Crise des sous-marins : "C'est du multilatéralisme... mais sans la France"

Publié le 21 septembre 2021 à 14h38

Source : TF1 Info

EN COLÈRE - Le ministre français des Affaires Étrangères n'en finit pas de dire sa colère. La rupture d'un contrat d'armement par l'Australie aura généré la première brouille franco-américaine de l'ère post-Trump. Pour le spécialiste des États-Unis Jean-Eric Branaa, il n'y a pourtant pas matière à s'étonner.

La rupture d'un contrat d'armement entre la France et l'Australie a mis au jour une alliance pour la zone indo-pacifique entre les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, sans que la France ait été incluse, ni même informée. Le redéploiement stratégique américain n'était pourtant pas si inattendu, selon Jean-Eric Branaa, le spécialiste des États-Unis consulté par LCI, et la tension franco-américaine qui en résulte tient beaucoup du jeu de postures. Trois questions pour éclairer sous un autre jour la "crise des sous-marins".

Ce mouvement stratégique de Joe Biden ressemble à de l’unilatéralisme ?

Je persiste à penser le contraire. Si Biden faisait de l’unilatéralisme, cela supposerait qu’il est tout seul, ce qui est loin d’être le cas. Ce serait le renvoyer aux discours successifs de Donald Trump à l’ONU, qui professaient "l’Amérique d'abord", voire "l’Amérique seulement". Biden revient sur ces principes-là, de façon très marquée, c’est un vrai "reset" qu’il opère. Ce qu’il défend, c’est la réorientation de la politique étrangère américaine : il veut s’éloigner des guerres du passé, d’où le retrait d’Afghanistan, et se concentrer sur les menaces qui émergent aujourd’hui.

Dans son discours à l’ONU, on s’attend même à ce qu’il fasse un appel aux alliés, comme il l’a déjà fait en rencontrant le secrétaire général de l’organisation. Il a expliqué à Antonio Guterres que les États-Unis croyaient en l’ONU et aux valeurs qu’elle défend. On est aux antipodes de Donald Trump avec un tel discours. Ce sont vraiment deux visions du monde radicalement différentes. 

Emmanuel Macron n’est plus le "leader du monde libre" qu’il incarnait il y a encore 6 mois

Que s’est-il passé dans cette affaire des sous-marins ? 

En réalité, c’est l’application concrète du choix de Joe Biden, de réorienter la politique étrangère américaine sur le pivot asiatique, sur la zone indo-pacifique. Il est logiquement allé chercher de nouveaux partenariats. Si on peut lui reprocher quelque chose, ce n’est pas de l’unilatéralisme, mais un multilatéralisme sans la France, ce qui n’est pas la même chose.

La colère de Le Drian, on la comprend : c’est lui qui a conduit le dossier quand il était ministre de la Défense, il doit acter sa rupture alors qu’il est ministre des Affaires étrangères, il est heurté. Mais Le Drian n’est pas un perdreau de l’année, il fait de la politique. Et le point de vue- politique lui aussi- d’Emmanuel Macron, c’est de se poser en leader de l’Europe, voire du monde. Le président français, que d’ailleurs on n’a pas encore entendu sur cette affaire, a abandonné beaucoup de ce rôle-là à Joe Biden depuis que celui-ci a été élu. Il n’est plus le "leader du monde libre" qu’il incarnait il y a encore 6 mois, certes avec une certaine facilité charismatique face à Donald Trump.

Biden a repris l’ensemble du rôle et de ses attributions, et dit : "c’est moi le patron". Cette affaire d’alliance et de remise en cause d’un contrat par les Australiens a fait éclater les positions au grand jour. Chacun se place, et de son côté notre président essaie de rallier les Européens à son panache blanc. Il faut  maintenant acter que la zone d’influence cruciale des Américains n’est plus en Europe, mais dans la zone indo-pacifique. C’est pour ça que cette colère française est surtout politique, elle peut permettre à la France d’avancer sur les objectifs qu’elle s’est fixés.

Il y avait eu d’autres signes de ce glissement des positions ?

Oui, quand Biden est arrivé au G7, il a demandé des partenaires qui soient alignés sur sa rhétorique : il désignait la Chine comme la source de tous les dangers pour l’avenir, notamment sécuritaires et pas seulement commerciaux. Les Français, eux, suivent la feuille de route énoncée par le président Macron en 2019, et rappelée par Le Drian à l’ONU : la France entend conserver une position transversale, sans confrontation avec la Chine, en développant ses propres partenariats sans avoir à en référer à qui que ce soit.

La position en rupture qu'affecte le gouvernement français depuis quelques jours serait difficile à tenir sur le long terme. C’est bien pour ça que le ton monte sur le plan diplomatique, parce qu’il faut essayer de se faire une place aux forceps dans le concert des Nations. On constate que le déploiement diplomatique américain est très rapide. En août, la vice-présidente a fait une tournée asiatique pour nouer des alliances- même si le succès n’est pas établi. Ils ont aussi fait des offres à l’Inde et au Japon, qui travaillent très bien avec la France, et pour l’instant repoussées. Mais on voit bien que toute l'activité diplomatique se concentre désormais sur cette zone, et que ça dépasse très largement une affaire des sous-marins ou le fait d’avoir vu sa confiance trahie.


Frédéric SENNEVILLE

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