Destitution de Donald Trump : "Un autre procès se joue devant l'opinion publique"

Propos recueillis par Yohan ROBLIN
Publié le 21 janvier 2020 à 16h06, mis à jour le 21 janvier 2020 à 17h55

Source : TF1 Info

IMPEACHMENT - Le procès en destitution de Donald Trump s'ouvre mardi au Sénat. Si son issue ne fait aucun doute, l'acquittement étant attendu faute d'une majorité des deux tiers pour le démettre de ses fonctions de président, l'exercice revêt en cette année électorale une importance bien plus capitale devant l'opinion publique.

L'heure du procès en destitution de Donald Trump est arrivée. Quatre mois après le début de l'affaire ukrainienne, qui pollue la fin de son premier mandat à la Maison Blanche, et à moins de dix mois du scrutin présidentiel, lors duquel il compte en briguer un second, le président américain est jugé au Sénat à compter de ce mardi pour "abus de pouvoir" et "obstruction". Selon un dernier sondage SSRS pour CNN, 51% des Américains sondés souhaitent que la Chambre haute du Congrès condamne le milliardaire et l'éjecte du Bureau ovale contre 45% qui se déclarent opposés à cette éventualité. 

Chef du pôle News de la rédaction de TF1, Guillaume Debré analyse pour LCI l'impact de la procédure d'impeachment qui vise le président américain sur sa popularité. L'ancien correspondant à Washington, auteur de l'ouvrage "Je twitte donc je suis, l'art de gouverner selon Donald Trump" (paru chez Fayard), juge que les Républicains feront tout pour que les débats soient vite expédiés. Néanmoins, derrière ce procès en trompe-l'œil, sans doute sans témoins, le moment reste historique et la symbolique puissante. Avec un enjeu de taille, tant pour Trump que les Démocrates : convaincre l'opinion publique.

Trump a fait de sa faiblesse électorale un atout
Guillaume DEBRÉ, chef du pôle News à TF1 et ancien correspondant à Washington

LCI : Le procès en impeachment de Donald Trump pour "abus de pouvoir" et "obstruction" s'ouvre ce mardi au Sénat. La procédure a-t-elle jusqu'ici eu un effet sur sa cote de popularité ? 

Guillaume DEBRÉ : Contrairement aux autres présidents, la popularité de Donald Trump n'est pas fluctuante. C'est sa particularité, c'est une exception électorale. Sa base électorale n'est faite que de Républicains, 95% le soutiennent pour seulement 5 % des Démocrates. Quand le scandale sur ses liaisons supposées avec la star du porno Stormy Daniels a été révélé, il a perdu deux points de popularité. Quand l'affaire russe a été classée sans suite pour le procureur Mueller, il a gagné trois points. Sa popularité est hyper dense, hyper solide. Elle n'est pas très élevée mais l'avantage c'est qu'elle ne chute ou ne s'envole jamais. C'est le seul président de l'histoire des sondages à n'avoir jamais dépassé les 50% de popularité dans l'opinion. Le seul, il n'y en a pas d'autre. De cette faiblesse électorale, il en a fait aujourd'hui un atout. Il connaît parfaitement son électorat. Les gens qui le soutiennent ne seront absolument pas affectés par l'impeachment. Ceux qui le détestent ne vont pas changer d'avis et d'opinion sur lui. Là où cela va se jouer, c'est sur les indécis. Et, aux États-Unis, ils sont de moins en moins nombreux. 

LCI : Un procès rapide s'esquisse avec un calendrier mené au pas de charge. Déjà en campagne pour sa réélection, Trump craint-il que, si l'impeachment s'éternise, cela ait des conséquences néfastes ? 

Guillaume DEBRÉ : L'impeachment, c'est d'abord un procès politique. C'est un procès qui va se dérouler devant 100 sénateurs, qui seront les jurés de ce procès. L'issue est connue : il ne sera pas destitué. Mais il y a un autre procès qui se joue, cette fois, devant l'opinion publique. Aux États-Unis, l'impeachment va être diffusé sur toutes les télévisions et toutes les chaînes d'info. En cela, Trump ne veut pas donner un porte-voix aux Démocrates pour étaler toutes les accusations et tout ce qu'il a fait de mal depuis ce fameux coup de fil passé au président ukrainien Volodymyr Zelensky le 25 juillet dernier. Les Républicains vont tout faire pour qu'effectivement le procès soit le plus court possible et qu'aucun témoin ne puisse aller à la barre. L'avantage que Trump a, c'est que le Sénat est à majorité républicaine. C'est eux qui vont décider des règles de procédure, donc il est très probable que le procès soit très court.

L'impeachment est l'acte I de la campagne présidentielle
Guillaume DEBRÉ, chef du pôle News à TF1 et ancien correspondant à Washington

LCI : Selon ces règles, l'accusation n'aura que 24 heures pour défendre la mise en accusation. Les preuves de ce qui est reproché à Donald Trump seront présentées la nuit, à une heure de faible écoute...

Guillaume DEBRÉ : Cela reste, malgré tout, compliqué pour Trump. C'est le premier président de l'histoire des États-Unis, après avoir été mis en accusation pour un procès en destitution, à postuler à sa réélection. Andrew Johnson ne s'était pas représenté et Bill Clinton était déjà dans son deuxième mandat. Donald Trump, lui, va se présenter devant les électeurs en ayant subi une procédure de destitution. Pour beaucoup d'Américains, c'est une tâche politique indélébile. Ce qui va être très compliqué pour les Démocrates, c'est de rester unis. Leur électorat est très hétérogène. Il va des bobos écolos aux intellos, des Noirs américains aux ouvriers, des étudiants aux banlieusards. A contrario, la grande force de Trump, c'est qu'il connaît son socle électoral. Il sait que ce sont à majorité des Blancs, de l'Amérique rurale, plutôt masculins, conservateurs et en bas de la classe sociale. L'impeachment, c'est l'acte I de la campagne présidentielle. 

Il y a un risque politique pour les Démocrates
Guillaume DEBRÉ, chef du pôle News à TF1 et ancien correspondant à Washington

LCI : Les opposants à Trump vont donc jouer à fond la carte de l'impeachment pendant la campagne...

Guillaume DEBRÉ : Ils vont évidemment utiliser l'impeachment pour montrer que Donald Trump est un président hors normes, qu'il n'est pas apte à gouverner ce pays et qu'il ne devrait pas siéger dans le Bureau ovale. Il faut bien comprendre que les Américains sacralisent la présidence, elle incarne l'institution mais elle incarne aussi la Nation. Ils n'aiment pas une pratique du pouvoir qui pourrait ternir l'image des États-Unis. Les Démocrates vont chercher à démontrer que Trump a "sali" l'image de l'Amérique. Trump, lui, va se défendre en expliquant qu'il est le premier président à avoir incarné et donné une voix à la colère de certains Américains depuis le Bureau ovale. Ça, c'est vrai et unique dans l'histoire des États-Unis. 

LCI : Y a-t-il un risque que tout cela se retourne contre les Démocrates ?

Guillaume DEBRÉ : Deux minutes après son acquittement au Sénat, je suis persuadé que Donald Trump va s'adresser à la Nation pour dire : "Vous voyez, je vous l'avais bien dit. Je suis innocent. Le Sénat vient de m'innocenter. Tout cela n'était qu'une cabale et une manœuvre politique. Les Démocrates ont dépensé beaucoup d'argent pour affaiblir nos institutions". Il est évident qu'il y a un risque politique pour eux. Ils jouent avec les institutions et il risquent de perdre juridiquement. La question est de savoir si cette tâche qu'est l'impeachment sur le CV politique de Trump va lui coûter des voix lors des élections de novembre. Pour l'atténuer, il y a une solution, un antidote : l'économie. S'il arrive à maintenir un taux de chômage aussi bas, de la croissance et de la création d'emplois, il sera réélu. C'est le sujet central pour les Américains. 


Propos recueillis par Yohan ROBLIN

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