Bernie Sanders, l'option socialiste pour battre Donald Trump

Publié le 4 mars 2020 à 9h21, mis à jour le 4 mars 2020 à 9h40

Source : TF1 Info

PORTRAIT - Après le "Super Tuesday", qui a vu Joe Biden faire un come-back improbable, Bernie Sanders, menacé par la défection de Michael Bloomberg et le maintien d'Elizabeth Warren, n'en reste pas moins en bonne position pour être le candidat démocrate en novembre. S'il remporte cette primaire, il pourrait devenir le grand rival de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles en novembre.

Le "Super Tuesday" n'aura pas été tendre pour "Bernie". Dans l'incapacité d'élargir son électorat, le sénateur socialiste, favori des premières semaines pour devenir le champion démocrate destiné à chasser Donald Trump de la Maison Blanche, a essuyé de plein fouet la "remontada" inespérée de Joe Biden, ex-vice-président de Barack Obama, chouchou de l'establishment du Parti démocrate et représentant de l'aile droite du Parti démocrate. Mais, large vainqueur de l'Etat de Californie, le socialiste n'a pas tout perdu, loin s'en faut.

"A chaque primaire, c'est le candidat de l'establishment qui gagne", pose pourtant Guillaume Debré, journaliste politique chez TF1-LCI, auteur de Je twitte donc je suis, l'art de gouverner selon Donald Trump. "Ainsi, si Bernie Sanders passe, ce serait une surprise, aussi incroyable que la victoire de Donald Trump aux primaires du parti républicain il y a quatre ans."

Le sénateur du Vermont devrait terminer la soirée avec 600 délégués au compteur, soit un peu moins d'un tiers de la majorité absolue (1.991) nécessaire pour être couronné à la convention de Milwaukee mi-juillet. Avant, il faudra passer outre la rivalité de Biden, qui réunit désormais plus de délégués, l'argent colossal déployé par Mike Bloomberg (pas moins de 500 millions de dollars pour submerger les Etats de spots publicitaires) ne lui ayant pas évité une défaite cuisante et la pugnacité d'Elizabeth Warren n'ayant pas permis à cette dernière de recoller au peloton des favoris.

Une meilleure organisation qu'en 2016

En 2016, cet électron libre de Bernie Sanders avait perdu la primaire démocrate face à Hillary Clinton, qui a fini par perdre l'élection présidentielle dont elle était favorite - Sanders s'était toutefois largement imposé dans la primaire du Vermont, son Etat. En 2020, sa force de frappe s'avère plus forte : "A l'heure actuelle, en termes d'intensité politique, il reste le candidat qui a la meilleure organisation, un maillage beaucoup plus développé, qui finance sa campagne de façon autonome", note Guillaume Debré. 

"Il a bénéficié de sa campagne de 2016 en termes de notoriété", poursuit Nicole Bacharan, spécialiste de la politique et de la société américaine, auteure de "Le monde selon Trump". "Il a une organisation sur place dans chaque Etat, très présente, ainsi qu'une organisation de levée de fonds sur Internet très efficace. Au mois de janvier, il a rassemblé 49 millions de dollars - davantage que ses concurrents, à part Bloomberg. A mon sens, il peut remporter la primaire démocrate. Tout dépend des résultats de Joe Biden et de ceux qui vont se rallier à lui..."

Des solutions radicales pour les Etats-Unis

Bernie Sanders offrirait alors une proposition électorale inédite aux Etats-Unis. Car c'est "un socialiste qui n'a jamais réellement appartenu au clan démocrate", selon Guillaume Debré, "captant la colère des électeurs de gauche déplorant que l'establishment du parti démocrate n'ait pas joué son rôle d'opposition face à Trump, qui propose une assurance médicale à la française ainsi qu'un super impôt sur la fortune (ISF). Soit taxer la fortune de 1% des foyers ayant plus de 32 millions de dollars de patrimoine." Un impôt progressiste qui impacterait jusqu'à 10% des milliardaires. "Par exemple, si Bernie Sanders est élu et que sa proposition fiscale passe, Jeff Bezos paiera 9 milliards de dollars d’impôt. Le but avoué de Sanders, c'est de réduire la fortune des milliardaires de moitié en quinze ans. Jamais aucun candidat investi par un grand parti n'avait proposé une telle radicalité dans les solutions." 

Un équivalent de Jean-Luc Mélenchon dans les années 90
Guillaume Debré, journaliste

Des luttes qui font florès sur les réseaux sociaux où l'on voit, entre autres, resurgir des photos de Bernie Sanders dans les années 60 lisant Rimbaud ou participer à une manifestation contre les "Willis Wagons", des véhicules garés devant les écoles pour enfants noirs. Un an avant la fin de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, l'étudiant de l'Université de Chicago d'alors dirigeait le groupe Congress of Racial Equality et plus tard, il avait également refusé de combattre durant la guerre du Vietnam, se déclarant "objecteur de conscience". 

Cultivé, engagé dès son plus jeune âge, farouchement indépendant et un peu maverick, il revêt "une colonne vertébrale idéologique". "Un équivalent de Jean-Luc Mélenchon dans les années 90", selon Guillaume Debré : "Il s'avère beaucoup plus à gauche que le reste de l'Amérique, un socialiste affiché comme tel qui serait l'équivalent d'un trotskiste en France et qui répond au rejet actuel du peuple pour l'establishment politique. Du coup, les solutions que Sanders propose depuis quinze ans, et qui à chaque fois n'étaient pas acceptées par la majorité, pourraient être acceptées par le grand parti de gauche." 

Par rapport à 2016, où il a essayé de détrôner Hillary Clinton, Bernie Sanders semble encore plus préparé. Ses équipes sont très actives sur les réseaux sociaux et de nouveaux soutiens venus des minorités se greffent à son combat : "A l'époque, Sanders était soutenu par un électorat très blanc, très jeune, il passait pour le grand-père un peu irascible. Dans le Nevada, il a réussi à avoir plus de la moitié du vote hispanique, une partie du vote afro-américain, que Hillary avait su séduire à l'époque. Idem en Caroline du Sud. Preuve qu'il a réussi à élargir son socle électoral." 

Des zones d'ombre, malgré tout

A découvrir son parcours politique brillant et à lire les portraits laudatifs brossés par la presse, on trouve peu de griefs contre Bernie Sanders : "On ne perçoit pas immédiatement de zones d'ombre ni dans sa vie privée, ni dans les financements, ni dans sa carrière politique, concède Nicole Bacharan. Mais certaines prises de position risquent d'échauder une partie de l'électorat américain, notamment son rapport à Israël. Sanders n'est pas religieux et n'a jamais eu de déclaration de soutien à Israël, mais cela manque de clarté : que pense-t-il réellement sur cette question ?" 

"Modérer ses propos va être sa faiblesse, ajoute Guillaume Debré. Il a commencé à le faire en 2016, à glisser vers le centre. En 2020, il se révèle moins dans la lutte des classes. Il a beau toujours être aussi en colère et toujours contre les super-riches, il a un peu atténué son discours. Il n'en reste pas moins qu'il a des positions extrêmement clivantes sur Cuba (on l'accuse de complaisance envers le régime communiste), sur le port d'arme (Sanders veut en restreindre l'accès), sur l'option publique (une sécurité sociale à la française qui obligerait tous les Américains à souscrire à une assurance-maladie, finalement abandonnée par Barack Obama)." 

Trump et Sanders ont à peu près le même âge, la même carrure, le même volume sonore et n'ont peur de rien, surtout pas de l'autre
Nicole Bacharan, politologue

Nicole Bacharan ajoute que la perspective de miser sur les "jeunes abstentionnistes" ne constitue pas forcément à un atout : "En 2016, seuls 37% des moins de 35 ans ont voté, ils seront difficiles à convaincre. Par ailleurs, pour les 'électeurs du milieu', Sanders peut faire peur, faire craindre un éclatement du parti démocrate.  En cela, Biden a un profil plus rassurant." Pour gagner l'investiture démocrate, Sanders doit se mettre dans la poche les "super délégués, membres de l'establishment". 

L'angoisse des démocrates, rappelle Guillaume Debré, "c'est que la dernière fois qu'ils ont choisi un candidat très à gauche, George McGovern contre Richard Nixon en 1972, il n'a gagné qu'un seul Etat, le Massachusetts, Nixon ayant gagné les 49 autres". Un argument que Joe Biden, rival le plus sûr de Bernie Sanders, pourrait ressortir...

Des chances face à Trump ?

Ainsi, s'il passe les primaires démocrates, Bernie Sanders a-t-il des chances de battre Donald Trump ? Pour Guillaume Debré, "il faut garder en tête que l'élection présidentielle, c'est 50 élections locales. Trump n'a gagné qu'avec les voix de trois Etats alors solidement ancrés à gauche, la Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan. Si Bernie Sanders, dont l'espace politique demeure très réduit, arrive à décrocher ces trois Etats, il gagne. Et Trump a clairement peur de sa capacité à capter le vote ouvrier blanc qu'il avait siphonné aux démocrates." D'autant que les deux hommes politiques partagent des points communs : "Sanders, c'est le Trump de gauche, son pendant démocrate", poursuit-il. "Ce sont deux septuagénaires ayant une vigueur politique et charismatique assez étonnante. Autant l'un que l'autre instillent la ferveur chez leur électorat." 

"Trump et Sanders ont à peu près le même âge, la même carrure, le même volume sonore et n'ont peur de rien, surtout pas de l'autre", poursuit Nicole Bacharan. "Son plan est le même que celui de Trump : ne pas aller au centre et draguer les abstentionnistes. C'est comme si, au fond, à la radicalisation de Trump répondrait une radicalisation presque égale côté démocrate".  Seuls différent les discours, diamétralement opposés. "Sanders défend des idées, Trump se bat sur la démolition personnelle de l'adversaire", note la politologue. 

"Selon les sondages actuels, Sanders battrait Trump mais tout dépend en réalité du contexte économique : pour ceux qui ne sont ni très pro-Trump, ni très pro-Sanders, qui ont un emploi, qui ont des enfants et qui n'ont pas envie de révolution, la question de "tout bouleverser d'un extrême à l'autre" se posera. D'ici novembre, rien n'est prévisible, tout peut basculer et si Trump ou Sanders perd, leur parti se retournera alors contre eux." Mais, quoiqu'il en soit, "un affrontement entre Donald Trump et Bernie Sanders raconterait alors la fin du centrisme politique aux Etats-Unis", conclut Guillaume Debré.  


Romain LE VERN

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