Dans les bidonvilles de Manille, avec les recycleurs à mains nues

Publié le 20 mars 2014 à 17h46
Dans les bidonvilles de Manille, avec les recycleurs à mains nues

REPORTAGE - Dans les bidonvilles de la capitale philippine, des hommes et des femmes recyclent les déchets électroniques à mains nues, au péril de leur santé. Voyage au bout de la chaîne économique mondiale.

Saviez-vous que quand le cours des métaux frémit à Londres, on le ressent jusque dans les bidonvilles de Manille, aux Philippines ? Ici, au bout de la chaîne économique mondiale, officient des recycleurs des rues. A même le sol, ils désossent télévisions, ordinateurs et autres déchets électroniques, pour en tirer la substantifique moelle métallique, qu'ils revendent aux prix du marché. Aussi, quand celui du cuivre est à la baisse, c'est le chômage technique assuré. De l'effet papillon appliqué au capitalisme.

Si le secteur informel du recyclage a pu se développer ici, c'est que Manille n'a pas entièrement signé la convention de Bâle, qui régule les conditions dans lesquelles les déchets électroniques sont échangés dans le monde. Le pays de 98 millions d'habitants est donc très vite devenu la décharge régionale, vers laquelle transitent des cargos entiers de matériel venu de Chine, du Japon, de Corée...

Intoxications au plomb ou au mercure 

Le problème, c'est que l'activité est loin d'être anodine pour la santé de ces travailleurs. Pour récupérer le cuivre, ils doivent brûler des câbles en plastiques, qui dégagent des fumées toxiques. Décortiquer une télévision à tube cathodique, c'est libérer des poussières de plomb, qui s'infiltrent dans tout le corps. Les ampoules basse consommation, qui renferment de minuscules circuits électriques, contiennent du mercure, dont les lourdes vapeurs mettent des heures à s'évacuer. De même que les néons qui se cachent à l'arrière des écrans plats.

"Les recycleurs sont inconscients des dangers qu'ils courent", explique Astrid Heckmann, directrice d'un programme de Médecins du monde visant à améliorer le sort de ces sans-grade. Ainsi à Capulong, Samy travaille à domicile. Autour de lui gravitent ses cinq enfants, exposés toute la journée à la contamination par les métaux lourds, qui provoquent retards de croissance et déficits mentaux. Quand ils ne mettent pas directement la main à la pâte, avec les femmes, pour les tâches les plus simples, comme brûler les câbles.

Un salaire de 3 à 5 euros par jour

"Les effets de toutes ces contaminations ne se font sentir que sur le long terme. Or entre d'éventuelles complications dans cinq ans et le repas du soir qu'il faut assurer, le choix est vite fait pour eux", développe Astrid Heckmann. "Je sais que c'est dangereux, mais c'est la seule option pour moi", confirme Samy, recycleur depuis 25 ans. Chaque jour, il quitte donc son bidonville de Capulong pour récupérer ce qu'il peut de matériel. Il achète celui-ci auprès de revendeurs ("junk shops") à qui il faudra, pour se libérer de sa dette, rapporter le soir venu le produit de son travail. En s'assurant au passage un maigre bénéfice, qui oscille en moyenne autour de 200 à 300 pesos (moins de 5 euros). Juste de quoi assurer le ravitaillement en riz de la famille pour le repas du soir.

Si les associations environnementales combattent ce système, en prônant l'interdiction pure et simple du recyclage informel, Médecins du monde a choisi une approche plus pragmatique. "Les recycleurs n'ont pas le choix, nous voulons donc les aider à réduire les risques pour leur santé", détaille Astrid Heckmann. L'ONG distribue notamment aux travailleurs du matériel de protection. Une action qui se heurte parfois à un terrible décalage entre le droit et la réalité. Ainsi, MDM se trouve dans l'impossibilité de fournir aux enfants des gants à leur taille, les conventions internationales interdisant le travail des enfants. Ou quand le capitalisme préfère se voiler la face plutôt que d'améliorer le réel


La rédaction de TF1info

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