Conflit post-Brexit : tout savoir sur les licences de pêche, au cœur des tensions franco-britanniques

Publié le 19 novembre 2021 à 14h51

Source : JT 13h Semaine

DÉCRYPTAGE - Les règles de pêche dans les eaux britanniques ont été radicalement modifiées avec le Brexit. Les Européens doivent désormais disposer d'une licence pour continuer de travailler. LCI fait le point sur ce dispositif.

La France a perdu une bataille... et la guerre ? Engagé dans un bras de fer avec la Grande-Bretagne depuis plusieurs mois, le gouvernement français n'obtiendra visiblement pas le dernier mot sur la question de la pêche. La ministre de la Mer, Annick Girardin, a ainsi annoncé jeudi la préparation de "plans de sortie de flotte" pour indemniser les pêcheurs dont les navires n'obtiendraient pas de licence et resteraient, in fine, à quai. Ce sont justement ces licences qui sont au cœur des tensions franco-britanniques depuis la fin du Brexit. Mais alors en quoi ces documents se révèlent-ils indispensables, au point de brouiller les relations de deux pays partenaires de longue date ? 

Le contexte

Avec sa sortie de l'Union européenne le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni a retrouvé sa souveraineté dans ses zones maritimes exclusives (jusqu'à environ 300 km au large de ses côtes). Si la situation n'a qu'un impact limité sur les pêcheurs britanniques, elle affecte grandement ceux des autres pays européens - Belgique, Danemark, Pays-Bas, Allemagne - qui profitaient de ces eaux. Les navires français - au nombre d'"environ 500" selon le gouvernement - y réalisaient même jusqu'à 30% de leurs prises. Selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, 100.000 tonnes de poisson ont été pêchés dans les eaux britanniques par des Français entre 2011 et 2015, soit 24% du volume produit en métropole. De même, en moyenne, les poissons pêchés dans les eaux françaises se vendent deux à huit fois moins chers que ceux récupérés dans les eaux britanniques. Ces zones sont donc particulièrement stratégiques et leur accès crucial. 

Le rôle clé des licences de pêche

Le Brexit n'a pas rendu inaccessibles les eaux britanniques aux pêcheurs étrangers et, à plus forte raison, français. Pour autant, de nouvelles réglementations ont été mises en place. Concrètement, la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne "rend inopérants les deux accords qui participaient à réguler l’accès des pécheurs français aux eaux britanniques", analyse Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), dans les colonnes de Géo.fr. Cela laisse donc la place à des conditions d'accès plus restrictives. Ainsi, le consensus trouvé en janvier dernier prévoit que les pêcheurs européens peuvent continuer de fréquenter certaines eaux britanniques moyennant l'obtention d'une licence de pêche. 

C'est là que tout se complique. Pour obtenir ce fameux permis, les marins doivent prouver qu'ils pêchaient déjà dans les eaux britanniques entre 2012 et 2016. Une formalité pour certains (pour les gros bateaux notamment) mais un véritable parcours du combattant pour d'autres. Certains petits bateaux ne sont, en effet, pas équipés de systèmes de géolocalisation, rendant la preuve d'autant plus difficile à fournir. Les anciens navires qui ont, dans l'intervalle, été remplacés par des neufs posent également problème.

La pilule d'un tel manque de flexibilité est difficile à avaler pour les pêcheurs concernés mais aussi pour le gouvernement français puisque ces exigences étaient absentes de l’accord post-Brexit. 

Le compte n'y est (toujours) pas

Au total, la France a obtenu, dans les zones disputées, près de 220 licences définitives. Pour autant, même s'il a revu ses exigences à la baisse, le gouvernement tricolore en réclame quelque 150 supplémentaires (contre 170 il y a un mois). Les négociations sont particulièrement difficiles dans la zone des 6 à 12 milles des côtes anglaises et dans celle des îles anglo-normandes. Dans cette dernière, chaque bateau doit justifier d'au moins onze jours de pêche sur une période de douze mois entre le 1er février 2017 et le 30 janvier 2020. Si Paris voit dans Guernesey "un partenaire fiable" dans la négociation, ce n'est pas le cas pour Jersey. Une grosse douzaine de bâtiments se trouvent sur la liste rouge établie par le gouvernement de Saint-Hélier et n'ont toujours aucun droit d'accès aux précieuses eaux.

Quelles solutions ?

Après avoir brandi le spectre de fortes mesures de rétorsion (refus de marchandise britannique dans les ports français, contrôles renforcés), le gouvernement français semble jeter l'éponge. Ce jeudi, Annick Girardin a reconnu préparer "des plans de sortie de flotte" pour indemniser les navires français qui n'obtiendraient, in fine, pas de licence de pêche pour accéder aux eaux britanniques. La "priorité du gouvernement est d'obtenir des licences" mais "cela n'empêche pas de prévoir l'avenir de la filière", a-t-elle ajouté, précisant qu'"une enveloppe de 40 à 60 millions d'euros" pourrait "être mise sur la table"

Ce vendredi, le gouvernement a pourtant renouvelé sa volonté de ne pas "reculer" et de demander toujours le même nombre de licences à Londres. "Il n'y a ni renoncement, ni reculade. On continue à la fois la négociation et la pression", a asséné Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Mais le mal pourrait bien déjà être fait...

Dès lors, deux solutions s'offrent aux marins qui ne se sont toujours pas vu accorder de licences. En premier lieu, ils peuvent préparer une reconversion professionnelle à court ou moyen terme en s'appuyant sur ces nouvelles indemnités promises par le gouvernement. Sinon, ils peuvent se rabattre sur une pêche dans les eaux françaises. Toutefois, celle-ci demeure, comme précédemment mentionné, bien moins lucrative. 

À noter que les cartes seront, une nouvelle fois, rebattues le 1er juin 2026. Selon l'accord signé en janvier dernier, cette date représente la fin de la période de transition post-Brexit. À partir de celle-ci, la France devra, diminuer ses quotas de pêche dans les eaux britanniques de 25 %. De quoi alimenter les tensions dans les années à venir...


Maxence GEVIN

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