 100.000 spectateurs pour chaque direct, essentiellement de compétition de jeux vidéo (PUBG, Apex Legends, Fortnite…). L’Américain affiche plus de 500.000 dollars de gain mensuel grâce à ses streamings. Il a notamment contribué à la popularité de Fortnite, qu’il accompagne en vidéo depuis ses débuts, s’offrant même des parties endiablées avec les chanteurs Drake et Travis Scott, avec des records de vues à la clé.

Mais pas besoin d’être une star aussi célèbre pour avoir sa propre communauté. A Berlin, Deagal Remyr, un drôle de zig déguisé en Jack Sparrow ("Pirates des Caraïbes"), disposait également de fans venus l’écouter distiller ses bons conseils de streamer et échanger un mot avec lui. A écouter ses 35.000 abonnés, les discussions "dans sa taverne de pirates" sont un grand moment de partage. Deagal peut y accueillir des invités, jouer de la musique, parler de tout et n’importe quoi. Bref, comme au pub du coin ! Et ça fonctionne !

Et cette proximité peut aussi permettre de vivre de ses vidéos. "Il est possible de faire de l’argent avec Twitch. C’est l’un des principes de la plateforme car nous partageons nos revenus publicitaires avec nos streamers affiliés et partenaires", explique à LCI Burkhard Leimbrock, directeur commercial Europe. Ces revenus sont cependant calculés en fonction de l’audience et favorisent donc les plus gros streamers. Et il faut déjà arriver à ce statut. "Créer un compte et commencer à streamer (diffuser de la vidéo en direct, ndlr), ça se fait en cinq minutes via sa console, son PC ou même son smartphone", nous explique Valentin Lormeau, plus connus sur Twitch et Twitter sous le pseudo Yamato. "Se faire une communauté et commencer à gagner de l’argent grâce à Twitch, c’est beaucoup plus long et fastidieux."

Capture d'écran Twitch

Deagal Remyr, streamer allemand sur Twitch

Une communauté qui porte (financièrement) ses streamers

Si les streamers peuvent rapidement devenir "affiliés" (quelques heures de live hebdomadaire suffisent) pour toucher un peu d’argent sur la publicité diffusée durant leurs vidéos, c’est en accédant au sacro-saint statut de "Twitch partner" qu’ils en tireront mieux les dividendes. "Il n’y a pas de seuil minimal de followers pour devenir 'Twitch Partner'", nous assure Burkhard Leimbrock, tout en reconnaissant que c’est néanmoins "quelque chose de très particulier au sein de la communauté". "Quand vous devenez 'Twitch Partner', vous franchissez un cap en tant que streamer", déclare-t-il. Twitch s’en amuse d’ailleurs et en fait généralement l’annonce en direct au streamer concerné durant l'un de ses lives pour mieux faire profiter la communauté de sa réaction.

Quoi qu'il en soit, Twitch a réussi à insuffler un lien particulier entre spectateurs fidèles et streamers reconnaissants. Car plus que d’être devant son écran pour les encourager en live, cette communauté les soutient aussi financièrement. Parmi les manières de récupérer de l’argent via Twitch, figure ainsi aussi la "souscription". "On peut ‘sub’ (financer, ndlr) un streamer qu’on aime bien en s’abonnant à sa chaîne et en le finançant à hauteur de 4,99 € chaque mois. Mais il faut savoir que le streamer n’en percevra que 50%, moins les frais éventuels de paiement par carte", explique Yamato. Les plus gros créateurs pourront négocier avec Twitch, en fonction de leur audience, pour percevoir jusqu’à 70% de la somme.

"C’est une très grande part de notre ADN", se félicite Burkhard Leimbrock. "Cela montre à quel point un viewer est fan d’un streamer et de son travail." Et pour renforcer ce lien, le financeur reçoit en échange un lot d’emoji spéciaux et inédits ou encore une mention pendant un direct. "C’est une manière d’être reconnu et remercié par le streamer. Les abonnés y sont très sensibles. Ce ne sont pas des actions dans le vent." Et Yamato d’ajouter : "Cela joue sur l’affect de la communauté. Les ‘plus anciens abonnés sont salués. On peut même leur attribuer des blasons différents dans le chat."

Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Une quête de reconnaissance mutuelle

La communauté dispose d’un autre moyen pour financer un créateur : les Bits, la monnaie virtuelle de Twitch. Les viewers les achètent par pack (100 bits = 1 euro). Une sorte de don à l’action que chacun peut utiliser à tout moment pour montrer qu’il a apprécié une vidéo, un geste ou une séquence d’un streamer. "C’est un peu comme si vous filiez une pièce à un musicien dans la rue. La philosophie est la même", résume Michael Aragon, responsable des contenus chez Twitch. "Vous allez ainsi montrer que quelque chose vous a touchés, vous a fait rire. Beaucoup de créateurs font aussi appel à ces Bits pour réunir des fonds pour des projets de charité en faveur des ONG lors d’événements organisés sur leur chaîne."

Il suffit de se balader sur les chats de discussion des chaînes pour voir à quel point la communauté est forte autour d’un streamer ou des webTV florissantes, comme celles de Solary ou LeStream en France. "L’aspect communautaire est vraiment le point fort de Twitch par rapport à YouTube. La plateforme a cultivé son identité, sa différence avec des petits détails qui donnent à chacun l’envie de s’investir. Il suffit de voir l’état d’esprit festif de la TwitchCon entre les streamers et les viewers. Ils sont contents de pouvoir approcher leurs ‘stars’ sans souci. A l’origine, ce sont des joueurs qui regardent d’autres joueurs et échangent. Donc il y a un feeling commun", résume Yamato.

En France, on dénombre environ un millier de streamers partenaires (il n'y a pas de chiffres officiels), dont une bonne centaine parviendrait à réellement en vivre. Mais comme souvent, le système est plus favorable aux casters les plus importants. Outre les revenus tirés des spots publicitaires diffusés lors des lives, ils peuvent aussi attirer les marques prêtes à financer des vidéos. Des propositions qui dépendent évidemment une fois encore de la taille de leur communauté...


Mélinda DAVAN-SOULAS

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